Par Joseph Tedesco (associé au cabinet de conseil Oliver Wyman)
Le gouvernement a bien pris la mesure du besoin de transformer notre système de santé. Les économies de 10 milliards annoncées en témoignent. La Stratégie nationale de santé qui préconise une révolution des soins primaires par une meilleure coordination, l'atteste. Néanmoins, comme pour toute bonne stratégie, ce qui compte c'est la mise en œuvre, c'est-à-dire l'exécution.
S'il est assez simple de raboter la dépense, il est plus compliqué d'engager la révolution des soins primaires telle qu'annoncée. Comment faire ? De nombreuses expériences existent en France pour réorganiser la médecine de ville mais est-il possible d'aller plus loin ? Est-il possible de repérer, de modéliser puis d'implémenter avec les professionnels de nouveaux modes d'exercice et de construire en parallèle les incitatifs financiers qui équilibrent progressivement mieux la part des revenus liés au volume de patient pris en charge et ceux qui rétribuent la gestion du risque ? D'ailleurs sommes-nous le seul pays qui se pose ces questions ?
Ce qui ce passe aux Etats-Unis est très instructif. Si l'organisation globale du système de santé américain demeure discutable, on y trouve des innovations organisationnelles majeures qui méritent largement l'attention bien au-delà des polémiques. Quelques groupes de médecins visionnaires ont inventé et mis en œuvre des réponses qui devraient largement nous inspirer notamment en ce qui concerne la prise en charge des personnes dites fragiles.
PARTIR DES BESOINS
Ces réponses s'appuient sur des modèles d'organisation qui ont repensé l'exercice de la médecine avec trois objectifs : partir des besoins d'une population, améliorer la qualité des soins et réduire les coûts. Ces modèles sont construits autour d'une équipe aux compétences larges, composée d'un médecin extensivist, d'infirmières pouvant pratiquer des actes avancés, d'assistantes sociales, de nutritionnistes, de personnes spécialisées dans la navigation dans le système de soins… Cette équipe type est épaulée par des médecins spécialisés dans la prise en charge du diabète, des pathologies pulmonaires, des pathologies cardiaques mais aussi des psychiatres, des psychologues, des pharmaciens…
De loin, tout cela ressemble à ce que nous nommons en France les maisons de santé pluridisciplinaire. A ceci près – et cela change tout – que le mode de rémunération de ces équipes est grandement basé sur la gestion du risque et la qualité des soins. Le rôle du médecin extensivist qui examine de 6 à 8 patients par semaine pour une visite moyenne d'une durée de 1 heure afin d'effectuer un bilan santé à 360 degrés, consiste également à coordonner, animer l'ensemble de ces professionnels au profit des patients.
Des formations ont été organisées pour promouvoir ce nouveau métier. Des protocoles médicaux ont été stabilisés et partagés entre les différents professionnels (diabète, pathologies pulmonaires, pathologies cardio-vasculaires, oncologie…) afin d'intégrer les soins et d'éviter les redondances, les actes inappropriés… Ces équipes disposent de relations privilégiées avec les hôpitaux, les centres de rééducation, mais aussi les centres de sports et de bien-être. C'est une réorganisation complète de l'offre sur un infra-territoire qui est ainsi proposée.
La télémédecine y joue un grand rôle ainsi que le digital. On l'aura bien compris. Ces modèles sont en rupture avec l'exercice isolé de la médecine mais aussi avec le fonctionnement en silo que nous connaissons (médecine de ville/hôpital/secteur social et bien être).
Surtout, ces équipes sont regroupées dans un même endroit. Facile d'accès. Visible. L'unité de lieu est importante. Elle évite au patient de se « promener » dans le système de soins. Ces organisations proposent une approche basée sur le « take care ». Ils ne focalisent pas uniquement sur des épisodes liés à une maladie. On s'intéresse autant à la prise effective des médicaments qu'à leur prescription, on s'inquiète du mode de transport des patients pour rejoindre un rendez-vous jusqu'à offrir le déplacement s'il le faut, on s'inquiète de savoir si le frigo est plein, on anticipe les évolutions...
A bien des égards ces modèles sont contre-intuitifs économiquement, car beaucoup de temps est passé avec chaque patient. Et pourtant.
30% DES DÉPENSES INAPPROPRIÉES
Les résultats obtenus ont peu d'équivalent. On constate une amélioration de la qualité, une réduction de la dépense et une augmentation des revenus des professionnels de santé. Les économies réalisées étant en partie redistribuée chacun y trouve son compte. Quand on sait que 30% des dépenses de santé sont inappropriées, il y a de la marge pour redistribuer !
Il ne s'agit pas ici de décrire un monde idéal qui n'existerait que sous conditions particulières. Au contraire, pour faire exister ces modèles les concepteurs ont travaillé dur, convaincu, imaginé de nouvelles solutions. Et ce qu'il y a de bien c'est que ces modèles existent, fonctionnent. Il suffit de les visiter pour s'en inspirer et se rendre compte. Care More, Primary Advanced Care, Cornestone en sont les illustrations.
Repérer les meilleures pratiques mondiales, les adapter à nos spécificités, mobiliser les acteurs de terrain, faciliter l'expérimentation et le dialogue sincère entre les différentes partie-prenantes, tout en veillant en permanence à respecter notre contrat social qui repose notamment sur la libre installation des médecins et le libre choix du patient peut contribuer à la réussite de la Stratégie nationale de santé. Quand l'on sait que 5% des patients « utilisent » 45% des dépenses de santé et que 25% en utilisent « 85% », on n'a du mal à imaginer qu'une réponse uniforme – mieux coordonner les parcours - soit la solution.
Au contraire, c'est territoire par territoire qu'il faut repenser l'organisation des soins, afin d'adapter la structuration de l'offre aux besoins de la population. Dans certains lieux une coordination efficace sera suffisante, dans d'autres il faudra faire émerger de nouveaux modèles, de nouvelles compétences, Certaines expériences étrangères peuvent nous guider, à nous de les adapter.
La médecine est de qualité dans notre pays. Reste à en ré-inventer les nouvelles conditions d'exercice compte tenu des nouveaux enjeux sanitaires et démographiques, voire économique. Beaucoup de professionnels y sont prêts. Beaucoup de Français l'attendent, car il y va tout simplement de leurs conditions de vie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire