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samedi 16 février 2013

Un témoin alcoolisé est-il fiable ?

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 
Selon un rapport de l'Organisation mondiale de la santé paru en 2011, chaque Terrien de plus de 15 ans consomme en moyenne l'équivalent de 6,13 litres d'alcool pur par an. Rien d'étonnant à ce que, dans les affaires criminelles, accusés, victimes et témoins - ou les trois catégories en même temps - soient souvent sous l'emprise de la boisson au moment du drame. Lors des procès, ils se restreignent. Cependant, les premiers ont une excuse toute trouvée pour ne plus bien se rappeler où ils étaient ni ce qu'ils ont fait, les secondes ne sont parfois plus là pour s'exprimer, et beaucoup repose sur les troisièmes. Mais que vaut le témoignage d'une personne imbibée ? Le spectre de l'erreur judiciaire se promène-t-il les poches remplies de litrons ?
Ayant constaté que presque aucune recherche n'avait été consacrée à l'influence de l'alcool sur la mémoire et la fiabilité des témoins oculaires, une équipe suédoise de l'université de Göteborg s'est attelée à la tâche. Ses résultats ont été publiés dans le numéro de janvier d'une revue très spécialisée, The European Journal of Psychology Applied to Legal Context.
On a déjà, dans cette chronique de la science improbable, évoqué une étude de 1970 au cours de laquelle des chercheurs américains avaient emmené quelques volontaires dans un voyage au bout de la cuite pour explorer la réalité du fameux trou noir d'après-boire. Leurs héritiers suédois se sont inspirés du même protocole, la modération en plus.
Ils ont recruté 123 personnes par l'entremise d'une petite annonce, qu'ils ont réparties en trois groupes. Le premier est resté sobre pour servir de point de comparaison. Grâce à un cocktail vodka-orange (qui a dit que la science était austère ?), le deuxième a été porté à un petit 0,4 gramme d'alcool par litre de sang tandis que le troisième a poussé jusqu'à 0,7 g/l.
A ce niveau, qui n'est pas encore celui de l'ébriété avancée, le comportement commence néanmoins à changer. On devient extraverti, joyeux, loquace mais on éprouve aussi quelques difficultés à se concentrer, à raisonner ou à percevoir les détails. Rappelons qu'en Suède il est interdit de conduire avec une alcoolémie supérieure à 0,2 g/l (contre une limite de 0,5 g/l en France).
Après la boisson, les cobayes, installés dans un salon cosy, ont regardé une vidéo de presque cinq minutes montrant une fiction réaliste au cours de laquelle deux hommes kidnappaient une femme à un arrêt de bus. La scène était filmée du point de vue d'un témoin et le visage du principal ravisseur apparaissait en gros plan pendant un total de trente-six secondes.
Une semaine plus tard, les 123 volontaires sont revenus pour... une séance d'identification. Leur était proposé un jeu de huit photos d'hommes (contenant ou pas celle du principal criminel) et chaque cobaye devait dire si le kidnappeur était ou n'était pas parmi ces "suspects".
Résultat : pas de grande différence entre les trois groupes. Notons que, même si ce n'est pas significatif, le plus physionomiste... était aussi le plus alcoolisé ! Cela remet en cause l'idée selon laquelle on ne peut se fier au témoignage d'une personne imprégnée d'alcool. Les chercheurs pensent que leurs cobayes n'avaient pas bu assez pour subir une amnésie et une myopie alcooliques.
Sans doute faudra-t-il sensiblement augmenter les doses la prochaine fois, pour pouvoir entendre : "Votre Honneur, je suis formel, c'est cet éléphant rose qui a braqué la bijouterie."
Journaliste et blogueur
(Passeurdesciences.blog.lemonde.fr)

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