par Cécile Bourgneuf publié le 29 mars 2023
Ils sont chaque année scrutés de près par les familles. Le ministère de l’Education nationale vient de publier les «indicateurs de valeur ajoutée» (Ival) de tous les établissements scolaires. Pour la première fois, les collèges sont eux aussi évalués, comme les lycées. Ces indicateurs prennent en compte le taux de réussite au brevet et au bac dans chaque établissement mais aussi leur valeur ajoutée, c’est-à-dire leur capacité à accompagner au maximum leurs élèves jusqu’à l’obtention de leur diplôme, en prenant notamment en compte leurs difficultés sociales et scolaires. «Les collèges et les lycées accueillent des élèves très différents, donc si on ne regarde que leurs taux bruts de réussite au brevet et au bac on pourrait sous-estimer ou surestimer ce tout le travail qu’ils ont mené en amont pour amener leurs élèves vers la réussite», explique Fabienne Rosenwald, directrice du service statistique du ministère de l’Education nationale, le DEPP. Mais pour le sociologue Sylvain Broccolichi, ces indicateurs attisent la concurrence entre établissements et renforcent ainsi la ségrégation.
Ces indicateurs prennent-ils bien en compte la façon dont chaque établissement accompagne les élèves vers la réussite ?
Non, ils sont imparfaits. D’après diverses enquêtes, les informations disponibles sur les profils sociaux des élèves peuvent être diversement biaisées, parce qu’elles sont souvent renseignées de façon lacunaire par les familles (1) puis codées diversement par les secrétaires des établissements. Bien d’autres facteurs non contrôlés peuvent aussi retentir sur les conditions de travail des élèves et donc sur leurs performances et le fait qu’ils restent ou non dans l’établissement jusqu’à l’examen final : proximité d’établissements concurrents, étendue du secteur de recrutement, accessibilité à l’établissement par les moyens de transport collectif, état des équipements, insécurité pouvant exister aux alentours, ou encore instabilité de l’équipe enseignante.
Ces indicateurs ne sont censés être ni un classement ni un palmarès des établissements. Pourtant, ils sont à chaque fois utilisés tels quels dans les médias. A quoi servent-ils donc ?
Ces données pourraient être utiles si elles donnaient lieu à des démarches de régulation pour contrôler plus soigneusement d’où viennent les résultats et essayer d’en tirer des leçons utiles. Mais le ministère ne fait pas cette démarche systématique pour chercher à comprendre pourquoi des établissements réussissent ni pourquoi d’autres sont en difficulté. Cette politique menée depuis plusieurs décennies ne donne pas de résultats censés être favorisés par ces indicateurs, puisque les inégalités scolaires s’accentuent. Quand ces données sont principalement diffusées sans effort particulier de régulation venant des instances ministérielles ou académiques, les effets négatifs l’emportent.
Lesquels ?
La publication de ces indicateurs augmente le risque de voir des élèves et des enseignants partir dans des établissements plus cotés. Et cela concerne seulement ceux qui peuvent se permettre d’aller ailleurs, c’est-à-dire les enseignants titulaires qui ont assez d’ancienneté, les familles qui en ont les moyens, les élèves qui ont de bons résultats scolaires. Les établissements fuis se retrouvent alors avec une majorité de nouveaux enseignants et d’élèves en difficulté, ce qui alimente un cercle vicieux produisant de l’échec et des inégalités.
Cela peut donc avoir un effet dans les collèges dont les performances sont pour la première fois publiées ?
Oui, parce que ce risque de spirale d’échec est majeur pour les collèges urbains, plus nombreux et proches les uns des autres que les lycées, donc plus faciles à éviter. Or, une recherche sur le sujet indique que les forts degrés de hiérarchisation, sociale et scolaire, observés surtout entre collèges des grandes agglomérations sont associés à des inégalités scolaires accrues et à de nets déficits d’apprentissage pour les élèves de tous les groupes sociaux, hormis les plus favorisés (2) : probablement parce que l’omniprésence des oppositions entre «bons» et «mauvais» établissements parasite l’action éducative en véhiculant des tensions et des stigmatisations accrues, d’après nos observations de terrain.
Ces indicateurs montrent tout de même que des établissements en éducation prioritaire qui ont de faibles résultats aux examens accompagnent bien leurs élèves, ce qui augmente leur valeur ajoutée. Cela peut-il changer la perception que les familles peuvent avoir de ces établissements ?
On monte parfois en épingle des établissements de secteurs défavorisés qui ont une bonne valeur ajoutée, mais ils sont rares, et ça ne doit pas cacher la masse de ceux qui sont en bas du classement et pour lesquels les conséquences risquent d’être une fuite accrue des populations les plus capables de décoder le sens de ces évaluations.
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