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vendredi 10 juin 2022

Reportage Manifestation des psys à Paris : «La psychologie, c’est toujours la discipline qui passe à la trappe»

par Estelle Aubin  le 10 juin 2022

Ce vendredi, les psychologues sont descendus dans la rue à Paris et en région, pour protester contre la mise en place du dispositif MonPsy, et plus généralement, contre la dégradation de la prise en charge des malades, pourtant de plus en plus nombreux.

«Si le dispositif MonPsy passe, dans trois ans, à la fin de son expérimentation, je peux vous dire que je pars travailler au Canada, lance Jennifer, 25 ans, sourire narquois. Et ça, vous pouvez l’écrire dans votre article.» «Moi, je deviens coach de vie, écourte Magali Foynard, 42 ans. Qu’on ne me parle pas d’être psychologue si c’est pour faire huit séances de 30 minutes maxi, sur adresse d’un médecin qui ne connaît rien à mon job.» Jennifer et Magali, cheveux longs, lunettes de soleil sur le nez et maquillage léger, sont psychologues en libéral. L’une à Nice, l’autre à Chartres. Mais toutes les deux sont montées à Paris, ce vendredi, pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail.

Il y a un an déjà, jour pour jour, les psychologues descendaient dans la rue pour la première fois depuis dix ans pour demander des comptes à l’exécutif. Cet après-midi, quelque 150 psychologues, en libéral ou en hôpital, quadrillent l’embouchure de métro des Invalides, à quelques pas de l’Assemblée nationale. Presque toutes sont des femmes. Le premier à prendre la parole, devant une camionnette du syndicat Sud, drapeaux violets est un homme. «Les services publics sont en train d’agoniser. Les psys n’ont pas à subir la logique marchande et de réduction des coûts de nos gouverneurs»,lance-t-il au micro.

«Thérapie low-cost»

Il cible ensuite le dispositif MonPsy, dernière «trouvaille» de l’exécutif, post-crise sanitaire, pour prendre en charge le problème de la santé mentale. Dans l’idée, il s’agit de rembourser huit consultations psychologiques par an à tout Français âgé d’au moins 3 ans, par l’assurance maladie. Dans les faits, le système est moins reluisant. «De la poudre aux yeux, s’emporte le représentant Sud. C’est le low cost de la thérapie.» Applaudissement général. Tous ici sont vent debout contre le nouveau dispositif, mis en place à titre d’expérimentation le 5 avril.

«Ça ne répond en rien aux besoins des patients, rage Jennifer la jeune psychologue. Dites-moi dans quelle étude scientifique il est écrit que huit séances de 30 minutes, c’est thérapeutique ?» Pour elle, le dispositif est contre-productif. Elle explique que le patient ne peut être remboursé qu’à condition d’avoir d’abord un adressage de son médecin généraliste – une «mise sous tutelle de sa profession selon [elle]» –, doit prendre un rendez-vous avec un psychologue membre de la Convention MonPsy – ce qu’à titre personnel, elle refuse – et ne bénéficier que de huit séances maximum par an, d’une valeur de 40 euros lors de la première rencontre, puis de 30 euros. «Des tarifs loin de la réalité», dénonce-t-elle, avant de préciser qu’elle demande 60 euros par consultation à ses patients, «ce qui est déjà une fourchette basse». A la fin du mois, elle se verse un salaire d’environ 2 000 euros net, sans compter les congés et les formations qui sont à ses frais.

35 patients par semaine

Selon les syndicats, seuls 600 à 700 psychologues libéraux font partie de la plateforme MonPsy. Sur les 18 000 déclarés. L’ancien ministre de la Santé parlait, lui, de «1 000 psychologues volontaires», sur France Info, à la mi-mars. «Dans l’Eure-et-Loir, seules deux psy ont rejoint la Convention, alors qu’on est déjà 60 psychologues rien qu’à Chartres. Juste pour vous donner un ordre d’idée», raille Magali, qui voit «35 patients par semaine», a un mois d’attente et empoche environ 2 000 euros net chaque mois, pour des séances à 60 euros et 65 % de charges. Autre motif de mécontentement pour Magali, seules les personnes souffrant de troubles dépressifs ou anxieux légers sont concernées. Et pas «les patients trop anxieux, trop traumatisés ou suicidaires», déplore-t-elle.

Sa collègue Jennifer s’indigne contre les mutuelles qui «ne remboursent plus leurs clients depuis MonPsy». Jusqu’alors, les plus chanceux pouvaient bénéficier d’un remboursement de quelques séances. Arrivent ainsi dans son cabinet niçois des patients perdus parmi toutes les procédures, d’autres qui ne veulent faire que les huit «petites» séances remboursées et rebroussent aussitôt chemin «quand ils apprennent que je ne fais pas partie du dispositif». Mais elle refuse catégoriquement de pratiquer des tarifs réduits quand les patients lui demandent. «Y’a pas un médecin qui adapte ses prix dans le métier, maugrée-t-elle. Faut arrêter de croire que les psychologues sont des bénévoles, parce qu’ils sont dans l’écoute et dans le care.» De quoi lui donner des envies d’escapade vers le Canada, où les conditions de travail sont «bien meilleures» et le métier «enfin reconnu», dit-elle.

Hôpital public à bout de souffle

Le long des pelouses vertes des Invalides, quelques passants frôlent le cortège. Le slogan «Psychologues en colère, y’en a marre de la galère» résonne soudain dans le vrombissement de la circulation. Trois femmes lèvent chacune leur pancarte parmi les drapeaux et les images de Freud. Deux d’entre elles, Stéphanie et Marion, sont psychologues dans un hôpital public des Yvelines, et la troisième est titulaire dans le Nord, partageant son temps entre deux Ehpad et un accueil de jour pour personnes malades d’Alzheimer. En tout, elle doit s’occuper de 100 résidents dans un Ehpad, 80 dans l’autre et 20 patients dans l’accueil de jour. «Mais je vous rassure, je ne peux pas suivre tous les patients, balaie-t-elle, je suis obligée de choisir les cas les plus urgents.»

Les psychologues de l’hôpital public – institution en grève mardi – ne se portent guère mieux. «Dans l’hôpital, c’est environ un psy pour 60 malades, résume, amère, Stéphanie, 40 ans. Les ratios psy/patients n’ont jamais été la panacée c’est clair, mais les besoins augmentent. Je m’occupe des troubles neurologiques. Ils sont de plus en plus forts depuis les confinements, mais personne n’accroît nos moyens.» Elle se contente d’offrir le «minimum syndical», trois heures de prise en charge en moyenne par patient, alors qu’elle aurait souvent «besoin de 7 à 8 heures».

Résultat des courses : les contentions et les chambres d’isolement sont de plus en plus fréquents et les délais d’attente s’allongent – jusqu’à six mois dans son service. Surtout, elle déplore un manque de reconnaissance salariale. Stéphanie a quinze ans d’ancienneté et 2 000 euros nets sur son bulletin de salaire à la fin de chaque mois.«On se sent toujours lésés par rapport aux autres métiers de l’hôpital.» «La psychologie, c’est toujours la discipline qui passe à la trappe», coupe court Maud, sa consœur. Une militante s’avance vers les trois femmes et leur tend un tract : «Tenez, les paroles de notre chanson. Histoire qu’on fasse du bruit.»


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