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lundi 26 mai 2014

« La méditation peut aider à prévenir le burn-out »

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | Propos recueillis par 
Docteur en génétique cellulaire de formation, moine bouddhiste depuis 1979, proche du dalaï-lama, dont il est le traducteur français, Matthieu Ricard est aussi connu pour ses nombreux écrits et recueils de photographies. Ces dernières années, il est devenu l’ambassadeur d’une nouvelle discipline, les « sciences contemplatives », qui explorent les bienfaits de la méditation et de l’entraînement de l’esprit sur l’organisme et plus particulièrement le cerveau. Matthieu Ricard participe ainsi activement aux recherches de l’Institut Mind & Life, fondé en 1987 par le dalaï-lama, le neuroscientifique Francisco Varela – mort en 2001 – et l’avocat américain Adam Engle, pour développer les échanges entre les sciences cognitives et le bouddhisme.

A quelques semaines des premières rencontres d’été en Europe de cette organisation (du 23 au 29 août à Chiemsee, en Allemagne, voir http://esri.mindandlife-europe.org/), rencontre avec un chercheur-« cobaye » enthousiaste, infatigable militant de la compassion et de l’altruisme, thème de son livre Plaidoyer pour l'altruisme. La Force de la bienveillance (Nil, 2013).
Quels sont les effets scientifiquement démontrés de la méditation ?
Les recherches sur la méditation (entraînement de l’esprit) ont vraiment commencé dans les années 2000, quand s’y sont penchés de grands scientifiques comme le neuro-psychiatre Richard Davidson, de l’université du Wisconsin à Madison, ou Tania Singer, directrice du département de neurosciences sociales de l'Institut Max-Planck de Leipzig, spécialiste de l’empathie. Jusque-là, les grandes revues comme NatureScience ou PNAS prenaient ce sujet avec des pincettes.

Grâce à des examens d’électro-encephalographie et d’imagerie cérébrale, il a été démontré que la méditation stimule la neuroplasticité et provoque des changements fonctionnels et structurels dans le cerveau. Cette pratique entraîne en effet l’activation de plusieurs aires liées à la bienveillance et à l’empathie, dont l’insula et le cortex cingulaire, ce qui provoque des émotions positives, tandis que d’autres, comme l’amygdale, liée notamment à la peur et à l’agressivité, sont désactivées. La méditation sur la compassion aide aussi à mieux appréhender la douleur. L’imagerie a aussi montré que, chez les personnes méditant depuis longtemps, les régions du cerveau impliquées dans l’anticipation anxieuse sont moins actives que chez les novices. Le médecin américain Jon Kabat-Zinn a d’ailleurs développé une psychothérapie de réduction du stress basée sur la pleine conscience.
Une longue pratique est-elle nécessaire avant de mesurer des bénéfices ?
Les travaux ont d’abord été menés chez des méditants très expérimentés qui ont fait entre 10 000 et 60 000 heures de pratique. J’ai moi-même déjà passé au total environ cent vingt heures dans des machines IRM. Les chercheurs ont ensuite fait appel à des méditants ayant entre trois mille et dix mille heures de méditation, avec là aussi des résultats positifs. Les études sont désormais étendues aux personnes novices, et confirment que les bénéfices apparaissent rapidement.
En pratique, même si l’on ne peut pas méditer pendant de longues durées, il est important de le faire régulièrement. Ainsi, une trentaine de jours suffit pour voir apparaître une modification des fonctions neuronales, notamment dans l’hippocampe, une aire qui gère l’assimilation de toute forme d’entraînement. Vingt minutes de pratique quotidienne contribuent significativement à la réduction de l’anxiété, du stress, de la tendance à la colère et à augmenter la bienveillance et les comportements prosociaux...
Vous distinguez les effets bénéfiques de la compassion ou amour altruiste de ceux, délétères, de l’empathie livrée à elle-même. Comment expliquer cette différence qui ne va pas de soi a priori ?
L’empathie joue un rôle essentiel pour vous alerter sur la situation de l’autre. Mais si vous n’avez pas d’autre ressource intérieure, la bienveillance en particulier, à votre disposition, vous succomberez rapidement à un épuisement émotionnel, appelé burn-out. Si vous êtes infirmière et que vous résonnez chaque jour avec la souffrance de l’autre, en empathie, cela peut conduire soit au burn-out, soit à de l’indifférence si vous choisissez de vous distancer émotionnellement des patients. A l’inverse, des IRM effectuées sur des sujets pratiquant la méditation sur l’amour altruiste ont objectivé une stimulation des aires cérébrales associées aux émotions positives.
Tania Singer s’intéresse à ces différences entre l’empathie (résonance affective) et la compassion (le désir de remédier à la souffrance de l’autre ). Elle mène actuellement un projet, appelé ReSource, financé par la Commission européenne et l’Institut Max-Planck, qui vise à faire pratiquer durant onze mois à un groupe de 300 volontaires novices des techniques de méditation pour bien distinguer l’empathie et l’amour altruiste, les aspects affectifs, cognitifs... Les résultats, qui seront bientôt publiés, vont sans doute confirmer le fait qu’on pourrait remédier au burn-out et à la détresse empathique en entraînant à la bienveillance, à l’amour altruiste... C’est très très prometteur. Une autre équipe a constaté que la méditation sur l’amour altruiste augmente le tonus vagal, ce qui permet de garder son calme en toutes circonstances.
Quels sont les autres champs de recherche des sciences contemplatives?
Une étude de MM. Davidson et Kabat-Zinn, menée auprès de salariés d’entreprises de biotechnologies pratiquant vingt minutes de méditation par jour pendant trois mois, a montré que leur taux d’anticorps augmente de 30 %. Après huit semaines de méditation en pleine conscience (de type Mindfulness Based Stress Reduction, MBSR) à raison de trente minutes par jour, il se produit un renforcement notable du système immunitaire. Un travail plus récent montre que huit heures seulement de méditation sur la « pleine conscience bienveillante » entraîne des modifications épigénétiques , en particulier dans les niveaux d’expression de certains gènes intervenant dans l’inflammation.
L’engouement pour la méditation de pleine conscience s’accompagne d’une profusion d’offres. Comment faire le tri entre professionnels sérieux et charlatans?
Il faut être très vigilant. Des forfaits de méditation qui, pour 30 à 50 euros, promettent de devenir plus séduisant, plus rayonnant, ne sont pas sérieux. La méditation de pleine conscience n'est pas un projet individualiste, narcissique ; c'est un projet pour devenir un meilleur être humain. L’autre risque, théorique, serait celui d’une utilisation de ces techniques à de mauvaises fins, par exemple pour améliorer les performances de tireurs d’élite ou pour devenir un chef d’entreprise encore plus efficace mais sans pitié.
En principe, si vous pratiquez sérieusement, l’altruisme vient de lui-même. Mais pour éviter toute ambiguité, la bienveillance devrait être inscrite dès le départ et très clairement dans les programmes de méditation. Il est également important, comme c'est le cas par exemple à l’Université libre de Bruxelles ou à celle de Strasbourg, que les formations des professionnels s'effectuent dans un cadre labellisé MBSR.
Comment ces recherches sont-elles financées ?

Dans des pays comme les Etats-Unis, la Suisse ou l’Allemagne, ces projets sont financés par des centres de recherche universitaires, des organisations non gouvernementales... Mais la France est très frileuse dans ce domaine. Les chercheurs doivent souvent faire appel à des financements européens. L’Institut Mind & Life refuse tout lien avec des sociétés commerciales, y compris les laboratoires pharmaceutiques. On ne veut aucun conflit d'intérêts. Quant aux recettes de mes livres, elles sont intégralement versées à l’association humanitaire que j’ai fondée, Karuna-Shechen, qui soigne 100 000 patients par an et éduque plus de 20 000 enfants au Népal, en Inde et au Tibet.

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