L'ordinaire des urgences
03.02.11
Point de vue
L'affaire du Mediator focalise aujourd'hui tous les regards sur les relations pour le moins problématiques entre les laboratoires pharmaceutiques et l'Etat. Le scandale sera sans doute chassé par un autre, mais il y en a qui pourrait se révéler encore plus explosif et qui relève du fonctionnement même des hôpitaux. Il suffit d'un malaise pour se retrouver en moins de deux dans la cour des miracles des urgences.
Tout va bien avec les pompiers, professionnels, calmes, mais tout se complique à Bichat (groupement hospitalier universitaire parisien). Conduit le mardi 11 janvier aux alentours de 10h30, j'en repars à 16 h après avoir attendu pendant près de cinq heures l'arrivée du médecin au demeurant exemplaire et qui me délivre enfin mon bon de sortie. Dès l'accueil, vu la pénurie de lit, on m'annonce que je dois plutôt prendre une chaise, option abandonnée quand on s'aperçoit que je suis incapable de m'asseoir. On m'emmène au bilan. L'infirmière assistée d'un stagiaire affolé prépare mon dossier, direction le box rouge n°6. J'ai juste la chance d'échapper encore une fois à la chaise et l'on me gare dans ma cellule.
Groggy, au bout d'une heure je demande à voir un médecin, je comprends bien que ceux qui passent devant moi, réclament des soins immédiats : une épileptique, une vieille dame à qui l'on fait un vestiaire, autrement dit on l'a déshabille devant tout le monde au milieu du couloir. Seul, je bénéficie d'un privilège exorbitant. Le monsieur d'à côté gémit, la vieille dame veut aller aux toilettes. Les infirmiers courent dans tous les sens. Le haut-parleur de mon box crachote des ordres à l'infini, "des infirmiers psychiatriques à l'accueil", "on demande des chaises".
SOUS-EFFECTIF CHRONIQUE
L'accueil au bord de la crise ne peut plus traiter ceux qui débarquent, les cardiaques, les quinteux, les esseulés, et tous ceux qui, atterrés, désespèrent au parking de l'attente. La bande son poursuit sa plainte : "Yvette localise-toi !" "Asia où es-tu ?" "A tous rendez-vous à la régul(ation)", sans doute pour examiner la feuille de route d'un après-midi ordinaire. A mon tour, j'exprime le souhait d'aller aux toilettes, un infirmier compatissant happé au hasard de sa course me soutient, on passe par une salle collective comble, les toilettes sont au bout impraticables ; ils débordent comme les urgences, comme les angoisses.
L'infirmière qui pose l'électrocardiogramme de mon salut avoue son incapacité à suivre le rythme, elle va aller ailleurs. Un sous-effectif chronique oblige le personnel à se débarrasser des patients, pour désengorger le service, et s'accorder à la rotation frénétique de la valse continue des demandeurs de soins. Les visiteurs entraînés dans la dégradation d'un système hospitalier à bout de souffle qui les dessaisit de leur identité n'ont plus que le choix de subir le stress des urgences ou de prier le ciel de les sortir de là le plus vite possible. Faudra-t-il attendre que les malades soient à leur tour victimes de l'hôpital pour que l'affaire des urgences prenne le relais du Médiator ?
Bertrand Raison, consultant
03.02.11
Point de vue
L'affaire du Mediator focalise aujourd'hui tous les regards sur les relations pour le moins problématiques entre les laboratoires pharmaceutiques et l'Etat. Le scandale sera sans doute chassé par un autre, mais il y en a qui pourrait se révéler encore plus explosif et qui relève du fonctionnement même des hôpitaux. Il suffit d'un malaise pour se retrouver en moins de deux dans la cour des miracles des urgences.
Tout va bien avec les pompiers, professionnels, calmes, mais tout se complique à Bichat (groupement hospitalier universitaire parisien). Conduit le mardi 11 janvier aux alentours de 10h30, j'en repars à 16 h après avoir attendu pendant près de cinq heures l'arrivée du médecin au demeurant exemplaire et qui me délivre enfin mon bon de sortie. Dès l'accueil, vu la pénurie de lit, on m'annonce que je dois plutôt prendre une chaise, option abandonnée quand on s'aperçoit que je suis incapable de m'asseoir. On m'emmène au bilan. L'infirmière assistée d'un stagiaire affolé prépare mon dossier, direction le box rouge n°6. J'ai juste la chance d'échapper encore une fois à la chaise et l'on me gare dans ma cellule.
Groggy, au bout d'une heure je demande à voir un médecin, je comprends bien que ceux qui passent devant moi, réclament des soins immédiats : une épileptique, une vieille dame à qui l'on fait un vestiaire, autrement dit on l'a déshabille devant tout le monde au milieu du couloir. Seul, je bénéficie d'un privilège exorbitant. Le monsieur d'à côté gémit, la vieille dame veut aller aux toilettes. Les infirmiers courent dans tous les sens. Le haut-parleur de mon box crachote des ordres à l'infini, "des infirmiers psychiatriques à l'accueil", "on demande des chaises".
SOUS-EFFECTIF CHRONIQUE
L'accueil au bord de la crise ne peut plus traiter ceux qui débarquent, les cardiaques, les quinteux, les esseulés, et tous ceux qui, atterrés, désespèrent au parking de l'attente. La bande son poursuit sa plainte : "Yvette localise-toi !" "Asia où es-tu ?" "A tous rendez-vous à la régul(ation)", sans doute pour examiner la feuille de route d'un après-midi ordinaire. A mon tour, j'exprime le souhait d'aller aux toilettes, un infirmier compatissant happé au hasard de sa course me soutient, on passe par une salle collective comble, les toilettes sont au bout impraticables ; ils débordent comme les urgences, comme les angoisses.
L'infirmière qui pose l'électrocardiogramme de mon salut avoue son incapacité à suivre le rythme, elle va aller ailleurs. Un sous-effectif chronique oblige le personnel à se débarrasser des patients, pour désengorger le service, et s'accorder à la rotation frénétique de la valse continue des demandeurs de soins. Les visiteurs entraînés dans la dégradation d'un système hospitalier à bout de souffle qui les dessaisit de leur identité n'ont plus que le choix de subir le stress des urgences ou de prier le ciel de les sortir de là le plus vite possible. Faudra-t-il attendre que les malades soient à leur tour victimes de l'hôpital pour que l'affaire des urgences prenne le relais du Médiator ?
Bertrand Raison, consultant
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