Le gène du suicide n’est pas encore identifié, heureusement ?
Le suicide constitue l’un des événements les plus tragiques auxquels les psychiatres se trouvent confrontés dans leur pratique, et malgré les efforts de maintes générations de médecins, le passage à l’acte suicidaire demeure aussi commun que difficile à prévoir. Il est donc tentant d’essayer de réduire cette marge d’imprévisibilité, en recherchant notamment des facteurs génétiques de prédisposition au suicide. « Sonder le génome pour comprendre le suicide » : une idée d’autant plus plausible qu’on connaît avec certitude certaines familles (comme celles du philosophe Ludwig Wittgenstein et de l’écrivain Ernest Hemingway) comportant plusieurs cas de suicide.
Portant sur près de 2 millions de variants génétiques chez près de 6 000 sujets avec troubles bipolaires et 3 000 avec dépression majeure, une étude récente n’a toutefois pas pu mettre en évidence un éventuel « gène du suicide. » En particulier, elle n’a apporté aucune confirmation du rôle de 19 gènes dont l’implication était pourtant suspectée. Par conséquent, aucun test génétique n’est actuellement envisageable pour prédire une majoration du risque suicidaire. Et heureusement, pourrait-on dire, vu la réaction possible devant une telle révélation !
Plusieurs mécanismes contribuent sans doute à ce résultat négatif, explique l’auteur. D’une part, le suicide survient souvent chez des sujets jeunes, avant toute procréation : ils meurent donc avant d’avoir pu transmettre le(s) gène(s) éventuel(s) de prédisposition au suicide qu’ils portaient. Autre hypothèse : le(s) gène(s) concerné(s) pourrai(en)t être un (des) varian(t)s rare(s), demandant des études sur des échelles de population bien plus grandes. Enfin, il est difficile de départager le rôle des gènes et celui de l’environnement, en particulier le rôle interférant tenu peut-être par les médicaments antidépresseurs, généralement prescrits chez les sujets (déprimés) enrôlés dans ce type d’études sur l’épidémiologie du suicide.
Recruter à cet effet des cohortes de personnes dépressives introduit-il un biais systématique ? Il semble que non, car la prédisposition génétique au suicide (apparemment indéniable) serait « indépendante de toute (autre) susceptibilité génétique à une maladie mentale », de sorte que les résultats observés chez des sujets dépressifs seraient a priori transposables pour d’autres populations. Au total, en l’absence de « gène du suicide » précis et donc de tout « dépistage » génétique possible d’une telle prédisposition, le meilleur indicateur d’une éventuelle susceptibilité au suicide demeure l’anamnèse personnelle et familiale.
Dr Alain Cohen
Uher R et Perroud N : Probing the genome to understand suicide. Am J Psychiatry, 2010 ; 167-12 : 1425-1427.
Publié le 26/01/2011
Le suicide constitue l’un des événements les plus tragiques auxquels les psychiatres se trouvent confrontés dans leur pratique, et malgré les efforts de maintes générations de médecins, le passage à l’acte suicidaire demeure aussi commun que difficile à prévoir. Il est donc tentant d’essayer de réduire cette marge d’imprévisibilité, en recherchant notamment des facteurs génétiques de prédisposition au suicide. « Sonder le génome pour comprendre le suicide » : une idée d’autant plus plausible qu’on connaît avec certitude certaines familles (comme celles du philosophe Ludwig Wittgenstein et de l’écrivain Ernest Hemingway) comportant plusieurs cas de suicide.
Portant sur près de 2 millions de variants génétiques chez près de 6 000 sujets avec troubles bipolaires et 3 000 avec dépression majeure, une étude récente n’a toutefois pas pu mettre en évidence un éventuel « gène du suicide. » En particulier, elle n’a apporté aucune confirmation du rôle de 19 gènes dont l’implication était pourtant suspectée. Par conséquent, aucun test génétique n’est actuellement envisageable pour prédire une majoration du risque suicidaire. Et heureusement, pourrait-on dire, vu la réaction possible devant une telle révélation !
Plusieurs mécanismes contribuent sans doute à ce résultat négatif, explique l’auteur. D’une part, le suicide survient souvent chez des sujets jeunes, avant toute procréation : ils meurent donc avant d’avoir pu transmettre le(s) gène(s) éventuel(s) de prédisposition au suicide qu’ils portaient. Autre hypothèse : le(s) gène(s) concerné(s) pourrai(en)t être un (des) varian(t)s rare(s), demandant des études sur des échelles de population bien plus grandes. Enfin, il est difficile de départager le rôle des gènes et celui de l’environnement, en particulier le rôle interférant tenu peut-être par les médicaments antidépresseurs, généralement prescrits chez les sujets (déprimés) enrôlés dans ce type d’études sur l’épidémiologie du suicide.
Recruter à cet effet des cohortes de personnes dépressives introduit-il un biais systématique ? Il semble que non, car la prédisposition génétique au suicide (apparemment indéniable) serait « indépendante de toute (autre) susceptibilité génétique à une maladie mentale », de sorte que les résultats observés chez des sujets dépressifs seraient a priori transposables pour d’autres populations. Au total, en l’absence de « gène du suicide » précis et donc de tout « dépistage » génétique possible d’une telle prédisposition, le meilleur indicateur d’une éventuelle susceptibilité au suicide demeure l’anamnèse personnelle et familiale.
Dr Alain Cohen
Uher R et Perroud N : Probing the genome to understand suicide. Am J Psychiatry, 2010 ; 167-12 : 1425-1427.
Publié le 26/01/2011
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