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jeudi 30 mars 2023

Textiles Mode inclusive : «Ce n’est pas parce qu’on est malade qu’on n’a pas le droit d’être stylé»

par Mathilde Frénois, correspondante à Nice  publié le 28 mars 2023

Pour aider les personnes souffrant d’une pathologie ou en situation de handicap à se réapproprier leur corps et faciliter leur quotidien, des créatrices proposent des vêtements et accessoires à la fois fonctionnels et esthétiques.

Le fauteuil-fleur invite à se lover dans ses volutes de rotin. Il y a des coussins bohèmes et des rideaux en macramé où se nichent des oiseaux en origami. Au milieu de son showroom, mi-bureau mi-boudoir, Julie Meunier pose en turban bleu et chevelure rousse, dos-nu et chaussettes de laine : «C’est très mode, s’esclaffe la Niçoise, qui pensait que ses pieds échapperaient à la photo. A la fashion week, ils adoreraient.» Il y a sept ans, Julie Meunier était juriste. Aujourd’hui, elle est «hairstyliste», créatrice d’une alternative à la perruque. «Tout est parti de mon histoire personnelle. En 2015, à 27 ans, j’ai eu un cancer du sein. Je suis restée complètement chauve pendant les dix-huit mois de traitement.»Julie Meunier ne se reconnaît pas avec une perruque. Elle«bidouille» un astucieux «système» : des fausses franges clipsées au turban. «Ça n’existait pas. Je l’ai développé pour mon propre confort puis je l’ai breveté.» La marque les Franjynes est née. Sept ans, un autofinancement et seize récompenses économiques plus tard, le principe est toujours le même : un diadème en silicone retient la frange sous un turban. La mode adaptée ouvre l’univers du stylisme à tous. Les fringues deviennent une aide thérapeutique, un allié au quotidien, un auxiliaire au soin. Des astuces qui rendent la mode inclusive. Accompagnant la maladie et le handicap, le design médical répond à trois piliers : fonctionnel, confortable, esthétique.

«Cercle vertueux»

Julie Meunier change de look à l’envi et à l’infini. Dans de grandes panières, elle pioche turbans, foulards et bonnets – thermorégulants et anti-UV. Sur les portants, elle choisit des franges blondes méchées et des cheveux châtains aux reflets auburn, en fibre synthétique haut de gamme que l’on peut chauffer et boucler. Il faut compter 120 euros pour l’ensemble, remboursé par la sécurité sociale si acheté en boutique – les ventes en ligne ne sont pas prises en charge. La Niçoise a aussi développé des combinaisons pour glisser des prothèses mammaires externes. «Quand j’ai lancé les Franjynes, on m’a dit : “Tu vas te planter car la maladie n’est pas marketing ni marketable”, regrette la patronne de l’entreprise. Ce n’est pas parce qu’on est malade qu’on n’a pas le droit d’être stylé. Je nourris le rêve qu’on se retourne sur les personnes qui portent le produit parce que c’est beau, et non parce qu’elles sont malades.» Elle équipe des grands brûlés, des personnes en transition ou avec alopécie.

Bien dans ses fringues, bien dans sa peau : pour Julie Meunier, c’est un «package», un «cercle vertueux» qui «aide à garder le moral».Quand on est à l’aise avec son corps et son image, la mode est un moteur d’émancipation. Body positive à fond ? «Si on assume de sortir sans prothèse et chauve, c’est ok. Si on n’est pas prête pour porter un dos-nu, c’est ok, temporise-t-elle. Il ne faut pas oublier qu’on s’adresse à des personnes mutilées par leur maladie. Ce n’est pas tout de suite facile d’assumer ce corps qui a été au repos et abîmé par le traitement.»

«Seconde peau»

Le «stylisme médical» est devenu une marque, déposée à l’Inpi (Institut national de la propriété industrielle) par Anne-Cécile Ratsimbason. En 2014, cette autre Niçoise finit son école de mode quand son parcours médical s’achève. Elle vient de passer dix ans dans un corset, à cause d’une scoliose et d’une hernie discale. Son médecin lui prête un bout de son cabinet pour tester des prototypes. «Je devais trouver la solution pour et avec les ados. Ils rentrent à la maison avec un corset, c’est chiant, il fait chaud, expose-t-elle. On a créé un modèle de vêtement avec un cahier des charges important, puis un cahier esthétique. La visée est thérapeutique : si on ne met pas un corset, ça s’aggrave.» De fil en aiguille, elle conçoit des pochettes pour loger pompes et capteurs, des sweats avec fentes pour passer les perfusions. Des pièces souvent sur mesure adaptées à une quarantaine de pathologies. «Le textile, c’est une manière d’extérioriser, de se présenter au monde pour un entretien d’embauche ou pour un premier rendez-vous amoureux. Si on est atteint d’une maladie ou d’un handicap, on a besoin de se sentir exister, estime-t-elle. Le vêtement doit rester la chose la plus facile, la plus agréable. On s’habille et on se déshabille tous les jours.»

Anne-Cécile Ratsimbason, 38 ans, regorge d’«astuces» pour «désalourdir le quotidien du patient». La petite Agathe a profité d’un body adapté dès l’âge de 2 ans. Il fallait protéger son cathéter, son bouton de gastrostomie et sa poche de stomie. «C’est une seconde peau. Agathe n’est pas gênée dans ses gestes quotidiens, se réjouit sa mère Marie Barbereau. Elle peut courir, porter un pantalon et les mêmes tee-shirts que ses copines.» Le body évolue au rythme d’Agathe. Des boutons-pressions ont été ajoutés pour vider la stomie en autonomie. L’été, les bretelles s’affinent, l’hiver les manches s’allongent. Les tissus s’agrémentent de rose et d’étoiles. A 8 ans, Agathe veut un crop top : Anne-Cécile Ratsimbason invente bandeau et brassière. «Plus on met en place les dispositifs de stylisme tôt, mieux l’enfant accepte ses différences, formule Virginie Dupont, puéricultrice au service gastropédiatrie de l’hôpital pour enfants de Nice, la fondation Lenval. Le vêtement adapté protège le cathéter, il y a moins de risques d’arrachage dans la cour de récréation et en activité sportive. Ça rentre dans la prévention des infections.» Au point de lancer une étude sur ses potentiels effets anti-infectieux. La première patiente équipée à Lenval a repris la gym à haut niveau. «On a une recrudescence de demandes des ados et jeunes adultes au moment des premières expériences sexuelles, notamment avec l’adaptation de la lingerie féminine. Il existe aussi des dispositifs visuels pour la piscine et la plage. Les patients se réapproprient leur corps.»

«Regard des autres»

Chez les créatrices, l’histoire se répète. Quand Charlène (elle ne souhaite pas communiquer son nom de famille) «cherche du réconfort» après la pose de sa stomie, «ça n’existait pas». Depuis La Ciotat, elle crée alors Kangouroo Shop, des housses en coton «personnalisables, lavables, françaises et faites main» pour recouvrir les poches. Un petit garçon fan de Marvel a reçu un tissu brodé Iron Man. «Il était tout content, s’émeut Charlène, 29 ans. Les enfants me touchent beaucoup car le regard des autres est très douloureux quand on a une poche.» Elle a écoulé 1 000 housses. «Ce n’est pas une activité qui fonctionne bien. Pour se faire connaître c’est très compliqué, tempère-t-elle. Tout le monde n’ose pas faire le pas. On reste enfermé dans notre mal-être. On ne préfère pas commander pour ne pas regarder.»

Le monde médical avance. Mais ne dites surtout pas à Claire Gounaud qu’on entre à Maison Dupuytren comme dans une pharmacie. Le magasin niçois dont elle est responsable «n’a rien à voir». Il présente tous les codes de la mode. La vitrine fait de l’œil. Il y a une cabine d’essayage et une carte de fidélité. Il y a du coton bio et de la dentelle, des maillots de bain et des brassières de sport. Ici, on vend de la lingerie postopératoire et des prothèses externes. «On a la volonté de créer un univers pour la femme, explique-t-elle, entourée de vendeuses ayant suivi une formation. Ce n’est pas évident de voir son corps changer. La lingerie aide à s’accepter avec les cicatrices.» La mode inclusive arrive aussi, lentement, dans la grande distribution. Etam et Princesse Tam Tam vendent des soutiens-gorge postopératoires. Jules commercialise une gamme de vêtements spécifique pour les hommes en fauteuil roulant. Zalando lance cette année «plus de 140 styles» pour les personnes handicapées.

Au showroom les Franjynes, on planche sur la nouvelle collection : des franges avec les propres mèches des patientes et des cheveux végétaux en fibre d’ananas. Comme dans le prêt-à-porter, Julie Meunier manie les expressions «impact carbone», «bilan sociétal» et«upcycling». La matière première des foulards et bonnets est issue des chutes de rouleaux, cousue à Nice et transportée à vélo ou à pied. Ça compense l’achat des cheveux synthétiques en Asie. Pour la première fois en cinq ans, des concurrents s’inspirent de son concept. «Ça veut dire que ça se démocratise. Ça interroge, ça plaît»,tente de se rassurer Julie Meunier, très attachée à son brevet. En deux temps, trois mouvements, la créatrice change de coupe. Adieu longueur et couleur, elle se retrouve brune sous un turban jaune.


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