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dimanche 24 septembre 2023

« L’homme qui consacre une partie de son temps à ses enfants ou à ses parents transgresse des stéréotypes puissants »

Publié  le 23 septembre 2023

Clotilde Coron et Emmanuelle Garbe, professeure et maîtresse de conférences en sciences de gestion, constatent, dans une tribune au « Monde », que les hommes qui prennent leur congé de paternité rémunéré voient leur carrière pénalisée.

Les pages people des magazines montrent de plus en plus souvent des acteurs ou des sportifs célèbres, musculature avantageuse, lunettes noires sur le nez et bébé dans les bras. Dans les parcs, on voit fréquemment de jeunes pères piloter des landaus avec adresse, apparemment sans risque pour leur masculinité. Etre papa et s’occuper au quotidien de ses jeunes enfants est-il désormais socialement admis ?

Le congé de paternité rémunéré, créé en 2002 et porté à vingt-cinq jours en 2021, contribue à renforcer les liens entre les pères et leur progéniture. Mais nos recherches (« Deviation from the ideal worker norm and lower career success expectations : A “men’s issue” too ? », par Clotilde Coron et Emmanuelle Garbe ; Journal of Vocational Behavior, 2023) montrent la force des stéréotypes encore à l’œuvre dans l’univers professionnel.

Les manageurs se mettent à douter

Pour un homme, diminuer son activité pour passer du temps avec ses enfants reste toujours, malgré l’image d’Epinal de la paternité épanouie, un choix à haut risque. Très peu d’entre eux d’ailleurs s’y osent. Ils ne sont aujourd’hui que 1 % à opter pour un temps partiel volontaire afin de s’occuper de leur famille, que ce soit de jeunes enfants ou de parents âgés en perte d’autonomie.

Deux fois plus d’hommes passent à temps partiel pour mener une seconde activité professionnelle ou pour suivre une formation que pour prendre soin de leur famille. Ceux qui gardent du temps libre pour se consacrer à un hobby sont également plus nombreux que ceux qui veulent s’occuper de leurs enfants ou de leurs parents !

Nos recherches permettent de comprendre ces réticences. Les recherches existantes montrent que les quelque 30 % de femmes qui travaillent à temps partiel (dont la moitié pour des raisons familiales) sont pénalisées dans leurs carrières, avec des salaires horaires inférieurs, plus de difficultés d’accès aux responsabilités et des postes de moindre qualité que leurs consœurs à plein temps. Les hommes qui font le choix d’un temps pour leur famille ne sont pas moins pénalisés que les femmes. Au contraire. Ils le sont doublement.

Comme pour les femmes usant de ces dispositifs, les manageurs se mettent à douter a priori de leur engagement professionnel. S’ils veulent du temps pour leur famille, leur mobilisation au service de l’entreprise devient pour leur hiérarchie forcément incertaine.

Une répartition des tâches récente

Mais cela va plus loin. Les hommes qui choisissent le temps partiel pour s’occuper de leurs proches ne se conforment pas à ce que l’on attend d’un homme. Les mentalités ont moins évolué qu’on ne le croit. Pour 35 % des habitants de l’Union européenne, un homme doit prioritairement gagner de l’argent et une femme s’occuper de la maison et de la famille. Alors que la grande majorité des femmes (68 %) travaillent à temps plein sur le continent, ce « choix » reste considéré par un Européen sur deux comme se faisant au détriment de la famille.

Cette répartition des tâches entre femmes et hommes est relativement récente, liée au développement des grandes entreprises industrielles, au début du XXᵉ siècle. Le travail rémunéré est sorti de la sphère domestique traditionnelle, où il était jusqu’alors normal que tous, hommes et femmes, participent, que ce soit à la ferme ou dans l’atelier.

Les épisodes des deux guerres mondiales, pendant lesquelles la main-d’œuvre féminine a massivement été appelée à la rescousse dans les entreprises, ont à peine ébranlé ce modèle. Les grilles salariales ont continué longtemps à attribuer aux femmes des revenus inférieurs à ceux de leurs collègues masculins, ces derniers étant seuls censés subvenir aux besoins de la famille.

L’homme qui consacre une partie de son temps à ses enfants ou à ses parents transgresse donc des stéréotypes puissants. Alors qu’on attend d’un salarié masculin qu’il soit ambitieux, combatif, le fait qu’il agisse « comme une femme » va lui donner l’image de quelqu’un de faible, quel que soit son comportement. Et il le paiera comptant. Ce n’est pas un hasard si en Suède, pays pourtant réputé progressiste, les hommes qui s’absentent de l’entreprise pour des raisons militaires sont beaucoup moins pénalisés que ceux qui le font pour des raisons familiales.

Des mesures nécessaires

Les jolies images de pères virils et attentifs à leurs enfants ne suffiront donc pas à changer la donne. Des mesures sont nécessaires pour que les hommes qui le souhaitent puissent, sans être mis à l’index, prendre du temps pour participer à l’éducation de leurs enfants ou s’occuper de leurs parents en perte d’autonomie.

Le congé de paternité joue un rôle majeur. On ne peut que se féliciter qu’il soit passé de onze à vingt-huit jours en France. Mais il faut avoir en tête que, en 2021, 30 % des pères ne prenaient pas le congé de onze jours qui leur était offert (Centre d’études et de recherches sur les qualifications, 2022). Pour que les hommes ne se sentent pas stigmatisés lorsqu’ils s’occupent de leur famille, étant donné l’état des mentalités actuelles, il semble en réalité nécessaire que ce choix reste caché !

L’homme qui télétravaille a plus de marge de manœuvre pour prendre soin de ses proches et personne n’est obligé de le savoir. De même, les emplois du temps flexibles ont de grands avantages. En concentrant sur quatre jours un travail classique, sans temps partiel, il devient possible d’être plus disponible pour sa famille, sans que quiconque puisse savoir ce qui est fait du temps ainsi libéré.

Le gouvernement envisage de réformer le congé parental en le rémunérant mieux pour que davantage de pères y souscrivent, mais ce type de mesure, bien qu’allant dans le bon sens, ne pourra à elle seule changer les mentalités et ne modifiera pas la donne.


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