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mardi 7 juin 2022

Chronique «Aux petits soins» Des personnes âgées surmédicamentées et mal médicamentées

par Eric Favereau  publié le 7 juin 2022 

Lors du congrès d’Epi-Phare qui s’est tenu le 3 juin, Bernard Bégaud, président du conseil scientifique de cette structure de surveillance des médicaments, a appelé à la mise en œuvre d’un programme pour étudier les effets, très peu connus, des médicaments sur les personnes âgées.

Vieux et médicaments ? Un couple qui s’adore et se fréquente même beaucoup. Mais voilà, les relations sont incertaines, mal définies, confuses, parfois dangereuses. On ne sait jamais si cela peut mal se terminer. En tout cas, c’est une urgence de santé publique que de s’en intéresser. En fin de semaine dernière, le congrès d’Epi-phare (structure originale qui regroupe l’Assurance maladie et l’Agence du médicament, avec pour mission d’étudier dans la vraie vie les prises de médicaments) a eu la bonne idée de consacrer une session pleine et entière sur ce sujet. Au cours de laquelle on a par exemple découvert que les nouveaux antipsychotiques, souvent prescrits aux personnes âgées pour réguler leurs humeurs, ont pour effet de multiplier par deux le risque de devenir dément. Et cela en toute indifférence.

Mais revenons aux fondamentaux. Et c’est le professeur Bernard Bégaud, président du conseil scientifique d’Epi-phare, qui en dessine le contexte. «D’abord, une question simple sur laquelle on bute : qui est une personne âgée ? On nous dit plus de 65 ans. Est-ce une définition sociale, biologique ? En tout cas, c’est une population difficile à définir scientifiquement. Or, nous avons assisté à une médicalisation de la vieillesse, note-t-il. Et le vieillissement physiologique est souvent assimilé à une maladie. Ce que l’on voit, c’est que cette population va se caractériser par le fait qu’elle est polymédicamentée, et mal médicamentée.»

Une population isolée, non connectée, mal informée

Le professeur Bégaud, qui est un des meilleurs connaisseurs français des médicaments, est prudent. Il décrit un monde où les certitudes sont rares. Or le problème est là, massif. Les personnes âgées sont les plus grands consommateurs de médicaments : plus de 50 % de tous ceux qui sont prescrits. «Les effets des médicaments sont variables, ils ne sont pas uniformes. Et peuvent varier avec l’âge. Les risques sont mal connus, poursuit Bernard Bégaud. Avec les personnes âgées, nous avons des difficultés d’identification et de diagnostic. Nous avons une connaissance insuffisante de la iatrogénie, c’est-à-dire des effets indésirables provoqués par la prise d’un ou plusieurs médicaments. On applique les modèles et les classifications adultes, mais sont-ils pertinents ? En plus, il y a plein d’inconnues : on refuse de prendre en compte certaines données et hypothèses, comme les liens entre démence et utilisation prolongée de benzodiazépines.»

Le président du conseil scientifique d’Epi-phare note «une sous-notification forte des effets indésirables» de la part des personnes âgées. Les raisons sont connues : il s’agit d’une population isolée, non connectée, peu communicante, mal informée. «La surveillance de ces effets secondaires est primordiale. Or, elle est souvent relâchée, les interrogatoires chronologiques et sémiologiques sont parfois difficiles. Et puis il y a une forte probabilité “naturelle” de manifestations graves.» Comment, dès lors, faire la part des choses ?

«On peut être inquiet de notre ignorance et de nos pratiques»

Autre interrogation : y a-t-il des différences dans l’effet des médicaments avec l’âge ? «On n’a pas vraiment de réponses, juste des hypothèses. Il peut y avoir des réponses pharmacologiques différentes, en raison de réactions immunitaires différentes.»Exemple de ces manques cruels de certitudes : on va dire et répéter que les vaccins, en général, fonctionnent deux fois moins efficacement chez les vieux, mais on le dit sans que cette affirmation repose sur des études claires. De même sur la posologie : faut-il la diminuer ou pas avec l’âge ? On n’en sait rien. «Au final, résume Bernard Bégaud, on peut être inquiet de notre ignorance et de nos pratiques, par rapport à une consommation très importante de médicaments chez la personne âgée, souvent sans réelle justification, avec des bénéfices attendus pouvant différer de ceux du jeune, exprimant des effets indésirables sous une forme parfois différente, difficiles à diagnostiquer et probablement, en bonne part, non identifiés.» Et le chercheur d’appeler de ses vœux au lancement d’un «programme d’études pharmaco-épidémiologiques d’envergure, spécifique et permanent. C’est cette approche qui permettra de savoir en quoi, dans quelle mesure et dans quel contexte cette population diffère d’une population plus jeune en dehors des médicaments qui lui sont spécifiques».

Une urgence donc. D’autant qu’au hasard des communications tenues lors de ce colloque d’Epi-phare, on a appris que les antipsychotiques de seconde génération sont deux fois plus à risque de démence chez les personnes âgées, alors qu’ils sont de plus en plus utilisés, comme l’a révélé la professeure Marie Tournier, psychiatre au CHU de Bordeaux. On a aussi découvert que les «prescriptions inappropriées» de médicaments sont responsables de 9 % des hospitalisations des personnes âgées, et qu’un tiers des personnes âgées vont subir au moins une prescription inappropriée. Les résidents des Ehpad sont particulièrement touchés, près de deux fois plus de ces prescriptions inappropriées ayant lieu dans ces établissements, selon une étude de la chercheuse Solène Drusch.


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