Des garçons nés dans les roses
Différence. Ils s’imaginent en fille, s’habillent avec des tee-shirts à fleurs, ce sont les «pink boys». Trois quarts de ces enfants deviendront gay. Aux Etats-Unis, le phénomène est de mieux en mieux reconnu.
Sharon Pruitt
A 6 ans, John (1) refuse de se laisser couper les cheveux et porte une robe pour aller à l’église tous les dimanches. «On a commencé à comprendre qu’il était différent lorsqu’il a eu 3 ans, raconte sa mère. Il s’était mis à vouloir absolument une baguette magique. Lorsqu’il l’a obtenue, il était très déçu en découvrant que ce n’était pas une "vraie". Il nous a finalement expliqué qu’il la voulait pour se transformer en fille.» Après des mois de grand désarroi, sa mère a compris : John est un «pink boy», un «garçon rose» ou «enfant en non-conformité de genre», comme on appelle aux Etats-Unis les petits garçons qui s’imaginent en filles. L’inverse existe aussi, sous le nom bien connu de «garçon manqué» mais nos sociétés l’acceptent généralement mieux et font moins de drames lorsqu’une fillette s’habille en garçon.
Phénomène. Merveilleusement décrit, en 1997 déjà, par le film du Belge Alain Berliner, Ma vie en rose, qui fait encore référence parmi tous les parents concernés, le phénomène est de mieux en mieux reconnu aux Etats-Unis, ce qui ne signifie pas qu’il soit encore facile à vivre pour les enfants et leurs parents. «Mon fils est très timide, il n’aime pas du tout attirer l’attention… et il ne peut s’empêcher de partir à l’école en nattes, chaussures roses et tee-shirt à fleurs», explique la maman de John, qui raconte ses expériences dans un blog suivi par des milliers de lecteurs, Pink Is for Boys. «Le problème est que notre société ne laisse pas beaucoup d’espace à ces enfants : des jouets aux dessins animés, on ne cesse de marteler ce qui est bon pour les filles ou bon pour les garçons. Quand je croise des gens, même bien intentionnés, souvent ils me disent en voyant mon fils : "Mais, je pensais que vous aviez un garçon !"» «Les problèmes commencent généralement en fin de maternelle, vers 5-6 ans, quand les autres enfants commencent à remarquer que leur petit camarade est différent», observe Catherine Tuerk, cofondatrice avec le psychiatre Edgardo Menvielle ( lire interview ci-contre ) d’un groupe de soutien et d’un forum Internet pour ces familles. «Les parents, du moins ceux qui nous contactent, ne cherchent plus aujourd’hui à réprimer les tendances de leurs enfants. Ils acceptent généralement l’idée qu’ils seront sans doute homosexuels plus tard, mais ils veulent s’assurer qu’ils pourront vivre leur enfance sans trop de heurts et sans être harcelés à l’école.» La ligne directrice que donne généralement cette thérapeute est d’expliquer à ces enfants que leur comportement n’a «rien de répréhensible ou de mal en soi», mais que le reste du monde ne les comprend pas toujours.
«Particularités». Au fil des ans les familles de ces pink boys sont devenues plus sûres d’elles-mêmes et du respect dû à cette différence, observe Ann Philips, une des premières mamans à avoir rejoint le groupe de soutien de Washington quand son garçon était adolescent, à la fin des années 1990 : «Je vois maintenant des parents contacter les écoles de façon proactive pour demander qu’elles tiennent compte des particularités de leurs fils.» Une lettre, qui circulait récemment sur le forum de discussion du docteur Menvielle, demandait ainsi à un proviseur qu’un enfant soit dispensé de sport pour lui éviter la séparation toujours douloureuse pour lui entre groupe de filles et groupe de garçons. A la place, l’enfant fera «au moins cinq heures de patin à glace par semaine», ont promis ses parents.
Malgré tous les progrès accomplis ces dernières années aux Etats-Unis pour mieux reconnaître et accepter ces garçons qu’on appelle aussi de «genre fluide», les épreuves sont pourtant nombreuses encore, et pour leurs parents aussi. «Ni mon aîné ni mon conjoint ne veulent accepter la particularité de mon plus jeune fils, raconte la mère d’un autre pink boy âgé de 15 ans. Depuis la crèche, Nils a toujours été attiré par les hauts talons ou les robes de princesse. Il voulait porter des barrettes ou me demandait de lui nouer une taie d’oreiller sur les pieds, pour se faire une queue de sirène. Jusqu’à l’âge de 13 ans, il ne voulait plus qu’on lui coupe les cheveux. Maintenant, à force de se voir traiter de fille ou de pédé à l’école, il porte au contraire les cheveux très courts et il est même devenu très homophobe ! Il reste assez efféminé mais quand j’essaie d’en parler avec lui, il s’énerve tout de suite et m’assure qu’il n’est pas gay…» La maman soupire, soulagée de se confier, mais toujours rongée d’inquiétude : «On a beau en parler avec des spécialistes, cela fait mal de voir son enfant souffrir de son genre. On voudrait bien l’aider à être lui-même, et ce n’est pas toujours possible.»
(1) Prénom fictif, la plupart des familles citées dans cet article ayant requis l’anonymat.
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