par un collectif de médecins, soignantes et soignants
L’esprit carabin ne peut servir d’excuse aux agissements sexistes, au harcèlement, à l’agression sexuelle, dénonce un collectif de soignantes. Elles décrivent un système hiérarchique patriarcal verrouillé et demandent la fin de l’impunité.
En 2020, suite à la cérémonie des césars, Virginie Despentes a publié une tribune dans ce même journal : «Désormais on se lève et on se barre». Aujourd’hui, en 2024, à l’Hôpital, nous voulons affirmer : «Désormais on se relève, on reste, et on en finit avec l’impunité». Plus jamais il ne devra être dit qu’on parle mais que vous n’entendez pas.
Nous tous⸱tes, médecins, infirmier⸱es, aides-soignant⸱es, personnels administratifs travaillons et avons été formé⸱es à l’Hôpital et nous y sommes attachés.
Pourquoi ? Pour prendre soin de l’autre. Travail visible ou invisible, qu’avons-nous en commun ? D’avoir découvert dès notre premier pas dans ce tout petit monde que pour pouvoir nous former, pour pouvoir exercer notre métier, nous allions devoir subir les violences sexistes et sexuelles quasi institutionnelles.
L’ampleur de la tâche est immense
Voilà les préceptes que nous suivons tous⸱tes. Et c’est ainsi que les violences banalisées perdurent, s’aggravent et conduisent non seulement à des agissements sexistes, à du harcèlement sexuel ou moral, mais aussi à l’agression sexuelle : l’association Donner des elles à la santé a publié son baromètre pour preuve : en 2023, sur 521 médecins interrogées, 20 % d’entre elles ont subi des pressions répétées pour obtenir des faveurs sexuelles et 17 % d’entre elles ont même subi des situations d’agressions sexuelles.
Et il est très probable que ces chiffres soient sous-estimés devant la faible libération de la parole encore aujourd’hui. Pourquoi ces femmes ne parlent pas ?
Mais parler à qui ? C’est parole contre parole, et elles ne font pas le poids. Le peu de femmes qui parlent, on cherche à les dissuader : «Mais quand même c’est un bon médecin…», «Oh tu sais ça fait vingt ans qu’il est comme ça on va pas le changer». A cela s’ajoute la peur. Peur de l’exclusion, de la mise au ban de ce petit monde hospitalier où tout le monde se connaît et se serre les coudes. Peur aussi de se voir empêcher dans sa progression de carrière. L’une des clés du silence réside donc aussi sur la confraternité imposée.
L’ampleur de la tâche est immense. Certaines femmes pourront dire : «Moi, il ne m’est rien arrivé…», mais elles oublient ! Elles oublient qu’elles ont réglé leur conduite sur l’évitement : ne pas aller dans tel service où le chef drague et tripote, faire attention à ce médecin qui rentre sans frapper dans le vestiaire…
Comment fonctionne ce système, en place depuis des décennies ? Les hôpitaux sont structurés avec un système hiérarchique patriarcal verrouillé. Plus de la moitié des employé⸱e⸱s sont des femmes. Pourtant elles sont totalement sous-représentées dans les postes décisionnels clés. Une femme médecin oui, une femme cheffe de service, beaucoup plus rare. Il est fréquent que l’évolution de carrière d’une jeune médecin dépende du bon vouloir d’une seule personne, «le» chef de service. Archaïque, vous trouvez ? C’est un «boys club» puissant et efficace.
Comment faire pour impulser des changements ? Il faut d’abord un état des lieux et la reconnaissance de l’ampleur du problème. Il faut identifier les verrous de parole, les faire sauter et sanctionner les personnes qui se considèrent comme intouchables.
Ce système pénalise toute personne sous la coupe de certains mandarins
Les institutions ont un devoir de protection et doivent réformer les systèmes qui permettent ces abus de pouvoir. Elles doivent favoriser la prise de parole, la consignation des plaintes, avertir, voire sanctionner, les personnes ciblées par des plaintes et non les exfiltrer, puis les déplacer dans une autre structure ou elles risquent de sévir à nouveau. Pour protéger les étudiant·es en santé d’aujourd’hui et de demain, il nous faut mettre les agresseurs face à leurs actes d’une part, et soutenir les victimes qui doivent être épaulées et entendues d’autre part.
Pour cela, nous avons besoin et demandons aux universités de s’engager à une protection pédagogique obligatoire pour les étudiant⸱es portant plainte ou témoignant afin de ne pas être pénalisé⸱es dans leur cursus de formation. Sans cela, les victimes et les témoins ne parleront pas !
Ce système ne pénalise pas que les femmes mais toute personne sous la coupe de certains mandarins : ces supérieurs qui font la pluie et le beau temps et sont quasi intouchables du fait de leur notoriété médiatique, académique, ou autres. Un mode de management horizontal et participatif aiderait certainement à régler une partie du problème.
Faire médecine, c’est plus de dix ans d’études. Pendant cette dizaine d’années, combien d’heures sont consacrées à la compréhension du système ? De l’institution ? Du comportement à adopter avec autrui ? Avec les femmes mais aussi les plus discriminé⸱e⸱s du fait de leur genre, de leur origine, de leur classe ou bien de leur handicap ? Trop peu en début de cursus et quasiment aucune lorsqu’ils et elles deviennent internes et vous soignent en première ligne au quotidien !
La misogynie de notre société ne s’arrête pas à la porte des hôpitaux. Soignant⸱es, administratif⸱ves, patient⸱es, relevons-nous pour pouvoir dire ensemble : «Adieu impunité !».
Premiers signataires :
Karine Lacombe Cheffe de service à l’hôpital Saint-Antoine de Paris Audrey Bramly Interne, du Syndicat des internes des hôpitaux de Paris (Sihp) et du Comité de lutte contre les agressions sexuelles et le harcèlement en anesthésie réanimation (Clash-AR) Emmanuel HayPrésident Sihp Elsa Mhanna Médecin, «Donner des elles à la santé» Agnès Setton Médecin du travail référents égalité pro et VSS à la Pitié-Salpêtrière Ghada Hatem Fondatrice de la Maison des femmes Elsa Brocas Médecin, PH Clash-AR Pauline Dureau Médecin PH Clash-AR Lucie Guillemet Médecin PH Clash-AR Victor JullienInterne Clash-AR Marie-France Olieric «Donner des elles à la santé» Vanessa Christinet Médecin en santé sexuelle (Lausanne) Françoise Linard Psychiatre à l’hôpital Tenon de Paris, Emmanuelle Dolla, Médecin PH Clash-AR...
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