Isabella Rossellini, éthologue modèle
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Elle est une maman hamster (Mesocricetus auratus) qui dévore sans état d'âme deux de ses bébés pour se requinquer, "récupérer un peu de protéines et vitamines perdues à l'accouchement". Elle est une femelle coucou (Cuculus canorus) qui pond ses oeufs dans le nid d'une autre espèce pour ne pas se fatiguer à les élever. Et bien d'autres bestioles encore qui mettent les pieds dans le plat du sacro-saint instinct maternel. Elle est avant tout une femme célèbre, actrice et mannequin, métamorphosée en scénariste, réalisatrice et interprète de courts-métrages "scientifico-comiques" sur les comportements animaux.
Après avoir exploré les moeurs sexuelles et les techniques de séduction des insectes, poissons et autres bêtes qui volent ou qui nagent dans les séries documentaires "Green Porno" (2008) et "Seduce Me" (2011), Isabella Rossellini s'attaque au thème mythique de la maternité avec "Mammas", dix épisodes de trois minutes (diffusés sur Arte jusqu'au 17 février). Le contrat, faire découvrir en divertissant, à moins que ce ne soit le contraire, est une fois encore parfaitement rempli.
PREMIÈRES AMOURS
Pour ceux qui auraient encore en tête l'image de la star de cinéma (sublime héroïne, entre autres rôles, du cultissime Blue Velvet de David Lynch, sorti en 1986) et modèle (égérie de la marque Lancôme de 1983 à 1995), il est temps de faire une mise à jour. Désormais sexagénaire, la fille de ces deux monstres de cinéma que furent l'actrice suédoise Ingrid Bergman et le réalisateur italien Roberto Rossellini explore de nouveaux horizons, ou plutôt retourne à ses premières amours : les animaux.
Dans un discret salon parisien, à quelques jours de son envol pour le Festival de Berlin où elle a présenté cette semaine "Mammas" en avant-première, cette femme distinguée évoque avec bonheur sa nouvelle vie. Une vie à mille facettes où se côtoient Charles Darwin, Robert Redford, la primatologue Jane Goodall et le conteur et scénariste Jean-Claude Carrière. Une vie d'étudiante (depuis trois ans). Une vie de campagnarde qui apprend à guetter dans la nature les indices des changements de saison (depuis six ans). Mais une vie d'artiste et d'amis des bêtes, depuis toujours.
KONRAD LORENZ, PIONNIER DE L'ÉTHOLOGIE
"Petite, je réclamais des chiens, je rentrais à la maison avec des chats recueillis dans la rue", se souvient cette Italo-Américaine qui a grandi entre l'Italie et Paris. L'obsession de gamine prend une nouvelle dimension à l'adolescence avec la découverte des livres du pionnier de l'éthologie, Konrad Lorenz, offerts par son père. On est à la fin des années 1960 et la jeune Isabella, "fascinée", caresse même l'idée de faire des études dans cette discipline, balbutiante en Italie. A défaut d'un métier, les animaux resteront un hobby, des compagnons qui"rendent la vie plus gaie". Aux classiques chiens et chats s'ajoutent poulets, cochons et lapins depuis qu'elle a quitté son appartement de Manhattan pour s'établir dans sa résidence secondaire de Long Island, à une heure de New York. Elle y accueille aussi des chiots destinés à devenir chiens d'aveugle, pour le compte d'une fondation américaine.
C'est à Robert Redford qu'elle doit le déclic de ses mini-documentaires animaliers, il y a six ans. Isabella Rossellini venait d'écrire le scénario d'un film de quinze minutes en hommage à son père, que le producteur américain avait acheté pour sa chaîne de télévision Sundance."Nostalgique des formats courts du cinéma muet et préoccupé d'environnement, Redford m'a suggéré de me lancer dans des courts-métrages sur ces thèmes, adaptés à l'Internet. L'idée d'explorer la sexualité des animaux a jailli d'un coup", raconte la réalisatrice. La série "Green Porno" se concrétise en 2008, avec un succès immédiat à la télévision et sur Internet. Elle est suivie d'une seconde saison puis de "Seduce Me", dont certains épisodes sont actuellement projetés au Palais de la découverte, dans le cadre de l'exposition "Bêtes de sexe".
FEMME ORCHESTRE
D'emblée, la volonté d'un réalisme scientifique a été affirmée, autant que la tonalité burlesque. "C'est la rigueur qui fait que c'est drôle, sinon ce ne serait que le délire d'une vieille folle", s'amuse cette femme orchestre qui réussit le pari de ne pas se prendre au sérieux tout en travaillant sérieusement. Au point qu'elle s'est inscrite à l'université de New York il y a trois ans pour approfondir ses connaissances des comportements animaux. C'est là qu'elle a pioché l'idée de "Mammas", à la lecture d'un ouvrage de la biologiste américaine Marlene Zuk, recommandé lors d'un cours consacré au darwinisme.
"Marlene est partie de l'hypothèse de Darwin selon laquelle l'altruisme pourrait provenir d'un instinct maternel élargi. Mais, à travers mille exemples dans le règne animal, elle montre que le sujet est bien plus complexe que le stéréotype de la mère toujours attendrie et prête au sacrifice. C'est amusant mais aussi libérateur", s'enthousiasme Isabella Rossellini. Elle-même, dans la petite enfance de sa fille Elettra, s'était parfois demandé où était ce fameux instinct maternel dont on lui avait tellement dit qu'il la guiderait.
"LICENCES POÉTIQUES"
Pour ce nouveau métier, Isabella Rossellini s'entoure de cautions scientifiques comme l'éthologue et biologiste écossais Alan Grafen. Mais se dit soulagée quand ils respectent "ses licences poétiques". L'amour du cinéma et du beau est toujours là. La série "Mammas", tournée à Paris et en français, a même été l'occasion pour la mannequin de renouer avec le milieu de la mode. Au bénéfice des costumes. Le bestiaire rossellinien séduit, et la veine ne semble pas près de se tarir.
Dans quelques mois, l'actrice montera sur scène pour jouer un monologue coécrit avec Jean-Claude Carrière, sur ce thème inépuisable des sexualités animales. "Tout cela est venu aussi avec l'âge, confie-t-elle après un silence. Avec la vieillesse, il y a moins de pressions, moins de responsabilités, et d'un coup une grande liberté à laquelle je ne m'attendais pas." L'occasion de réaliser des rêves d'enfant.
Sandrine Cabut
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