L’autisme, qui concerne plus d’un enfant sur cent, pourrait-il être repéré dès les premiers mois de vie ? C’est ce que cherchent à savoir deux équipes, l’une, américaine, avec des tests de suivi du regard, l’autre, française, avec une approche génétique. Le diagnostic de ce trouble du développement est rarement porté avant l’âge de 3 ans, mais nombre de spécialistes plaident pour un dépistage avant 18 mois, pour une prise en charge plus précoce.
Dans un article publié le 7 novembre dans Nature, les Américains Warren Jones et Ami Klin mettent en évidence un déclin des capacités de suivi du regard à partir de 2 mois chez des bébés qui vont se révéler autistes. Les difficultés qu’ont ces patients à fixer leur entourage dans les yeux et à regarder les visages sont bien connues. Mais l’apparition de ces anomalies et leur évolution n’avaient pas été étudiées. Les chercheurs américains ont donc suivi 59 bébés à haut risque d’autisme du fait d’un antécédent dans la fratrie, et 51 sans risque particulier. A dix reprises, des tests de suivi du regard ont été pratiqués avec une méthode d’oculométrie ou eye-tracking, qui enregistre les mouvements oculaires à l’aide d’un système de caméras.
Alors que les capacités de fixation du regard étaient comparables au départ chez tous les nourrissons, elles se sont peu à peu altérées entre 2 et 6 mois chez ceux diagnostiqués plus tard avec un autisme. Pour les auteurs, ces résultats suggèrent que les comportements d’interactions sociales sont peut-être intacts à la naissance, ce qui offrirait une fenêtre pour la mise en route d’un traitement.
« Certes, cette étude porte sur un effectif limité, mais son grand intérêt est de montrer l’évolution dans le temps de ces symptômes classiques dans l’autisme, commente le professeur Richard Delorme, pédopsychiatre et chercheur (hôpital Robert-Debré, Paris). La régression du suivi du regard apparaît donc comme un marqueur objectif, survenant avant les signes cliniques. » Si ces résultats se confirment, les tests d’eye-trackingpourraient offrir des perspectives pour le dépistage et l’évaluation de thérapies précoces de l’autisme, conclut-il, en notant que « ces travaux font un pont entre ce que l’on sait de l’expression des gènes liés à l’autisme, perturbée dès la vie utérine ; et les troubles cliniques qui deviennent patents au bout de plusieurs années ».
PRUDENCE
La société française Integragen mise sur une autre stratégie : identifier des combinaisons de variants génétiques fréquents dans la population (polymorphismes nucléotidiques ou SNP) associées à un risque élevé d’autisme. Un premier test (Arisk) a été commercialisé aux Etats-Unis, en 2012, pour prédire le risque chez des enfants de 6 à 36 mois avec un frère ou une sœur atteint, en analysant 65 SNP dans l’ADN extrait de la salive. Coût : 2 650 dollars (1 965 euros).
Fin octobre, des chercheurs d’Integragen ont présenté de nouveaux résultats lors d’un congrès américain de pédopsychiatrie. En analysant le génome de 2 500 enfants autistes et de 5 000 témoins, ils ont identifié 1 706 SNP d’intérêt.« Ce n’est pas un test de diagnostic, mais de prédiction du risque d’autisme destiné à des enfants suspects de troubles du développement », insiste Claire Amiet, principale auteure de l’étude. Il sera bientôt disponible aux Etats-Unis, mais aucune demande n’est à l’ordre du jour en Europe.
Le généticien Thomas Bourgeron (Institut Pasteur, Paris), qui a contribué à la découverte de plusieurs gènes impliqués dans l’autisme, reste sceptique. « Identifier une combinaison de variants fréquents associés à une maladie, c’est le Graal. Mais même dans la sclérose en plaques, où cela a été réalisé, cela n’a pas abouti à des tests fiables, estime-t-il. Jusqu’ici, dans l’autisme, les études utilisant ces approches ont été toutes critiquées car elles n’ont pu être répliquées. Pour juger de la validité des données présentées par Integragen, il faut que les résultats soient publiés puis confirmés par d’autres équipes indépendantes. »
Pour le professeur Bruno Falissard, pédopsychiatre et professeur de biostatistiques, « la méthodologie et la taille de l’échantillon semblent correctes, mais le pouvoir prédictif de ce test (0,8) n’est tout de même pas excellent ». Comme d’autres spécialistes, il reste prudent sur la pertinence d’un dépistage précoce, qui peut être stigmatisant pour l’individu et sa famille, alors que l’autisme englobe des troubles de gravité très variable
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