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vendredi 23 décembre 2022

Titres de séjour Loi sur l’immigration : aux grands maux les petits remèdes pour les médecins étrangers

par Léna Coulon  publié le 22 décembre 2022

Certains professionnels de santé non européens exerçant en France pourraient se voir attribuer, après de très sélectives épreuves de vérification de leurs connaissances, un titre de séjour d’un à quatre ans. Un soulagement face aux craintes d’expulsions, mais qui maintient la précarité de leur statut.

«C’est sûr, ce serait un soulagement pour tous les confrères sous l’emprise et la pression des préfectures.» S’il se garde bien de se montrer trop optimiste, attendant «des précisions, car le diable se loge dans les détails», Eric Tron de Bouchony, ex-biologiste hospitalier et syndicaliste CGT, salue la possible création d’une carte de séjour d’un à quatre ans destinée aux professionnels de santé. Prévu dans le projet de loi sur l’immigration, envoyé lundi au Conseil d’Etat et qui doit être discuté au Parlement au premier semestre 2023, ce titre de séjour dit «talent – professions médicales et de pharmacie» pourrait, espère le syndicaliste, «au moins faire cesser la délivrance systématique des obligations de quitter le territoire français [OQTF]». Seraient concernés les médecins, sages-femmes, chirurgiens-dentistes et pharmaciens étrangers (les infirmiers en sont exclus) embauchés dans un établissement de santé public ou privé à but non lucratif.

Parce qu’ils les accompagnent au quotidien, Eric Tron de Bouchony a des anecdotes à la pelle sur les «absurdies» que vivent les praticiens ayant obtenu leur diplôme en dehors de l’Union européenne. Celle d’un réanimateur rwandais «harcelé par la préfecture», soumis à des contrats hachés puis contraint de quitter le pays. Celles de médecins bien implantés, «aimés de tous», mais forcés de passer d’un service à un autre, à l’autre bout de la France. Des histoires courantes parmi les 5 000 professionnels de santé étrangers exerçant en France à grand renfort de contrats courts et sous-payés (de l’ordre de 1 300 euros net sans les gardes) pendant des années, plongés dans l’angoisse de l’expulsion. Il y a deux semaines, nous évoquions le parcours de Mimy Tang, proctologue vietnamienne sous le coup de deux OQTF. En France depuis 2015, la médecin dénonçait l’«hypocrisie» de l’Etat, friand d’une main-d’œuvre nécessaire dans un hôpital public en crise, mais rendue corvéable et bon marché.

«Une poignée de reçus»

L’option envisagée par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et le ministre du Travail, Olivier Dussopt, conditionne l’obtention de cette carte de séjour à la réussite des très difficiles et sélectives épreuves de vérification des connaissances (EVC), nécessaires pour faire reconnaître un diplôme obtenu en dehors de l’Union européenne. Deux cas de figure sont envisagés : soit le professionnel de santé, qui dispose d’un contrat de travail d’au moins un an, n’a pas encore passé ce concours, et il bénéficie alors d’un titre de séjour de douze mois qui ne pourra être prolongé que de treize mois en cas d’échec aux examens ; soit il a réussi les EVC et il obtient un titre pour quatre ans.

Problème : en 2022, sur les 4400 candidats à ce sésame, seuls 1716 ont été admis. Soit 61 % de laissés-pour-compte. Et qui seraient donc, selon le scénario retenu par le gouvernement, exclus de la nouvelle carte de séjour. «Les EVC, c’est une poignée de reçus. Quand je les ai passés en 2014, nous étions 80 en dermatologie pour 3 places», se remémore Inès Zaraa, dermatologue et professeure agrégée tunisienne, récemment naturalisée française. Dans son cas, le titre de quatre ans envisagé par le gouvernement lui aurait épargné «l’humiliation du renouvellement de la carte de séjour tous les six mois, à patienter des heures, dès l’aube, en file devant la préfecture, à être maltraités et noyés dans une tonne de paperasse». Un répit de quelques années que n’auront pas les recalés.

«Une logique de Kleenex, on les utilise puis on les jette»

«La première difficulté des médecins étrangers, c’est l’insécurité administrative», assure Brahim Zazgad, psychiatre à Laon, dans l’Aisne, et président du Syndicat d’union des praticiens à diplôme hors Union européenne (Supadhue). «La mesure annoncée est bonne, mais on reste méfiants, poursuit-il. Comment sera-t-elle appliquée sur le terrain ? Aujourd’hui, certaines préfectures jouent le jeu et facilitent l’octroi de titres en étant conscientes du manque d’effectif médical, alors que d’autres y restent sourdes, en refusant de régulariser des praticiens qu’implorent pourtant les hôpitaux.» Valable d’un à quatre ans, le titre de séjour envisagé ne réglerait d’ailleurs pas «l’angoisse de l’incertitude sur son avenir» à long terme, «à moins que ça mène à une carte de résident», ose espérer le psychiatre.

Brahim Zazgad s’interroge : «On insiste beaucoup sur l’importance de la continuité des soins, le lien tissé entre le patient et le soignant. Or, quand des collègues doivent partir du jour au lendemain, qu’en reste-t-il ?» Barbara Filhol, de la CGT santé et action sociale, y voit «une logique de Kleenex, on les utilise puis on les jette», alors «que sans les médecins étrangers, c’est simple, l’hôpital ne survivrait pas». Pour la branche emploi et formation de la CFDT, Benjamin Vitel souligne quant à lui le risque d’«aggraver la pénurie de soignants dans le monde, sans régler la vraie source de la pénurie : le manque d’investissement, les contraintes budgétaires et des conditions de travail dégradées». Tous restent sceptiques sur l’annonce fraîche du gouvernement. Et attendent de voir.


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