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samedi 16 février 2013

La médecine préventive doit créer ses propres règles

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 
Entre 1990 et 2010, en France, la longévité a augmenté de 3,2 ans pour les femmes et de 4,5 ans pour les hommes, mais le gain significatif est celui de l'espérance de vie en bonne santé : 1,4 an pour les femmes et près du double, 2,7 ans, pour les hommes. Les hommes sont en retrait des femmes en termes de longévité (77,5 ans contre 84,3 ans), mais ils les talonnent en termes de durée de vie en bonne santé (65,5 ans contre 68,8 ans). Cela met en avant une nouvelle orientation des efforts de santé publique vers l'accroissement de la durée de vie en bonne santé, en complément de l'augmentation de la longévité, activité assignée à l'Assurance-maladie.
L'objectif majeur de la médecine a été, de tout temps, la guérison des malades. L'arsenal des moyens mis en jeu vise à établir un diagnostic positif, base d'une thérapeutique ciblée dont l'objectif est de garder les malades en vie et en bonne santé le plus longtemps possible. Cette démarche prouve son succès dans l'augmentation de la longévité. A cette médecine curative, il convient d'ajouter la médecine prédictive, qui doit assurer la recherche de pathologies en phase asymptomatique, permettre la prédiction de leur survenue, assurer leur prise en charge anticipée par des moyens spécifiques et ainsi obtenir un allongement de l'espérance de vie en bonne santé.
UNE ENTITÉ AUX MILLE FACETTES
Le bras armé de la médecine prédictive est le dépistage. Le plus efficace est le dépistage néonatal, qui obéit à des règles strictes : la maladie est grave, précoce, fréquente, accessible à un traitement et détectable par un test fiable. Hors de ce contexte, le dépistage est une entité aux mille facettes qui a suscité d'intenses controverses, particulièrement dans le cadre des affections cancéreuses. Le résultat le plus saillant de ce brouhaha médiatique a été l'émergence de la notion d'excès diagnostique. Ce "surdiagnostic" a été stigmatisé comme étant le meilleur moyen de rendre les gens malades dans le but de préserver leur santé.
Le diagnostic du cancer de la prostate est fondé sur le taux circulant du PSA, antigène spécifique de la prostate. En 2009, une étude européenne portant sur 182 000 hommes montre que, pour prévenir 1 décès, il faut dépister 1 410 hommes et traiter les 48 cancers détectés. Le dépistage est efficace, mais le bénéfice quasi nul. La même année, une étude américaine d'ampleur égale montre que la mortalité, très faible, est la même pour les patients dépistés ou pas. Efficaces dans le suivi de patients cancéreux, les dosages de PSA s'avèrent inopérants dans le dépistage.
Dans le cas du cancer du sein, l'incidence est, en Afrique, de 2 cas pour 10 000 ; elle est 5 fois plus forte aux Etats-Unis. Cette différence est attribuée au recours à une technologie très coûteuse, l'imagerie. Par ailleurs, les études génétiques ont permis de distinguer dix types de cancer du sein, chacun nécessitant un dépistage spécifique. De plus, la recherche systématique de ce cancer à l'autopsie montre une incidence de 7 % à 39 % chez des patientes décédées d'une tout autre cause.
EXCÈS COÛTEUX 
Prises dans leur ensemble, les informations disponibles vont dans le sens d'un excès coûteux dans la démarche diagnostique et thérapeutique. La survie est améliorée, mais au prix d'une morbidité excessive. Le cancer de la thyroïde présente un risque de surdiagnostic bien connu, mais mal maîtrisé. La prévalence des cancers thyroïdiens nécessitant une prise en charge médicale et dits "d'expression clinique" avoisine 0,3 %, alors que la recherche systématique d'un cancer de la thyroïde affiche une prévalence qui peut atteindre 100 % selon la technique utilisée.
L'incidence a augmenté de manière quasi exponentielle au cours des dernières années ; elle concerne les formes "précoces", de petite taille, jusque-là inaccessibles. Dans le même temps, la mortalité a diminué avec la même régularité. Cette évolution est due à l'utilisation de l'échographie et de la cytologie après ponction à l'aiguille fine. On ne peut parler d'excès de diagnostic, le cancer est bien présent. C'est la prise en charge thérapeutique qui est excessive, là où une simple surveillance suffirait.
L'image traditionnelle du cancer, encore enseignée, est que le décès du patient est quasi inéluctable. Une telle vision est à l'origine des excès diagnostiques. Ceux-ci et leurs corollaires, les excès thérapeutiques, peuvent aussi rendre malade : si le but du dépistage est d'"allumer la cible", un dangereux cancer à éliminer, des traitements excessifs peuvent entraîner des "dommages collatéraux" portant tort au patient.
EXCÈS DIAGNOSTIQUES
Une solution est le développement d'outils spécifiques fiables de la phase asymptomatique des affections. Une première action est de reconsidérer les seuils de signification des marqueurs dont on dispose. L'exemple des excès diagnostiques dus à l'incertitude sur les valeurs seuils du PSA est suffisamment éloquent. Si le cancer du sein se décline en dix entités physiopathologiques distinctes, chacune doit bénéficier de marqueurs précoces de malignité permettant d'évoquer diagnostics et pronostics fiables.
L'axe majeur est l'amélioration de la spécificité réelle des dosages biologiques, de la cytologie et de l'anatomopathologie. Il est impératif de s'assurer que la "cible" visée est bien celle que l'on croit. La Commission européenne a fait part de ses doutes par une proposition réglementaire, fin 2012, qui sera bientôt soumise au Parlement européen.
Il faut évaluer avec soin le coût humain tout autant que les coûts financiers. Dans le cas du cancer de la prostate, le dépistage est sévèrement mis en cause. Pour ce qui est du coût financier, il suffit de rappeler que le projet de financement de l'assurance-maladie soumis au Congrès des Etats-Unis par le président Obama mettait en avant le fait que ce projet pouvait diminuer les dépenses de centaines de milliards de dollars tout en assurant une meilleure santé à la population ; une des mesures proposées est l'arrêt du dépistage du cancer de la prostate.
Le diagnostic précoce est devenu une ambition courante. La précocité peut s'avérer un atout, mais trop de précocité peut être un danger, car elle expose trop de gens à risque faible à des traitements inutiles sinon dangereux. Autre point majeur, la médecine prédictive doit créer ses propres instruments et non se satisfaire de ceux utilisés par la médecine curative. La médecine prédictive peut jouer un rôle de premier plan dans l'évolution des pratiques médicales. Il restera à l'intégrer dans l'enseignement de la médecine de demain.
Le supplément "Science & techno" publie chaque semaine une tribune libre ouverte au monde de la recherche. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l'adresser à sciences@lemonde.fr

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