La cancérologue Nicole Delépine devrait savoir, mercredi 13 août, si le tribunal administratif de Cergy-Pontoise lui permettra de bénéficier du cumul emploi-retraite pour continuer son activité en oncologie pédiatrique. Son ancien employeur, l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), lui avait refusé « à l'unanimité des voix exprimées » cette option, le 4 juin, soit un peu plus d'un mois avant son départ.
L'AP-HP avait annoncé que cette retraite signerait la fermeture de l'unité de cancérologie pédiatrique qu'elle dirigeait à l'hôpital de Garches (Hauts-de-Seine). Celle-ci a été effective le 8 août. Les familles des patients avaient fortement protesté contre cette décision, certaines allant jusqu'à entamer une grève de la faim. Si le combat farouche des familles a permis d'alerter les médias et de conférer au service les faveurs d'une opinion sensible à la détresse d'enfants cancéreux, il a aussi permis aux détracteurs du Dr Delépine de railler l'emprise du médecin charismatique sur ses malades et leurs familles.
Comparée à plusieurs reprises à un gourou, Nicole Delépine balaie ces accusations d'un petit rire gouailleur : « Oui, j'appelle mes patients mes enfants. Comme bien des pédiatres, j'ai un rapport presque maternel avec eux. Beaucoup me considèrent comme leur seconde maman. Et alors ? »
« ON FRISE LE CHARLATANISME »
Nicole Delépine fait front commun avec son époux, chirurgien orthopédiste. Mariés depuis 1969, ils luttent contre les essais thérapeutiques depuis près de trente ans. Ils prônent l'individualisation des traitements là où les trente autres centres de cancérologie pédiatrique suivent les protocoles de recherche clinique incluant plusieurs malades dans un même traitement. De livre en livre, comme le dernier Le cancer, un fléau qui rapporte (Michalon, 2013), Nicole Delépine dénonce, elle, le « totalitarisme dans le traitement du cancer ».
« Avec ses méthodes dogmatiques et passéistes, qui emploient une technique mise au point il y a vingt ans, elle se met à la marge du système en refusant l'évolution par l'expérience. Comme si on proposait encore une saignée pour soigner l'hypertension artérielle », souligne le Pr Loïc Capron, représentant des médecins à l'AP-HP. « Elle récupère les déçus du système, ceux qui ne guérissent pas, ces parents culpabilisés, éprouvés et fragilisés par la maladie de leur enfant. On frise le charlatanisme »,assure-t-il.
Ses méthodes divisent le corps médical depuis longtemps. En 2002, Le Monde relatait le procès en diffamation qu'elle avait intenté au Pr Tursz, directeur de l'Institut Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne), la référence en matière de cancer. Mme Delépine avait gagné ; mais un an et demi plus tard, le Pr Tursz était relaxé en appel.
PARADOXES
Le Dr Delépine est une habituée des médias. En 2004, l'émission de Julien Courbet « Sans aucun doute » sur TF1, appelle en direct le directeur de cabinet du ministre de la santé de l'époque, Philippe Douste-Blazy, pour l'alerter sur le cas d'une mère qui ne parvenait pas à faire hospitaliser son enfant à l'hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis) où exerçait le Dr Delépine. Moins de six mois plus tard, un protocole signé par le ministre autorisait le transfert de l'unité de Nicole Delépine à Garches. « Les ministres ont imposé Delépine parce qu'elle fait pleurer dans les chaumières », estime Loïc Capron.
Outre les familles de ses patients, le Dr Delépine a le soutien du Parti de gauche, mais aussi des personnalités publiques « sulfureuses », selon les mots de Me Ludot, l'avocat du médecin et des familles. Ainsi, son combat se retrouve sur le site de l'extrême droite Alain Soral, « Égalité et réconciliation ». « Je ne sais même pas qui c'est, ce monsieur. Je suis dans ma guerre, rétorque calmement le médecin. Mais s'il offre une médiatisation et partage notre combat, je n'ai aucune raison de le censurer. » Une déclaration qui peut sembler paradoxale pour celle qui assume sa 29e position sur la liste « Bouge l'Europe ! » menée par Robert Hue aux élections européennes de 1999.
Là n'est pas le seul paradoxe. N'emploie-t-elle pas des traitements et des médicaments validés par des protocoles de recherche contre lesquels elle se bat, glissent des médecins ? La voilà désormais confrontée à un dilemme : si elle bénéficie du cumul emploi-retraite pour suivre ses patients, elle sera autorisée à faire des vacations… dans les hôpitaux aux méthodes qu'elle décrie tant. Mais il lui faudra d'abord trouver un établissement qui l'accueille. En attendant, elle compte déposer une plainte pour diffamation contre Martin Hirsch, directeur général de l'AP-HP.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire