Le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, l'a martelé, lundi 30 septembre, dans La Croix : "Il n'est pas question d'un temps d'enseignement sur la théorie du genre, pas plus dans les programmes scolaires que dans la formation des enseignants." Une réponse aux collectifs de parents mobilisés, au nom du rejet de la "théorie du genre", contre les "ABCD" de l'égalité. Ce dispositif pédagogique de lutte contre les inégalités entre filles et garçons, dont le volet Internet est consultable à partir de mardi 1er octobre, doit être mis en place en décembre dans un peu plus de 600 classes de 275 écoles primaires.
"Parents ! Attention ! L'école va inciter votre enfant dès 6 ans à choisir sa future orientation sexuelle : masculin, féminin, neutre, autre..." Le message a circulé, depuis la rentrée, sur Internet et les réseaux sociaux. A Pau, les tracts ont été distribués devant pratiquement toutes les écoles.
A l'initiative de cette alerte, le "Collectif des parents d'élèves du 64" – une vingtaine de membres actifs –, opposé à ce que les "ABCD" de l'égalité soient expérimentés dans l'académie de Bordeaux, qui s'est portée volontaire, avec neuf autres (Clermont-Ferrand, Créteil, Corse, Guadeloupe, Lyon, Montpellier, Nancy-Metz, Rouen et Toulouse), avant une possible généralisation à la rentrée 2014.
"GENRE" : LE MOT QUI FÂCHE
Au fondement du programme, un constat : les pratiques ordinaires des enseignants reproduisent souvent les inégalités entre les sexes, sans que professeurs, élèves ou parents en soient toujours conscients. Le diagnostic est ancien : l'égalité entre les femmes et les hommes a été inscrite dans la loi d'orientation de 1989, et associée au principe de mixité dans celle de 2005. Pourtant, filles et garçons continuent de voir peser sur leur réussite scolaire des préjugés profondément ancrés.
Censé y remédier, le programme "ABCD" de l'égalité se déclinera en dix séquences pédagogiques adaptables de la grande section de maternelle au CM2, avec un prolongement sur Internet (ressources, conférences, interviews...). Des séquences interdisciplinaires censées ne rien ajouter – ni en termes de contenu ni en termes d'horaires –, aux enseignements en vigueur, mais être intégrées dans les disciplines de manière transversale. Il ne s'agit donc pas d'ateliers ou de cours supplémentaires, mais plutôt d'un cadrage des pratiques – et des ressources – qui faisait défaut sur le terrain jusqu'à présent.
Dans ces séquences, aucune mention n'est faite au "genre". C'est que le mot fâche. Depuis le 3 septembre, des parents se sont rassemblés en "comités de vigilance" et autres collectifs. Constitués le plus souvent à l'appel de la Manif pour tous ou de l'Observatoire de la théorie du genre (affilié au syndicat étudiant de droite UNI), ils entendent veiller à ce que la prétendue "théorie du genre" ne passe pas les portes de l'école. "Ce que nous réfutons, c'est que l'école fasse de l'idéologie, en promouvant une indifférenciation sexuelle, en remettant en cause l'idée de complémentarité entre les sexes", témoigne Sylvia Larrousse, juriste et mère de trois enfants. Dans les deux semaines qui ont suivi la rentrée, son collectif a écoulé près de 4 000 tracts à Pau.
"DU RESSORT DE LA FAMILLE"
Eric Le Roux, cadre bancaire mobilisé à Versailles, père de trois garçons, estime lui aussi qu'une "offensive de certains lobbies se joue en direction de l'école, dès les plus petites classes". "Je doute qu'on lutte contre les inégalités en enlevant aux enfants leurs repères de petits garçons ou de petites filles", affirme ce père, qui "continue de penser que l'éducation sentimentale ou à la sexualité, quel que soit le nom qu'on lui donne, doit rester du ressort de la famille".
La polémique, ravivée par six mois de débats sur le mariage pour tous, n'est pas tout à fait nouvelle : elle remonte à l'introduction en 2011 du chapitre "devenir homme ou femme" dans les programmes de biologie de 1re. Et en cette rentrée, les "ABCD" de l'égalité ne sont pas seuls en cause. Dans la ligne de mire de ces parents, des ouvrages de littérature jeunesse, des ateliers liés à la réforme des rythmes scolaires (qui disent "casser les clichés"), des associations invitées à intervenir lors des trois séances annuelles d'éducation à la sexualité en collège et lycée...
Du côté de la FCPE, principale fédération de parents, on ne veut pas surestimer la mobilisation. "Ces comités autoproclamés ne représentent pas grand-chose de plus qu'eux-mêmes, souligne Paul Raoult, son nouveau président. Je n'ai pas le sentiment qu'ils aient des relais sur tout le territoire, même s'il est vrai qu'ils savent faire du lobbying et parler haut."
DÉBUT DE RÉPONSE
Son de cloche très différent du côté de l'UNI, qui revendique 1 300 parents "référents" sur ce dossier dans toutes les académies... dont entre 15 % et 20 % d'enseignants et de chefs d'établissement. Une donnée invérifiable, mais qui ne surprend guère Natacha Taurisson, enseignante en lycée professionnel et coordinatrice du Collectif éducation contre les LGBT-phobies en milieu scolaire. "Ces questions traversent la société et la divisent, au-delà des clivages politiques, qu'on soit croyant ou pas. Rien d'étonnant à ce qu'elles traversent aussi l'école."
Le SNUipp-FSU, syndicat majoritaire parmi les professeurs des écoles, ne le nie pas. "Evidemment que l'école peut, ici ou là, être instrumentalisée pour continuer la bataille contre l'égalité des droits, reconnaît Sébastien Sihr, son secrétaire général. Mais c'est son rôle de lutter contre toutes les formes de discriminations, et cela passe par une formation des enseignants aux questions vives, celles sous le feu de l'actualité face auxquelles ils se sentent encore moins armés." Un besoin d'accompagnement qui, avec les "ABCD" de l'égalité, connaît un début de réponse.
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