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Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

lundi 31 août 2020

Rentrée scolaire : « La priorité absolue est de réapprendre à nos élèves à vivre en groupe »









Ce ne sont pas d’évaluations « diagnostiques », annoncées par le ministre de l’éducation nationale, que les élèves auront besoin, mais de l’ouverture et de la diversité que représente l’école, affirme dans une tribune au « Monde », Jean-Baptiste Labrune, enseignant en primaire.
Publié le 31 août 2020
Tribune. Parents, professeurs et collectivités locales ont dû patienter jusqu’au dernier moment, mais le cadre général du protocole sanitaire en milieu scolaire est enfin connu. Il reste maintenant quelques jours à la communauté éducative pour organiser l’accueil des élèves dans ces conditions si étranges : port du masque obligatoire pour les adultes, fin des échanges entre les classes pour éviter le brassage des enfants, limitation maximale de l’accueil des parents… Si chacun retrouvera bientôt physiquement l’école – et il faut s’en réjouir –, nous allons devoir repenser profondément nos pratiques de travail en classe. Une fois de plus, les enseignants s’adapteront pour assurer la « continuité pédagogique ».

Ces risques qui nous guettent d’ici 2050

Books — Wikipédia

Publié dans le magazine Books n° 110, septembre 2020. Par Joel E. Cohen.

Il y a une décennie, le penseur canadien d’origine tchèque Vaclav Smil tentait de cerner les principales menaces qui guettent le monde d’ici à 2050. Super-éruption volcanique, guerre planétaire, pandémie virale, terrorisme nucléaire ? Sa conclusion : la seule prévision fiable est qu’il est impossible de prévoir.


© Topical Press Agency / Getty
Paris, 1919 : après la Grande Guerre, la pandémie de grippe espagnole. Deux événements qui ont eu des répercussions majeures à l’échelle de la planète.

Dans un livre au titre alarmant, le chercheur pluridisciplinaire Vaclav Smil exposait en 2008 sa ­vision à la fois générale et concrète des « principaux facteurs qui détermineront l’avenir de la planète [d’ici à 2050], ­ainsi que leur probabilité et leurs ­effets potentiels ». Il prévenait d’emblée les lecteurs : « Inutile de s’attendre à de grandes prévisions ou prescriptions, à un cautionnement de visions euphoriques ou catastrophistes de l’avenir et à des sermons ou des arguments connotés idéologiquement. » Il entendait plutôt « procéder à des questionnements tous azimuts, s’inscrire dans des perspectives historiques de long terme, sans jamais oublier que nos connaissances limitées et les inévitables incertitudes compliquent l’anticipation des grandes crises planétaires et l’appréciation des issues à attendre des tendances déjà à l’œuvre ».
Smil estime que les sociétés évoluent par secousses et frottements, bien qu’il n’utilise pas ces termes. Les secousses sont des événements de courte durée et de faible probabilité ayant un ­effet transformateur sur la planète, comme la chute d’un astéroïde il y a 65 millions d’années. Les frottements – le changement climatique, par exemple – sont des « phénomènes persistants et progressifs dont l’effet n’est pas moins considérable à long terme ».

"Yoga", une descente aux enfers, un récit captivant, peut-être le meilleur livre d'Emmanuel Carrère

par Ilana Moryoussef  publié le 27 août 2020

Le nouveau livre d’Emmanuel Carrère, arrive en librairie ce jeudi, après de multiples changements de date de son éditeur et déjà il écrase la rentrée littéraire. L’auteur y évoque sa pratique assidue de la méditation, mais aussi la dépression sévère qui l’a conduit quatre mois durant en hôpital psychiatrique.
Emmanuel Carrere avait pourtant prévu d'écrive "un petit livre souriant et subtil sur le yoga",
Emmanuel Carrere avait pourtant prévu d'écrive "un petit livre souriant et subtil sur le yoga", © Maxppp / Newscom / EPA / Cati CLADERA

[...] 

La littérature : "le lieu où on ne ment pas"

On le voit, en effet, à la lecture des pages qui relatent son séjour en hôpital psychiatrique : électrochocs, injections de kétamine, pulsions suicidaires. Un concentré de souffrance humaine qui nous rend l’auteur de D’autres vies que la mienne infiniment proche. 

Il est diagnostiqué "bipolaire de type 2" et se voit prescrire un traitement au lithium, sans doute pour le reste de sa vie. Lui, l’écrivain célébré, n’hésite pas à aborder le sujet tabou de la maladie mentale. C’est le contrat passé avec le lecteur, explique-t-il dans un entretien accordé au magazine Le Point : "C’est peut-être très prétentieux, mais je pense que cela lui fait du bien : il se dit 'je ne suis pas seul'." Et dans L’Obs : "J’ai tendance à penser qu’on fait toujours œuvre utile et bienfaisante en faisant état de sa propre misère, parce que nous avons tous en commun d’être absolument misérables."


L’anorexie, une maladie sociale

Vous lisez le Monde Diplo ? – Radio Grille Ouverte
Une pathologie grave qui frappe davantage les jeunes femmes des milieux aisés

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Françoise Pétrovitch. — Sans titre, 2017

© ADAGP, Paris 2020 - A. Mole, Courtesy Semiose, Paris

Les inégalités sociales face à la santé pénalisent le plus souvent les hommes des classes populaires. L’anorexie mentale constitue une des exceptions à cette règle : ce trouble grave du comportement alimentaire, pouvant mener à la mort, menace particulièrement les jeunes filles des milieux aisés, exposées à des normes de minceur plus strictes et plus enclines à penser pouvoir maîtriser leur destin social.



En Inde, «la femme n'a aucune valeur et il n'y a pas d'amour : il n'y a que les castes»

Slate  Publié le 
http://www.slate.fr/sites/default/files/styles/1060x523/public/inde_def.jpg
L'amour, le sexe, le couple… ces concepts sont-ils les mêmes aux quatre coins de la planète? Marion Hazout et Victor Viriot, en couple depuis quatre ans, ont voyagé dans neuf pays pour apprendre comment cela se passe, ailleurs.
Dans ce cinquième épisode de Relations internationales, Marion et Victor s'envolent pour l'Inde et découvrent les mariages indiens, entre unions arrangées et unions dites d'amour, l'importance de la famille, l'espoir d'une amélioration de la condition féminine, et le contraste entre le tabou autour du sexe et la popularité du Kamasutra.

samedi 29 août 2020

L'humour et les sciences humaines


L
’humour, les mots d’esprit, le sarcasme, l’ironie, le persiflage... sont, en tant que modes (ou contenu) de communication et de relations, inhérents à toute vie sociale. Ils intéressent d’abord la critique littéraire, la linguistique, la sémiologie, la philosophie, mais constituent aussi un objet d’étude pour les sciences humaines et sociales, la psychanalyse, la psychosociologie ou l’anthropologie culturelle. D’où la substance de ce dossier.


26 août 1970 : "C’était la première fois que l’on apparaissait publiquement en tant que féministes"

Par Fiona Moghaddam   26/08/2020


Entretien |Le 26 août 1970, un acte symbolique d’une dizaine de féministes a marqué le début du Mouvement de libération des femmes qui a œuvré pour leurs droits. L’écrivaine Cathy Bernheim avait participé à cette action et revient sur quelques grands moments, à l’occasion des 50 ans du MLF.

Le 26 août 1970, neuf féministes sont arrêtées alors qu'elles veulent déposer une gerbe de fleurs pour la femme du Soldat inconnu sous l'Arc de Triomphe. Cathy Bernheim, que nous avons interrogée, est à droite de la photo.
Le 26 août 1970, neuf féministes sont arrêtées alors qu'elles veulent déposer une gerbe de fleurs pour la femme du Soldat inconnu sous l'Arc de Triomphe. Cathy Bernheim, que nous avons interrogée, est à droite de la photo. Crédits : AFP

Le 26 août 1970, neuf femmes (parmi lesquelles les écrivaines Monique Wittig et Christiane Rochefort, ainsi que la sociologue Christine Delphy) sont interpellées par la police alors qu’elles souhaitent déposer une gerbe sous l’Arc de Triomphe pour la femme du Soldat inconnu. Une action symbolique, en écho aux grandes mobilisations aux États-Unis où les Américaines célèbrent les 50 ans de l’obtention du droit de vote des femmes. Pourtant, aussi furtif fut-il, cet acte a marqué le début du Mouvement de libération des femmes qui a par la suite été de tous les combats pour les droits des femmes. Retour sur quelques grands instants de ces cinquante dernières années avec l’une des pionnières de ce mouvement, l’écrivaine Cathy Bernheim, (autrice notamment de "Mémoires des Temps futurs", aux éditions Le chant des voyelles). 
Avec huit autres femmes, le 26 août 1970, vous aviez décidé de déposer une gerbe en hommage à la femme du Soldat inconnu… Pouvez-vous nous raconter ?
Cette initiative était en soutien à ce qu’il se passait aux États-Unis où de grandes manifestations étaient prévues dans plusieurs villes pour fêter l’amendement qui avait donné le droit de vote aux Américaines en 1920. C’était le 26 août et elles avaient décidé de fêter cela. Nous n’étions pas beaucoup de féministes à l’époque, nous n’avions commencé à nous réunir entre femmes en France qu’à partir de mai 1970 et nous étions en contact avec les Américaines. On échangeait des textes, des idées… On s’est dit qu’on allait les soutenir et rappeler à la France un peu assoupie que les femmes existaient et qu’il fallait faire quelque chose pour bouger la condition des femmes en France. Nous sommes donc arrivées à l’Arc de Triomphe, on a déployé nos banderoles et on a apporté notre gerbe. Mais à peine avions-nous mis le pied dans le cercle de l’Arc de Triomphe que la police est arrivée et nous a empêchées d’avancer vers la flamme, là où nous voulions déposer la gerbe. Nous avions convoqué quelques journalistes, on était le 26 août, il ne se passait pas grand-chose, donc ils sont venus… Mais ce n’était pas très spectaculaire, surtout pour les photographes qui nous disaient "débattez-vous !" Alors moi, je me suis mise à danser, de manière pas très légère ! Puis un policier m’a tordu le bras dans le dos et m’a poussée vers le poste de police avec les autres militantes. Et ils nous ont embarquées pour aller faire des vérifications d’identité au commissariat. 

Quand l'imam est une femme

Arte lance des essais d'une déclinaison HDR chez Molotov et Free pour une  durée d'un an | alloforfait.fr


Quand l'imam est une femme en Streaming & Replay sur Arte - Molotov.tv

Une femme imam, Sherin Khankan, a ouvert à Copenhague la première mosquée 100% féminine d'Europe. Elle entend combattre l’influence de ces docteurs en religion qui s’appuient sur le Coran pour prôner l’assujettissement de l’épouse à l’époux, stigmatiser les non-croyants ou interdire les mariages interreligieux et homosexuels...

Copenhague, hiver 2015. Avec un groupe de proches, Sherin Khankan, qui commence à exercer des fonctions d’imam, que beaucoup lui contestent en raison de son genre, planche sur le projet d’une nouvelle mosquée. Divorcée, mère de deux enfants, cette quadragénaire charismatique issue d’un couple mixte (un père syrien, une mère finlandaise) et ses alliés veulent promouvoir une vision de l’islam qu’ils savent, sinon minoritaire parmi les fidèles, en tout cas combattue par la majorité de ceux qui parlent au nom de "la communauté musulmane”. Comment convaincre leurs coreligionnaires, et au-delà l’ensemble de la société danoise, que leur foi est compatible avec les valeurs démocratiques, les libertés individuelles, l’égalité entre hommes et femmes, l’homosexualité ? Comment combattre l’influence de ces docteurs en religion qui s’appuient sur le Coran pour prôner l’assujettissement de l’épouse à l’époux, stigmatiser les non-croyants ou interdire les mariages interreligieux et homosexuels ?



Comment avoir confiance ?

publié le 

© Orla/iStockphoto

  • À égale distance de la croyance et du calcul, la confiance est la disposition qui permet de comprendre l’action humaine dans son ensemble et de fonder le lien social, pour le philosophe Mark Hunyadi. Il en retrace l’histoire.

Covid-19 : quand la prévention mène au rejet de l’autre

The Conversation

27 août 2020


Sociologue, Centre de Sociologie des Organisations (CSO), Sciences Po – USPC



Le 8 août 2020, à Saint-Tropez. Valérie Hache/AFP
Sous couvert de se protéger de la Covid-19, se sont développées cet été de multiples stratégies pour tenter de maintenir les foules à distance.
Mais, n’est-ce pas tout simplement que l’on ne supporte plus l’autre ?
On se souvient, au début de l’épidémie, des islois se plaignant de la migration des Parisiens vers leurs maisons secondaires. Une analyse statistique des données téléphoniques réalisée par l’opérateur Orange a ainsi estimé que près de 17 % des habitants de la métropole du Grand Paris ont quitté leur région entre le 13 et le 20 mars (Le Monde, 26 mars). Dès le 16 mars, un arrêté préfectoral a limité les traversées du continent vers l’île d’Yeu « aux habitants munis d’une carte de passage (résidents permanents) ». Une nouvelle qui avait été accueillie avec satisfaction sur l’île.
À Noirmoutier, les résidents s’étaient plaints de l’afflux de ces nouveaux habitants : les magasins et les stations essence ne permettaient plus de répondre à la demande.

Une narration du rejet de l’autre

Au-delà des seuls risques sanitaires, ces récriminations relèvent d’« un vieux contentieux, la France a été construite sur ce clivage entre Paris et le reste, c’est-à-dire la province ou les régions » pour reprendre les mots du sociologue Jean‑Didier Urbain (Le HuffPost, 28 avril 2020).
L’ancien maire de Noirmoutier déplorait alors « Les gens se baladent sur la plage, prennent des selfies qu’ils partagent sur les réseaux sociaux, c’est un comportement irresponsable ». (France 3 Région, 26 mars).
Ces différends régionaux ont été réglés par le rappel du décret national de lutte contre la propagation du virus (16 mars 2020) appliqué sans nuance, quel que soit le seuil épidémique des régions. Un confinement strict devait être observé aussi bien à la ville qu’à la plage.
Cependant une brèche s’est peut-être ouverte à ce moment de l’épidémie : il avait été possible de dire, d’écrire qu’on ne voulait plus de l’autre. La narration au sujet du rejet de l’autre avait paru sinon acceptable, du moins compréhensible et s’était en tout cas exprimée, y compris du côté des édiles.

Identification de « classes à risques »

Le déconfinement s’est fait selon des déclinaisons régionales voire départementales, en fonction du niveau de circulation du virus, tel que le recommandait d’ailleurs le conseil scientifique (Avis n°6). Des stratégies locales de déconfinement ont été mises en place concernant les accès aux plages, le port du masque, etc.
En même temps qu’une volonté s’affirme de solidarité et de bienveillance à l’égard d’autrui, notamment des plus âgés, s’installe insidieusement une société morcelée où chacun cherche à exclure en identifiant les catégories de population à risque, que l’on peut mettre en parallèle avec des classes potentiellement dangereuses.
Or dans la définition desdites « classes dangereuses », la frontière entre le risque biologique et le risque social semble ténue. Au fil du 19e siècle, la classe dangereuse a ainsi été assimilée aux classes pauvres, dangereuses et vicieuses comme l’a montré Louis Chevalier.

Hygiène et équilibre moral de classe se chevauchent : « décrotter le pauvre équivaut à l’assagir ; convaincre le bourgeois de se laver, c’est le préparer à l’exercice des vertus de sa classe » (Alain Corbin, Le miasme et la jonquille p. 208.) La bourgeoisie cherche alors à se prémunir de l’odeur nocive et nauséabonde des classes dangereuses. Ironiquement, l’anosmie comme symptôme associé à la Covid-19 nous préserve de cette réaction. Reste qu’il y a bien des préjugés et des ambiguïtés sociales à vaincre.

vendredi 28 août 2020

Marne : l'hôpital psychiatrique de Châlons pointé du doigt pour manquement aux droits des patients

France 3 Grand Est — Wikipédia

Publié le 27/08/2020

En juillet 2020, l'établissement public de santé mentale (EPSM) de la Marne était pointé du doigt par la Haute autorité de santé, considérant que l'établissement ne garantit pas pleinement le respect des libertés des patients. En cause : certaines pratiques d'isolement et l'accueil des mineurs.

Le centre hospitalier Pierre Briquet de Châlons-en-Champagne, en août 2020
Le centre hospitalier Pierre Briquet de Châlons-en-Champagne, en août 2020 • © FM / FTV


Le numéro 1 du chemin du Bouy est calme, ce mercredi 26 août. Seuls le roulis d'une voiture de fonction et une voiturette de collecte des déchets rompent le silence des 23 hectares que compte l'hôpital Pierre Briquet. Les nuages défilent au-dessus de l'établissement public de santé mentale (EPSM) de la Marne à Châlons-en-Champagne, ce qu'on appelait autrefois "asile de fous", au gré du vent frais pour une fin de mois d'août. C'est le psychiatre Bernard Rousselot qui nous accueille posément, bien décidé à ouvrir les portes d'une institution trop longtemps restée fermée au monde extérieur. Une institution critiquée par la très reconnue HAS, Haute autorité de santé mais aussi par le très controversé CCDH. 

La presse a été prévenue le dimanche 23 août. Le Comité Citoyen de défense des Droits, CCDH, bien connu des services de l'hôpital pour ses liens avec l'Eglise de scientologie et ses actions antipsychiatries, dénonçait dans un communiqué de presse des séjours en isolement très longs pour certains patients. En 2017, l'association relève qu'un patient a passé 346 jours en isolement sur une année, profitant d'une réforme de l'année précédente, qui oblige les EPSM à rendre publiques ces pratiques. D'autres ont subi des séjours avoisinant les 200 et 100 jours. En tout, une trentaine de patients ont été placés en isolement cette année-là. Le comité s'offusque également de l'absence de réponse de l'hôpital Pierre Briquet pour les années suivantes.



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Ilaria Gaspari : "Vivre dans les limites de l’incertitude"

28/08/2020


Coronavirus, une conversation mondiale |Elle empêche la prévision, la préparation, rend difficile la projection de nos désirs et de nos mouvements dans l’avenir : l'incertitude caractérise cette étrange rentrée. Mais les Anciens savaient l'appréhender rappelle la philosophe italienne Ilaria Gaspari.
Ilaria Gaspari, docteure en philosophie de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Ilaria Gaspari, docteure en philosophie de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne Crédits : Grazia Ippolito - Radio France
Dès le début du confinement l’équipe du Temps du débat a commandé pour le site de France Culture des textes inédits sur la crise du coronavirus. Intellectuels, écrivains, artistes du monde entier ont ainsi contribué à nous faire mieux comprendre les effets d’une crise mondiale. En cette rentrée, nous étoffons la liste de ces contributions (71 à ce jour) en continuant la Conversation entamée le 30 mars. En outre, chaque semaine, le vendredi, Le Temps du débat proposera une rencontre inédite entre deux intellectuels sur les bouleversements qu'induit cette pandémie.    
Aujourd'hui, Ilaria Gaspari, docteure en philosophie de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, autrice de deux œuvres traduites en langue française : "L’éthique de l’aquarium" (éditions de Grenelle, 2017) et "Leçons de bonheur" (PUF, 2020). 

Avec le Covid-19, la psychanalyse fait sa révolution

Par    Publié le 28 août 2020











Au départ, c’est juste un cauchemar. Assis sur le banc du jardin familial, Samuel (tous les prénoms des patients ont été modifiés) allume une cigarette en cachette. Il avale profondément la fumée, avec une jouissance extrême. Soudain, il entend quelqu’un dans la cuisine, dont la fenêtre est ouverte. Il guette le bruit avec anxiété, d’un coup, il se hâte, partagé entre la frayeur et l’excitation d’être découvert par sa mère. C’est à ce moment, souvent, qu’il se réveille.
Samuel n’est pas un adolescent – bientôt, il aura 45 ans. Dans son secteur d’activité, il jouit d’une certaine notoriété et de la reconnaissance de sa hiérarchie. Mais il continue de faire ce rêve récurrent : être pris en flagrant délit par maman. Il a fait dix années d’analyse, il s’est arrêté, il a recommencé. Depuis trois ans, il a de nouveau deux rendez-vous hebdomadaires sur le divan.

Ne laisser personne en souffrance

Le 16 mars, avant même l’annonce officielle du confinement, sa psychanalyste, une femme d’un certain âge, lui annonce qu’elle consultera désormais par téléphone. Samuel tombe des nues : « Une analyse par téléphone ! Ma psy, tellement stricte sur le cadre, tellement dans le respect des normes classiques de la cure ! Sur le moment, ça m’a mis en colère qu’elle ait peur de moi, que je représente une menace potentielle, celui qui pouvait apporter le virus dans son cabinet. Ensuite, ça m’a déçu qu’elle ait peur pour elle, comme n’importe qui, alors que j’en avais fait la statue du Commandeur. Et puis j’ai réfléchi. Finalement, ça m’a rassuré qu’elle soit capable de s’adapter, qu’elle ne me lâche pas, qu’elle ne me dise pas : “Au revoir et merci, revenez quand ce sera terminé…” »

Le « Lacan chinois » ne consulte plus que par téléphone

Pionnier de la psychanalyse en Chine, Huo Datong, travaille depuis plus de dix ans à une approche chinoise de cette discipline peu connue dans son pays.
Par  Publié le 27 août 2020
Le psychanalyste Huo Datong dans sa bibliothèque à Chengdu, dans la province du Sichuan en Chine, en août.
LETTRE DE PEKIN

D’ordinaire douce, la voix de Huo Datong se fait lasse, voire triste. En raison du Covid-19, personne ou presque ne se rend plus dans la pièce située au fond, à droite de son appartement de Chengdu. Celle essentiellement occupée par un meuble rarissime en Chine : un divan de psychanalyste.
C’est désormais par téléphone que celui que certains appellent « le père de la psychanalyse chinoise » « reçoit » ses patients. Certes, en raison de l’immensité du pays, il y a longtemps que ce pionnier accepte les consultations par téléphone. Mais, désormais, même les Chinois qui habitent comme lui la capitale du Sichuan, réputée pour sa douceur de vivre, ne font plus le déplacement jusqu à la résidence réservée aux universitaires de la province où il dispose toujours d’un bureau.
Né en 1954, garde rouge durant la Révolution culturelle puis étudiant en histoire, Huo Datong n’avait pas le profil idéal pour introduire Lacan en Chine. Mais décrochant en 1986 une bourse pour étudier en France, il s’embarque pour Paris avec une seule idée en tête : partir à la recherche de Jacques Lacan.
Une phrase de celui-ci, rapportée de France par un ami chinois, le fascine : « L’inconscient est structuré comme un langage. » Huo Datong qui avait lu une édition interdite de l’Interprétation des rêves de Freud et tentait de décrypter les songes de ses camarades, voulait absolument connaître ce langage. Il restera huit ans à Paris, le temps de faire une psychanalyse avec le lacanien Michel Guibal – « je parlais chinois, il n’y comprenait rien mais ça n’a pas grande importance » – avant d’ouvrir son cabinet en 1994 à Chengdu puis de diriger un séminaire auquel Michel Guibal assistera à plusieurs reprises.