publié le 31 mars 2023
par Kim Reuflet, Présidente du Syndicat de la magistrature et Mathieu Bellahsen, Psychiatre, lanceur d’alerte et auteur
Tout le monde le sait, la justice et la santé œuvrent dans la misère. Et en leur sein, la psychiatrie et la justice civile – celle qui traite en particulier des soins psychiatriques sous contrainte – trinquent particulièrement et, par là, maltraitent les patients, les justiciables et leur entourage.
Dans ce contexte de dépérissement, mais également à une époque de détricotage des libertés fondamentales (d’aller et de venir, de manifester, d’association…), des victoires juridiques en faveur des droits des patients sont assurément chéries, en l’occurrence ici en matière d’isolement et de contention. C’est en effet majoritairement avec satisfaction, il y a un peu plus d’un an, qu’ont été accueillies les décisions du Conseil constitutionnel enjoignant le gouvernement de rendre obligatoire le contrôle judiciaire des mesures d’isolement et de contention dépassant une certaine durée, enfin analysées comme des mesures privatives de liberté. Alors que ces pratiques sont considérées par plusieurs textes internationaux comme des traitements inhumains et dégradants, la loi du 22 janvier 2022 modifiant le régime de l’isolement et de la contention en milieu psychiatrique sous-entend enfin que ces mesures ne peuvent plus être vues comme des derniers recours bien traitants.
Des méthodes qui laissent des traces
L’expérience de tous du confinement permet plus facilement d’imaginer ce que peuvent vivre les patients sanglés et isolés dans une chambre verrouillée et d’appréhender la violence que ces pratiques portent en elles. Quels qu’en soient les motifs, et bien que visant des personnes agitées, troublées, «dangereuses pour elles-mêmes ou pour autrui» diront les textes, d’aucuns ne peuvent plus mésestimer que ces méthodes d’enfermement laissent des traces. Des traces sur le corps du patient, des traces dans les habitus du soignant, des traces sur la liberté d’agir des deux.
De la garantie de ces libertés est fait ce nouveau contrôle du juge. Sauf que nulle garantie il n’y a, il n’y aura, ou si peu. Pour une raison essentielle : notre misère dopée à l’indigence des décideurs.
La misère sur le terrain. Sans surprise, cette réforme a dû être appliquée à moyens constants, de sorte que les juges, les greffiers et les équipes soignantes bricolent et s’épuisent un peu plus pour essayer de mettre en œuvre un texte écrit avec les pieds et aux effets bureaucratiques, beaucoup ayant d’ailleurs renoncé à appliquer cette loi. En 2021, sur les 95 000 personnes hospitalisées en psychiatrie sans leur consentement, plus de 29 000 ont été placées en chambre d’isolement et 10 000 d’entre elles ont été attachées, ces chiffres recelant des catastrophes existentielles et une perte de confiance parfois irrémédiable dans les soins.
Des pratiques alternatives à la coercition
La création d’un contrôle judiciaire sur la régularité et la proportionnalité de ces mesures, l’immixtion du juge dans ces couloirs confins et honteux de l’hôpital psychiatrique, aurait ainsi dû être l’occasion de (re)penser l’office du juge en cette matière si particulière de la santé mentale, d’inclure les personnes hospitalisées dans le processus décisionnel en permettant notamment des directives anticipées et de renforcer les pratiques alternatives à la coercition. Ce sont au contraire des formulaires, des trames, des boîtes informatiques structurelles, des agendas, des tours de permanence, des délégations de signatures, des auditions téléphoniques qui supplantent l’analyse, l’écoute et le soin. Le greffier esclave, le juge pantin, l’infirmier maton et le médecin cachetonneur sont savamment mis à l’épreuve, au détriment des mêmes, des personnes enfermées et entravées.
L’indigence des décideurs. Depuis trois ans, à l’occasion de ces décisions en cascade du Conseil constitutionnel, le gouvernement refuse d’avoir un débat d’ampleur sur ces pratiques coercitives et n’apporte qu’une réponse exclusivement technique à ces mesures traumatisantes pour les personnes qui y sont soumises. Alors que de nombreux pays et instances internationales sont sur le chemin de l’abolition de la contention mécanique et de la décroissance des mesures d’entraves, la France renforce de son côté le système contentionnaire.
Dans l’indifférence des pouvoirs publics français se développent des maltraitances institutionnelles généralisées s’expliquant par de nombreux facteurs : imaginaire sécuritaire prégnant dans la société et dans les soins, pénuries de moyens psychiques et humains pour accueillir les personnes troublées, désintérêt de la psychiatrie pour l’activité de soins complexes, contentions financières du service public psychiatrique et contention législative par l’absence de débat éclairé.
La surmatérialisation des sangles et des murs
Dans ce contexte, la France doit-elle se contenter du retour à un fonctionnement asilaire transformant l’emprise sur les corps des personnes psychiatrisées en «soins» ? Comme en témoignent les Assises de la santé mentale de 2021, si les pouvoirs publics sont désormais plus intéressés par la e-santé mentale et sa dématérialisation, dans les pratiques de la psychiatrie «ordinaire» cela se traduit par la sur-matérialisation de sangles et de murs.
Le Conseil constitutionnel, saisi de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité, doit rendre une nouvelle décision le 31 mars prochain. Aussi, il est urgent que s’ouvre un débat national car il en va de la dignité des personnes ayant des troubles psychiques graves, de la sauvegarde des droits humains fondamentaux et de l’avenir d’une psychiatrie ayant de réelles dimensions thérapeutiques, qui ne se contentant pas des recrudescences de sa fonction répressive et coercitive.
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