Reprenant un article paru dans The International Journal of Psychoanalysis[1], L’Année psychanalytique internationale évoque une question très rarement traitée dans la littérature spécialisée : à quel âge un psychanalyste doit-il prendre sa retraite ? S’il n’existe pas d’âge optimal pour arrêter d’exercer, tout psychanalyste (comme n’importe quel être humain) doit « tenir compte de son âge objectif » pouvant entraîner une érosion de ses compétences professionnelles. Après des années de supervision, certains voient ainsi leur analyste superviseur les lâcher au milieu du gué, car son âge avancé le contraint à un arrêt brutal.
Exerçant à Genève (Suisse) l’auteur rappelle que la spécificité de l’analyste est d’osciller entre son âge réel (celui du calendrier) et l’âge « fantasmatique » que « ses analysants lui attribuent », dans un « jeu plus vaste entre fantasme et réalité sous-tendant le travail du transfert et du contre-transfert indispensable au processus analytique. » Et comme dans la chanson (Toi femme publique)[2] où Noé Willer évoque la multiplicité des rôles pour les clients (« Ils te parlent d’amour, tu écoutes ce curieux discours, ils t’appellent mon enfant, pour d’autres, tu es leur maman »), le psychanalyste est conduit à occuper des places très diverses : « il peut adopter les âges des différents personnages que ses patients projettent inconsciemment sur lui : un jeune analyste, traité comme le parent très âgé d’un patient d’âge mûr, et un vieil analyste comme un enfant. » Or, rappelle l’auteur, quand notre efficience intellectuelle décline, « nous perdons souvent en même temps la capacité d’être conscients de cette perte. »
Dès lors, comment inciter les intéressés à décrocher sans risque pour leurs analysants, et sans trop compromettre ni leurs revenus ni leur désir de demeurer psychanalystes ? Faut-il convenir d’une « date butoir », imposée de l’extérieur ou que le psy s’imposerait à lui-même ? Faut-il instituer une participation obligatoire à des « séminaires cliniques d’intervision » ou une évaluation régulière des compétences ? Cette proposition aurait le mérite de permettre aux « psy âgés de partager leur expérience avec des plus jeunes », pour un décrochage en douceur où, comme dans un compagnonnage, la valeur des anciens serait appréciée des plus jeunes.
Mais comment ne pas être tenté d’écarter l’angoisse d’une « fin inéluctable » par l’humour ? En rapprochant cette nécessaire transmission du témoin de cette anecdote où, accablé par les difficultés du métier, un jeune psychiatre s’informe auprès d’un autre plus âgé sur la manière d’affronter les tourments professionnels : –Mon cher confrère, comment faites-vous donc pour garder le moral ? Toutes ces horribles histoires que j’entends à longueur de journée me dépriment ! Je n’ai plus le goût à rien ! Mais je vous observe : vous souriez tout le temps, les affreux discours de vos patients ne vous atteignent jamais ! Quel est votre secret ? Et le vieux confrère de répliquer : –Quoi ? Comment ? Ah, flûte ! J’ai encore oublié de changer la batterie du sonotone !
[1] At what age a psychoanalyst should retire ? Int. J. Psychoanal. (2013), 94 : 793-797.
Dr Alain Cohen
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