Certaines associations de patients n’en voulaient pas, mais leurs protestations n’y ont rien fait : depuis le 1er octobre, les personnes traitées pour un syndrome d’apnées du sommeil sont désormais « télésurveillées ». De quoi s’agit-il ? La télésurveillance consiste à interpréter à distance des données de suivi médical, ce qui implique successivement d’enregistrer des données, de les transmettre (par Internet, notamment), de les interpréter pour, in fine, prendre des décisions.
Cette modalité de surveillance appartient au domaine nouveau de la télémédecine (médecine à distance), aux côtés d’autres possibilités comme la téléconsultation (consultation à distance). La télésurveillance vient de prendre pied dans la réalité en France, non sans poser question.
Rappelons d’abord que le syndrome d’apnées du sommeil se caractérise par la survenue, pendant le sommeil, d’épisodes d’interruption de la ventilation (apnées) ou de réduction de la ventilation (hypopnées). Trop fréquents, ces troubles peuvent entraîner une somnolence le jour (responsable d’accidents de la route et d’accidents de travail) et des complications cardio-vasculaires (hypertension, infarctus). En France, de 1 à 3 millions de patients sont concernés par cette maladie.
Le principal traitement consiste à mettre, la nuit, un masque sur le visage afin de respirer un air sous pression (pression positive continue). Ces dispositifs sont mis à disposition au domicile des patients par des prestataires de services, les dépenses inhérentes sont remboursées par l’Assurance-maladie.
Chaque année, le nombre de patients ainsi traités augmente, et les coûts s’envolent (438 millions d’euros en 2011, selon la Haute Autorité de santé). Pour tenter de limiter les frais, les ministères de la santé et du budget ont publié, le 9 janvier, un arrêté « portant modification des modalités d’inscription et de prise en charge du dispositif médical à pression positive continue pour le traitement d’apnées du sommeil (…) ». Concrètement, ce texte demande de poser des capteurs électroniques afin d’enregistrer et de transmettre les données d’utilisation des appareils. Si la durée d’utilisation des appareils tombe au-dessous d’un certain seuil, les malades sont alors qualifiés de « non observants ». Méchante étiquette avec, à la clé, une possible décision de cessation du remboursement. Pour la première fois, en France, un arrêté conditionne la prise en charge d’un traitement au comportement des patients (dormir avec le masque suffisamment longtemps et régulièrement).
ENJEU DU DISPOSITIF
Comment ne pas souligner que l’enjeu de ce dispositif peut largement dépasser le simple périmètre financier de l’apnée du sommeil ? On remarquera aussi que, pour la première fois, une technique est imposée pour « télésurveiller » (néologisme auquel nous n’avons pas fini d’être confrontés) l’observance des malades.
On n’arrête pas le progrès ? Certains l’ont tenté. Quelques mois avant la mise en place de ce système, la Fédération française des associations et amicales de patients insuffisants ou handicapés respiratoires (FFAAIR) a qualifié la télésurveillance de « projet inacceptable en l’état » et a déposé un recours devant le Conseil d’Etat, le 2 avril. Le mois suivant, elle affichait sa « protestation ferme » et dénonçait les « mouchards devant équiper à grands frais les appareils mis à leur disposition ». Son recours a été rejeté. La télésurveillance des patients à leur domicile, hier encore cantonnée à la science-fiction, a débuté.
Pour l’instant, personne ne connaît les conséquences humaines d’une sanction financière de la mauvaise observance. Pour venir en aide aux patients ayant des difficultés à respecter les prescriptions, la communauté médicale internationale et les autorités de santé ont mis en avant des solutions d’autonomie et d’encouragement. Il y a vingt ans, une discipline à part entière a été créée en ce sens : l’éducation thérapeutique, qui a pour valeur la participation des patients et le respect de leur libre arbitre quant à leurs soins. Mais la télésurveillance alliant sanction et suivi électronique est une mesure de philosophie contraire.
Quelle place devra prendre le médecin découvrant les résultats de cette surveillance électronique se soldant par le déremboursement d’un patient ? Dans le cas d’une prescription justifiée, comment le médecin va-t-il pouvoir aider son patient ? Dans le cas contraire, à savoir une prescription inutile, ce qui, hélas !, ne manque pas d’arriver, pourquoi avoir recours à une « pénalisation » du patient (le terme est celui de la FFAIRR), lorsque le médecin ne respecte pas la bonne indication ?
Avec la télésurveillance, les pouvoirs publics jouent du bâton envers les malades non observants. Y a-t-il une carotte ? Des experts de télémédecine espèrent que les capteurs électroniques enregistrant les paramètres du sommeil permettront d’améliorer les traitements. Peut-être. Mais à quel coût ? Et avec quels avantages démontrés ? Seul l’avenir le dira.
C’est dire l’importance de disposer, d’ici une à deux années, d’évaluations rigoureuses qui devraient inclure l’avis des associations de patients à qui le système vient d’être imposé. Seront-elles, cette fois, écoutées dans cette expertise ? Ou bien les pouvoirs publics resteront-ils juges et parties ?
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