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jeudi 30 mars 2023

Santé publique Dans les hôpitaux, la fin de la prime à l’intérim

par Nathalie Raulin  publié le 28 mars 2023

A compter de lundi, les établissements acceptant de verser des rémunérations supérieures au plafond légal ne seront plus remboursés par l’Etat. En riposte, les «médecins mercenaires» menacent de cesser le travail, au risque de compromettre l’accès aux soins dans les zones rurales.

C’est une liste à donner des sueurs froides au ministre de la Santé, François Braun. Le Syndicat national des médecins remplaçants hospitaliers (SNMRH) a dévoilé vendredi un décompte non exhaustif des hôpitaux publics menacés de «fermetures»imminentes de lits, voire de services entiers. Les 70 établissements de santé cités quadrillent la France rurale et des villes moyennes : de Morlaix à Rodez, de Cherbourg à Bourges, des Sables-d’Olonne à Hyères. Leur point commun ? Devoir faire appel aux médecins intérimaires pour remplir les plannings de leurs services en tension – urgences, maternité, blocs opératoires. Or, cette main-d’œuvre médicale pourrait bien se faire rare dans les prochaines semaines.

De fait, pour mettre un terme aux «dérives financières» de l’intérim médical, le gouvernement a décidé de contraindre les hôpitaux à appliquer la loi Rist, votée en avril 2021. A compter de lundi, tout établissement public de santé qui accepterait de verser aux médecins intérimaires des rémunérations supérieures au plafond légal (initialement fixé à 1 170 euros brut pour vingt-quatre heures de garde) ne serait plus remboursé par le comptable public. Impensable pour des médecins intérimaires, habitués à des rémunérations autrement plus confortables (de l’ordre de 1 200 euros à 1 500 euros net hors période de fête). «La plupart de mes 1 000 adhérents disent qu’ils prendront des vacances prolongées à partir d’avril, prévient Eric Reboli, président du SNMRH. Il est inenvisageable pour eux de faire plusieurs centaines de kilomètres pour aller tenir une garde de vingt-quatre heures dans des conditions souvent dantesques pour un tarif maximum de 1 170 euros brut.»

«Il nous prend vraiment pour des marchands de tapis !»

De quoi faire souffler un vent de panique dans les campagnes françaises ? Jeudi, Vincent Gorse, le président du conseil de surveillance du centre hospitalier Sud-Gironde, à Langon, l’a fait savoir par courrier au ministre de la Santé : «Certains remplaçants touchent parfois plus de 2000 euros net par vacation de vingt-quatre heures dans des services en tension comme les urgences ou la maternité. Avec un plafond à 1 170 euros brut, certains vacataires ont déjà annoncé que cela ne servait à rien de les appeler : ils ne viendront pas.» Et de conclure : «Les urgences vont connaître plusieurs ruptures de soins en l’état des prévisions début avril.»L’hôpital de Landon n’est pas un cas isolé. Selon un autre recensement réalisé cette fois par le syndicat Action Praticiens Hôpital, quelque 25 services d’urgences hospitalières seraient menacés de fermeture totale ou partielle en avril, faute de suffisamment de médecins pour remplir les tableaux de garde.

C’est le cas à Gassin (Var), Fontenay-le-Comte (Vendée) ou encore Montluçon (Allier). De quoi faire craindre que les efforts déployés par les agences régionales de santé (ARS) et les directions hospitalières depuis janvier ne suffisent pas à éviter une forte dégradation de l’accès aux soins, hors des grandes métropoles. «On est sur le pied de guerre, admet Emilie Bérard, déléguée régionale de la Fédération hospitalière de France en Occitanie. Grâce à la solidarité interétablissements, on a résolu 80 % des problèmes. Mais il reste des points critiques en Ariège, en Aveyron ou en Lozère.» Dans le Grand-Est, la tension est tout aussi palpable : «En façade, localement, on va éviter la catastrophe, estime le docteur Marc Noizet, chef des urgences du groupe hospitalier Mulhouse-Sud-Alsace. Mais il va y avoir des incidences sur les blocs opératoires, les services de médecine et les urgences. Les hospitaliers devant faire quasiment à ressources constantes, il va inévitablement y avoir un impact sur la qualité et la sécurité des soins.»

«Tentation de passer de l’autre côté»

Lundi, François Braun a (un peu) revu sa copie. Pour éviter un gel total du marché de l’intérim et éloigner le risque de crash sanitaire, décision a été prise de porter le plafond légal de rémunération de 1 170 à 1 390 euros brut pour une garde de vingt-quatre heures. «100 euros net de plus ? Mais cela ne change rien du tout ! débine Eric Reboli. Il nous prend vraiment pour des marchands de tapis !» Mais pour le ministre de la Santé, pas question de reculer. A ses yeux, la réforme est indispensable pour «éviter la destruction du service public hospitalier». Car l’intérim médical aspire de manière désormais inquiétante les forces vives de l’hôpital. Ainsi, selon un rapport du Centre national de gestion, le nombre de praticiens hospitaliers en disponibilité a explosé en dix ans, passant de 1 291 en 2012 à 5 561 en 2022. Ils représentent désormais 12,2 % de l’ensemble des praticiens hospitaliers, contre seulement 3,1 % en 2012.

Et si nombre des médecins rompent provisoirement les amarres avec l’hôpital, c’est pour basculer dans l’intérim. «Quand vous êtes praticien hospitalier statutaire, au bout d’un moment, vous vous sentez comme le dindon de la farce, explique un ancien directeur d’ARS. Vous êtes moins payé que les intérimaires, vous avez plus d’astreintes et c’est à vous de faire tourner la boutique. Du coup, la tentation est forte de passer de l’autre côté.» De quoi enclencher un cercle vicieux : ses praticiens le désertant (30 % des postes hospitaliers sont vacants), l’hôpital est contraint pour fonctionner de faire de plus en plus appel à l’intérim… «Depuis 2016, le recours à l’intérim médical a augmenté de plus de 60 %, avec une forte accélération depuis le Covid, insiste l’entourage du ministre. Il y a urgence à agir pour stabiliser les équipes hospitalières.»

Pas sûr néanmoins que cet objectif-là soit atteint. Car pour sécuriser au maximum leur offre de soins après avril, de nombreux hôpitaux, avec l’accord des ARS, ont ces dernières semaines proposé des ponts d’or à leurs intérimaires réguliers pour les convaincre de réintégrer l’hôpital. «Beaucoup de médecins sont embauchés à un revenu proche de ce qu’ils touchent en intérim, confirme le docteur Marc Noizet. Résultat, certains sont aujourd’hui payés 50 % de plus que leur chef de service ! Cela va peut-être permettre d’éviter un drame sanitaire. Mais les praticiens titulaires à qui l’on va demander une nouvelle fois de tenir l’hôpital à bout de bras n’ont, eux, rien obtenu en retour. Cela va faire trembler les positions.»


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