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mercredi 4 décembre 2013

Charcot, la médecine par l’image

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO |  |
C’est à une rare alliance de l’art et de la science que nous convie cet ouvrage : Charcot, une vie avec l’image. Où l’on voit à l’œuvre, dans son prodigieux élan, la quête de ce médecin visionnaire que fut le professeur Jean-Martin Charcot (1825-1893). Figure mythique de la neurologie et de la psychiatrie, il fut artiste de talent. Et fit de « l’art de la médecine » une science à part entière. Son temple : la toute première chaire au monde de neurologie créée pour lui, en 1882, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris).
« Regardez, regardez encore et regardez toujours : c’est ainsi seulement que l’on arrive à voir », conseillait Charcot à ses élèves. Et à son fils Jean-Baptiste – le futur explorateur des pôles : « Mon cher fils, je t’engage à continuer les croquis. C’est une bonne façon d’occuper ses loisirs : la science et l’art sont alliés, deux enfants d’Apollon. » Crayon en main, cet esthète n’eut de cesse d’affûter son regard, scrutant les corps pour en croquer harmonies et défaillances. Son obsession : saisir les singularités et les causes de nombreuses maladies du système nerveux et du psychisme – sclérose en plaques, maladie de Parkinson, hystérie…

« L’HOMME NORMAL, QUE VEUT-ON DIRE PAR LÀ ?  »
« Ce livre, c’est dix ans de recherches, plongée dans les archives de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et de la famille Charcot », raconte l’auteure, le docteur Catherine Bouchara. Elle a « rencontré » son héros en mai 2003, après avoir ouvert une consultation d’hypnose médicale au pavillon de l’Enfant et de l’Adolescent de la Pitié.
En feuilletant ces belles pages, on est d’abord saisi par la qualité des œuvres du maître de la Salpêtrière. Ainsi de ces croquis de mains de patients, évoquant la facture d’un Rubens – n’était leur posture figée en d’étranges contractures. Ainsi de ces visages pétrifiés dans la douleur, égarés dans un monde inconnu. Ainsi de ses émouvants carnets de voyage à travers l’Europe et l’Afrique du Nord, où il mêle la couleur et l’aquarelle à l’encre et au crayon.
Plus surprenant encore : la « lecture médicale » des peintures et dessins que nous propose Charcot. A la lumière de son regard sur l’hystérie, il analyse ainsi dans Les Démoniaques dans l’art, la possédée représentée par Rubens dans Les Miracles de St Ignace. Au fil des pages, on relève aussi quelques aphorismes prophétiques : « L’homme normal, que veut-on dire par là ? S’il existait ce serait un monstre. » Ou bien : « La plus grande partie de nos trésors mentaux gît en dehors de la sphère de la conscience. » Ou encore : « Cette puissance de l’esprit sur le corps (…) qui appartient entièrement à l’ordre scientifique. »
Au plus intime des liens familiaux, le livre donne aussi à voir un Charcot très humain – à rebours, selon l’auteure, des idées reçues sur son caractère despotique. Réhabilitant la proximité du père et du fils : « Tous deux furent des explorateurs, Jean-Martin du corps et du psychisme, Jean-Baptiste de l’espace et des mers. » Enfin, Catherine Bouchara montre comment, par sa rencontre imprévue avec l’hystérie en 1870, Charcot s’est ouvert au champ du psychisme – jusqu’à tracer le schéma de l’inconscient, bien avant Freud. « En se lançant dans l’aventure de l’hypnose, en 1883, il a pris des risques considérables alors qu’il était à l’apogée de sa renommée, dit-elle. Charcot, c’est une pensée évolutive, élargie, transdisciplinaire – le contraire d’une pensée autocrate. »

Charcot, une vie avec l’image, de Catherine Bouchara (Philippe Rey, 240 p., 39 €).

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