CHRONIQUE
Le juriste Jean-Emmanuel Ray imagine, dans sa chronique au « Monde », les conséquences, en droit du travail, du métavers sur les métiers qu’il pourrait affecter.
Droit social. Le métavers en met plein la vue. Avec cet autre monde en 3D, permanent et surtout interactif, on est vraiment dans son bureau, discutant avec ses collègues pixélisés grâce au masque (d’un demi-kilo). Et quand Mark Zuckerberg, avec ses 2,8 milliards de clients Meta, évoque une révolution aussi importante qu’Internet, on l’écoute.
Mais, du côté des Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), dont les modèles donnent des signes d’essoufflement, on voit bien l’intérêt de passer au « Web 3 », cette nouvelle génération informatique. Idem côté fabricants de matériel ultra-haute définition, et cryptomonnaies, l’élément central à terme.
La réponse est moins claire du côté des entreprises classiques : gadget ou révolution ? Dans des magasins virtuels de mode, on s’arrache déjà des paires de baskets « virtuelles » à 2 500 euros… Et les banques, les assurances et les commerçants devront suivre leurs clients là où ils vont. Leurs salariés animeront donc leur avatar en entreprise à partir de cabines spécifiques au siège, mais aussi de leur domicile : un télétravail avec présence virtuelle, interdiction de déconnexion… et, parfois, effroi des enfants.
Des coûts tout sauf négligeables
Si l’action demandée est ponctuelle, pas de problème de modification du contrat. Mais passer à temps plein dans le métavers constitue un bouleversement de l’équilibre contractuel, qui peut donc être refusé. Les trois domaines le plus concernés par le possible développement du métavers ? Le recrutement élargi à la planète, d’abord, avec démonstrations réciproques à 6 500 kilomètres. Et l’avatar ne correspondant pas forcément à la personne, les biais habituels (âge, sexe…) influent moins.
Ensuite, la communication : le métavers abolit les barrières géographiques, mais aussi de la langue grâce à une traduction automatique dans l’idiome de chacun. De quoi intéresser aussi les syndicats et le comité social et économique (CSE). Mais, dans ces deux domaines, le rapport qualité-prix par rapport à une bonne conférence Zoom ne saute pas aux yeux.
Enfin, la formation. Du chirurgien à la maintenance, les démonstrations interactives d’opérations, avec les mêmes outils que dans la vraie vie et les mêmes incidents (programmés), sont extrêmement instructives.
Mais il faut savoir raison garder, car le bilan écologique peut être catastrophique. Au-delà des coûts tout sauf négligeables (500 casques fragiles à 400 euros, plus l’achat de mètres carrés hors de prix sur Sandbox), l’avatar devra-t-il ressembler à la personne physique ? Outre des ajouts vestimentaires ou capillaires très créatifs, rien n’empêche un homme de créer un avatar féminin ou vice versa. Comme dans la vie réelle, un code de bonne conduite pourra fixer les grandes lignes.
Santé mentale et accidents
Les premiers incidents dans le métavers ont été signalés par des femmes. Si le harcèlement sexuel pourrait être poursuivi comme dans la vraie vie, les délits comportant un contact physique sont, pour l’instant, exclus. Mais, depuis, a été créée une « bulle de sécurité » pour avatar craintif ; et couper la connexion évacue le problème. Ces risques inciteront les entreprises à enregistrer les échanges afin de garder les preuves d’éventuelles dérives : problèmes de respect de la vie privée et de droit à l’image de l’avatar créé ?
Les questions les plus délicates touchent à la santé. Côté santé physique, passer des heures avec les yeux à trois centimètres de LED n’est pas recommandé. Sans parler des accidents dus à la perte d’équilibre, ou à la suite de gestes brusques si l’environnement n’a pas été adapté. Always in ? Quid de la santé mentale de collaborateurs devant passer plusieurs heures par jour dans un monde virtuel ?
Côté entreprise, la déconnexion obligatoire est une modalité de l’obligation de sécurité. Problème : lorsqu’un collaborateur se sent dévalorisé dans sa vie personnelle et professionnelle, ses avatars lui permettent de s’évader des deux. Dans La France contre les robots (1947), Georges Bernanos évoquait déjà « une conspiration contre toute espèce de vie intérieure ».
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