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lundi 5 février 2024

nterview Jean Massiet, le streamer politique prend la parole sur sa bipolarité : «Une maladie particulière qui est difficilement diagnostiquée»

par Julien Lecot   publié le 4 février 2024 

Le créateur de contenu vidéo revient auprès de «Libé» sur sa récente hospitalisation en clinique psychiatrique, sa volonté d’en parler pour aider les jeunes et sur le tabou qui entoure en France les questions de santé mentale.

Il avait disparu des écrans. Un black-out total, d’un mois, étonnant pour celui qui décrypte l’actualité politique en direct sur Twitch cinq jours par semaine depuis près d’une décennie. Fin décembre, Jean Massiet avait simplement expliqué sur ses réseaux sociaux être «hospitalisé pour plusieurs semaines» et devoir donc se mettre en retrait de ses activités.

Jeudi 1er février, il est réapparu, comme invité de sa propre émission hebdomadaire, Backseat. Face caméra, l’homme de 35 ans a expliqué sortir tout juste de la clinique, et être victime de dépressions régulières car atteint de bipolarité. Et que c’est justement l’un de ces épisodes qui l’a contraint à l’hospitalisation. Pour Libé, il revient sur cette dépression, sa volonté d’en parler pour aider les jeunes qui souffrent en silence et sur le tabou qui entoure encore en France les questions de santé mentale.

Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qu’il s’est passé fin décembre ?

J’ai tout simplement fait une dépression, comme beaucoup de Français chaque année. On n’arrivait pas à la traiter avec mon psychiatre donc ça a nécessité une hospitalisation libre en clinique psychiatrique.

Quand j’y suis rentré, je ne savais pas combien de temps j’allais rester, mais je savais que ça allait durer au moins plusieurs semaines, le temps qu’on me trouve un nouveau traitement et qu’il fasse effet. Finalement, je suis resté un mois et demi.

Vous avez expliqué être bipolaire. Comment ça se caractérise ?

C’est une maladie mentale qui touche plus de 1 % des Français. C’est un trouble de l’humeur qui fait se succéder des phases de dépression et d’autres de manie ou d’hypomanie [période d’euphorie, d’exaltation, ndlr]. J’ai des moments où je fais de la surproduction, professionnelle notamment, avec des idées qui fusent, le langage qui s’accélère, le corps aussi. Et d’autres où je vais vivre exactement l’inverse et connaître une forte baisse d’humeur.

C’est une maladie particulière qui est très difficilement diagnostiquée. Il faut en moyenne une dizaine d’années pour être diagnostiqué et qu’un traitement soit trouvé.

Quand vous avez été hospitalisé, qu’est-ce qui se passait dans votre tête ?

C’était un épuisement professionnel global. J’étais épuisé physiquement, psychiquement, complètement à fleur de peau. Je vivais très difficilement la création de contenu sur internet, le rapport au public. J’étais vraiment à bout : j’avais du mal à marcher, à parler. Ça s’apparentait à un burn-out.

Malheureusement mon activité professionnelle prend une place considérable dans ma vie. Je suis un personnage public matin, midi et soir, que je le veuille ou non. Donc quand ça va mal dans mon activité professionnelle, ça va mal dans ma vie en général.

Je ne suis d’ailleurs pas le seul créateur de contenu à ressentir ça. On est nombreux à passer par des phases d’anxiété, de dépression.

Pourquoi il y a une surreprésentation des problèmes de santé mentale dans ce milieu ?

C’est d’abord un métier usant. Faire de la création de contenu, c’est accepter de se soumettre à une pression : celle des chiffres, de l’algorithme, du public. Notre profession nous expose à des difficultés psychiques. Il y a aussi un contrat de sincérité avec le public : les créateurs de contenu vont peut-être plus facilement exprimer leur mal-être que d’autres.

Entre nous, on parle beaucoup de la santé mentale, on se soutient les uns les autres. Il y a toujours quelqu’un qui subit du harcèlement, de la toxicité en ligne. Et on n’y est pas préparés : il n’y a pas de faculté qui forme les créateurs de contenu, de «bac Youtubeur».

Quand on parle de politique, c’est pire encore ?

Par définition, la politique c’est le conflit, le clivage. Le débat public auquel je participe est un espace avec plus de tensions que les jeux vidéo, la musique ou le cinéma. Il y a une tension inhérente à la politique qui, de facto, a de l’impact sur les gens qui y participent.

Et je ne parle pas que de moi, je suis assez éloigné de tout ça. Mais les militants, les élus, les professionnels de la politique, c’est pire encore à cause de cette politique qui se vit comme une arène où les violences sont permanentes.

Pourquoi avoir décidé de parler de votre dépression avec autant de transparence ?

En tant que créateur de contenu sur Twitch, je suis présent à peu près tous les jours de la semaine, hors week-ends, depuis huit ans. Si à un moment je ne suis pas là pendant longtemps, je me dois de prévenir les gens. Et j’ai souhaité être transparent parce que ça fait partie du rapport que je veux avoir avec mon public. J’ai envie qu’il sache la réalité, même si elle est dure à dire.

J’estime même que ça fait partie de mon devoir : à partir du moment où tu as la chance d’avoir de la notoriété, tu te dois d’avoir une pensée pour ceux qui ne l’ont pas, qui vivent ce genre de choses dans l’anonymat.

Un jeune sur deux fait état de troubles anxieux depuis le Covid. Il y a des problèmes de prise en charge en France. Ça fait partie de ma responsabilité que de tirer la sonnette d’alarme sur la santé mentale des jeunes, pour que les pouvoirs publics se mobilisent.

Pour vous, la santé mentale est encore un tabou en France ?

Chez les anciennes générations, oui. Il y a une injonction à aller bien, qui est une espèce de moteur en permanence dans la vie. Et la santé mentale est encore liée – dans le monde de la culture notamment – à la folie. On a cette représentation des asiles de fous, comme dans Vol au-dessus d’un nid de coucou ou dans Batman [avec le personnage du Joker, ndlr] qui renvoie à la dangerosité.

«C’est la première fois, j’ai l’impression, qu’une génération met fin à ce tabou»

Mais il y a une vraie note d’espoir : j’ai le sentiment que ça évolue, que les jeunes en parlent aujourd’hui beaucoup plus. C’est la première fois, j’ai l’impression, qu’une génération met fin à ce tabou. Les jeunes s’expriment, en parlent sur internet, trouvent des solutions, là où leurs parents mettaient encore ces questions sous le tapis. On se dirige vers une société où c’est important de prendre soin les uns des autres.

Vous avez pourtant le sentiment que les autorités en font toujours trop peu sur le sujet ?

Ce que j’entends, ce sont les professionnels de la santé mentale qui disent manquer de moyens et les patients qui, eux, ont du mal à trouver des rendez-vous. Il y a un manque cruel de moyens. J’ai entendu les annonces de Gabriel Attal, qui veut créer une maison départementale des adolescents par département. C’est très bien, mais il faut aller plus loin.

Il faut que chacun, et notamment les jeunes, ait les moyens d’être suivi et accompagné par des professionnels.


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