- 11 AVR. 2021
- PAR YVES GIGOU
- ÉDITION : CONTES DE LA FOLIE ORDINAIRE
Cri d’agonie de la psychiatrie
Pierre Delion
Avril 2021
Il n’est pas un jour sans annonces catastrophiques concernant la psychiatrie en France.
Ces annonces concernent les conditions dans lesquelles les patients sont traités et à vrai dire trop souvent maltraités. Elles concernent également les soignants-psychiatres, psychologues, infirmiers et autres-, qui sont débordés, démotivés, découragés et ont envie de quitter l’hôpital public ou même de changer de métier. Les très nombreux administratifs de la psychiatrie commencent à se trouver eux-mêmes en difficulté pour répondre aux questions cruciales que pose la déshumanisation de la psychiatrie. En effet, chaque jour les plaintes affluent, le nombre des contentions augmente, les listes d’attente s’allongent et les soignants démissionnent, ce qui contribue à noircir davantage le tableau général de la psychiatrie.
Pendant que se joue ce drame qui concerne les malades, leurs familles et leurs soignants, le gouvernement met la dernière main à un projet de psychiatrie portant essentiellement sur une approche nouvelle fondée sur la recherche et les neurosciences. L’ensemble du système de la psychiatrie française, publique, associative et privée va se réorganiser autour du concept de plateformes diagnostiques disposant de moyens conséquents pour entreprendre des bilans neurophysiologiques approfondis (recours aux IRM, à l’Intelligence Artificielle, aux algorithmes…) débouchant sur les diagnostics promus par le DSM V et passibles de traitements médicamenteux et cognitivo-comportementaux à l’exclusion de toute autre approche de la souffrance psychique spécifiquement humaine. Le dernier décret relatif à l’expertise des psychologues du 10 mars 2021 indique de façon limpide la direction prise par la « réforme » promise.
Cette réorganisation va coûter un « pognon de dingue » et permettre de développer une recherche neuroscientifique permettant un rattrapage du prétendu retard français dont nos gouvernants, sous l’influence de lobbies directement intéressés par ce nouvel angle d’attaque (c’est le mot adéquat) de la psychiatrie, ne cessent de nous rebattre les oreilles. On comprend mieux la casse massive de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle entreprise depuis quelques années par le pouvoir et ses agences réputées indépendantes telles que la HAS.
Mais c’est oublier un peu vite que les travaux portant sur la psychopathologie transférentielle avaient permis de restaurer l’humanité dans la relation avec des patients en grandes difficultés dans leur souffrance psychique. En effet, les progrès considérables survenus dans les neurosciences et la génétique ne doivent pas faire oublier que la condition humaine ne peut se réduire au déploiement du génome dans un environnement standard, et que l’intervention d’autrui dans la construction du petit d’homme est primordiale. De la même manière, la prescription de médicaments et de traitements psychothérapiques ne peut se penser hors de cette relation intersubjective spécifique de l’humain. Et c’est précisément ce qui avait permis à la psychiatrie de quitter les asiles et de s’ouvrir au monde, notamment grâce à cette invention française que nous ont envié les autres pays, la psychiatrie de secteur. Et ainsi de rendre son humanité aux pratiques psychiatriques avec les adultes et les enfants.