Les sympathisants de gauche, les femmes militantes et les bordéliques sont plus enclins à la désobéissance que les personnes affables, consciencieuses ou de droite. Telle est la conclusion d’une étude française publiée dans Journal of Personality.
Pour comprendre ce résultat, il faut remonter en 1961. A l’époque, un criminel de guerre nazi, Adolf Eichmann, est jugé à Jérusalem. Le procès est suivi par la philosophe Hannah Arendt qui, stupéfaite, découvre en Eichmann un bon père de famille, aimé des siens, plus que la moyenne même, et qui se serait contenté d’obéir aux ordres. Un paradoxe qui amènera la penseuse à parler de « banalité du mal » et poussera quelques mois plus tard un psychologue social américain, Stanley Milgram, à conduire une expérience (dite de Milgram) sur la soumission à l’autorité.
« VULNÉRABILITÉ SITUATIONNELLE À L’OBÉISSANCE »
Son principe est simple et tient en trois personnages : l’élève – un complice –, qui doit apprendre une liste de mots ; le professeur – le sujet étudié –, chargé de vérifier les réponses et d’infliger à l’élève des chocs électriques d’intensité croissante en cas d’erreur ; et enfin l’expérimentateur, un scientifique, représentant l’autorité. Dans ce contexte, plus de 60 % des sujets acceptent d’envoyer 450 volts – fictifs – à l’élève. Un tiers seulement environ refusent d’obéir.
« Cette découverte fut si choquante que les chercheurs se sont depuis focalisés sur cette vulnérabilité situationnelle à l’obéissance, explique le philosophe Michel Terestchenko, et ont versé dans le dogmatisme, le tout contextuel. » Point culminant de cette pensée, une phrase de Philip Zimbardo, psychosociologue à l’université Stanford, à propos des crimes d’Abou Ghraïb : ces exactions « ne sont pas le fait de mauvais garçons dans une bonne barrique, mais de bons garçons dans une barrique maléfique ».
« NOUS SOUHAITIONS VÉRIFIER LES OBSERVATIONS D’HANNAH ARENDT »
« Mais c’est oublier que tout le monde ne devient pas tortionnaire, rappelle Laurent Bègue, de l’université de Grenoble.Il existe forcément des facteurs non situationnels prédisposant à l’obéissance ou à la rébellion. » C’est mû par cette conviction que le chercheur et ses collaborateurs ont décidé de s’intéresser à la personnalité et à l’idéologie des sujets testés. « Nous souhaitions vérifier si les observations d’Hannah Arendt concernant la nature particulièrement affable d’Eichmann avaient valeur au-delà du cas isolé. »
Pour ce faire, les chercheurs ont travaillé sur les 80 personnes qui, en 2009, ont participé à une expérience de type Milgram, « Le Jeu de la mort », diffusée en prime time par France Télévisions et où l’autorité avait le visage d’un présentateur de télévision et d’un public. « On les a interrogés sur leurs convictions politiques, leur propension à l’activisme et, surtout, on leur a fait passer le test des “big five”, qui permet d’évaluer cinq traits centraux de la personnalité humaine. » A savoir l’ouverture à l’expérience, l’esprit consciencieux (autodiscipline, respect des règles), l’extraversion, l’agréabilité et l’instabilité émotionnelle.
Les résultats montrent qu’être une personne agréable ou avoir l’esprit consciencieux sont significativement liés à l’obéissance,« ce qui n’est pas très étonnant puisque les personnes consciencieuses ont le souci de respecter les règles et celles particulièrement agréables celui de plaire aux autres », explique Laurent Bègue. A l’inverse, les personnes qui se déclarent de gauche sont plus promptes à la désobéissance. Idem pour les femmes militantes.
« DILEMME MORAL : CONTINUER OU NON DE FAIRE MAL À UN INNOCENT »
« Ce n’est pas une surprise, nuance Jerry Burger, de l’université de Santa Clara, aux Etats-Unis. Plusieurs études ont déjà révélé des traits de personnalité liés à l’obéissance. » « Mais jamais avec un test reconnu par la communauté scientifique », insiste Laurent Bègue. « De plus, reprend l’Américain, l’expérience considérée, avec un public, n’est pas réellement comparable à celle de Milgram. » « Ce qui n’est pas si important, insiste Nestar Russell, de l’université Nipissing, au Canada, puisque dans les deux expériences les sujets font face au même dilemme moral : continuer ou non de faire mal à un innocent. »
« Enfin, il faut rappeler que tous ces tests sont conduits en laboratoire ou dans des contextes à très faible enjeu, conclut Michel Terestchenko. Dans le réel, lorsque les conséquences sont concrètes, la désobéissance relève plus de l’acte héroïque que du simple trait de personnalité. » « Il n’empêche, des facteurs prédisposants existent bel et bien », rétorque Laurent Bègue. A noter que d’autres études ont montré que les personnes consciencieuses ont une meilleure espérance de vie, et qu’elles peuvent se révéler plus altruistes dans d’autres situations.
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