Haro sur la tong ! Des restrictions vestimentaires sont imposées aux élèves dans un nombre croissant d'établissements. La tendance se fait de plus en plus insistante. Cela a commencé par la chasse au string apparent. Ça se poursuit en lutte sans merci contre la tong. A l'heure où j'écris ces lignes, le pantacourt et la minijupe sont en grave danger, le minishort à l'agonie. Les reverrons-nous fleurir aux beaux jours ? La trêve hivernale permet d'explorer la question.
S'il ne s'agissait que de décisions éparses et isolées prises par des chefs d'établissement sourcilleux, elles n'auraient qu'un intérêt factuel. A mes yeux, pourtant, elles participent d'un mouvement plus vaste et profond, d'une conception de la lutte contre l'échec scolaire qui s'affirme et se généralise, année après année. L'enjeu, nous le comprenons aisément, c'est de remettre de l'ordre, de réaffirmer le cadre scolaire, de se soucier des formes. Ordre, cadre, formes : il est évident que c'est ce dont l'éducation nationale a, en partie du moins, cruellement besoin. Mais il reste à savoir si la chasse à la tong est une bataille qui permettra, à terme, de gagner la guerre et si ce combat a un sens.
NORMES DE LA DÉCENCE
Quelques évidences : le port du string et du calbut à l'épiphanie ostensible n'est pas acceptable dans le cadre scolaire. Les sous-vêtements, comme leur nom l'indique avec clarté, sont sous… les vêtements. De manière plus générale, la tenue est une chose fondamentale en classe : les élèves, comme les enseignants, sont priés de ne pas s'y tenir vautrés, affalés, débraillés. C'est une question de bon sens. Et de souci des formes. Des formes qu'il faut maintenir car elles sont source de calme, de cohésion, de disponibilité au travail, de paix, d'entente, voire d'harmonie malgré leur caractère apparemment superficiel ou rebutant. L'école doit non seulement veiller à leur respect, mais aussi enseigner leur importance.
Sans passion particulière. Il ne s'agit pas de se tromper de combat, de lâcher la proie pour la tong. L'habillement des élèves, c'est l'air du temps (et du climat) : il faut lui imposer un cadre, lui offrir une certaine résistance, sans, pour autant, dépenser inutilement ses forces. C'est ainsi, l'école est plus poreuse qu'autrefois. Se crisper n'y changera rien. Ainsi n'est-il pas utile d'étendre les interdictions à tout-va, de multiplier indéfiniment les normes de la décence scolaire ainsi que les signes ou symptômes de la déroute éducative comme si tout était dans tout.
De fait, tout cela est encore une fois la marque d'un refus (ou incapacité) de plus en plus obstiné et généralisé de s'attaquer réellement aux problèmes que rencontre l'école. On assiste au retour de la tracasserie (houspiller la jeunesse faute de la faire progresser, accepter le vernis rose, pas le vert), à la multiplication de procédés archaïques et magiques (on accumule les interdits pour consolider la communauté), voire à une tentative, plus ou moins délibérée, de noyage de poisson (mettre la tong au centre du système).
Tracasserie et pinaillage. Tire sur ta jupe, mets des souliers. Emmerdons les jeunes. Si l'on ne sait pas pourquoi, eux ils le savent. Ça leur apprendra à ne pas avoir de bons résultats. On n'a rien à leur proposer mais tant à leur interdire ! Jupe courte, idées courtes (notons qu'on lutte dans un curieux mélange contre l'extrême court – le short – et l'extrême long – la burqa) ? A croire que le souci des formes s'est transformé en un retour du conformisme petit-bourgeois des années 1950.
Ce n'est pas tout. La tracasserie dépasse de loin la question vestimentaire. Le ministère, depuis quelques années, accompagne le mouvement et pinaille à tout-va. C'est le même mouvement, la même logique sous d'autres formes. Valide tes compétences (la scolarité comme une liste de courses), passe ta sécurité routière, assieds-toi bien sur ton socle. Ecoute ton biorythme. « – Tu sens que tu es davantage en état d'apprendre, non ? – En état d'apprendre quoi ? – Petit insolent, file dans ta chambre et mange tes cinq légumes ! »
CONJURER L'ÉCHEC
On réglemente, déplace et divise pour se donner l'illusion de la maîtrise. Pendant ce temps, on laisse en friche la question de l'acquisition d'un vrai savoir. On ne propose pratiquement rien à des élèves qui ont 2 de moyenne dans toutes les matières, mais on veille scrupuleusement à ce qu'ils ne portent pas de short, qu'ils étalent leurs heures de cours et qu'ils valident quelques items.
Superstition. Désorientés que nous sommes, nous conjurons l'échec de toutes les manières possibles, nous sommes prêts à tout essayer : la magie, les pratiques votives, la multiplication d'interdits. Sous couvert d'ordre et de rigueur, évidemment. On va donc commencer par rhabiller les élèves et ainsi, de fil en aiguille, on va les remettre au travail, les faire progresser, et obtenir de meilleurs résultats.
De tonga – « De la tong » – aux accents cicéroniens, je passe trois heures à trouver comment contourner l'interdiction (tong + chaussettes ?), je cède sur la question des fringues, je me plie donc au cadre éducatif, mon cerveau imprime immédiatement ce mouvement d'allégeance ?
LOGIQUE D'INTERDICTION
Du coup, abracadabra, je sais mieux lire, mieux écrire, mieux me concentrer, j'ai davantage envie de travailler ? Et pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Que pourrions-nous interdire d'autre ? Quelque chose qui fasse vacances ou un peu olé olé. Les mauvaises pensées ? Les rêves ? Le soleil, l'ennui et la pluie ? On scande « le cadre, le cadre », « les enfants ont besoin de limites ».Oui, c'est vrai. Mais ces limites doivent avoir un rôle. Les signes ne doivent pas renvoyer qu'à eux-mêmes.
Dissimulation. Le signe, le cadre et la forme, pour certains, trouveront évidemment leur aboutissement dans la blouse (c'est l'aboutissement de cette logique d'interdiction). Peut-être imaginent-ils que notre école, avec les résultats qu'on lui connaît, serait plus jolie, plus unie, plus juste, une fois peuplée d'élèves en uniformes (un bidonville emballé par Christo aurait aussi meilleure mine). Ou plus rassurante. Enfin, ce serait une manière de jeter un bout de tissu sur la réalité des classes. Les formes, rappelons-le, servent à lier, à pacifier, pas à masquer, planquer ni dissimuler. Elles ont un lien avec l'époque dans laquelle on se trouve, avec les moeurs.
La taille des jupes, la morale laïque, les grandes déclarations : croit-on vraiment qu'en mettant un petit cadre tout doré autour des réalités sinistrées on va améliorer l'image ? On se déguise, on divise, on déplace mais on n'affronte rien. Vaine agitation… Interdire la tong n'est, somme toute, pas dramatique. Y a pas mort d'homme, ni élève en péril (en plus, les tongs, c'est moche). C'est juste le symptôme d'une situation très triste. On s'affaire pour se donner l'illusion de s'attaquer à un grave problème. Et l'on évite à tout prix de s'y attaquer.
- Mara Goyet (Professeur d’histoire et de géographie dans un collège à Paris)
Journaliste au Monde
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