Publié le 7 juin 2022
Alors que le pays scandinave avait renoncé à une bonne partie de sa défense à la fin de la guerre froide, il se remilitarise. Un effort qui inclut aussi la lutte contre la désinformation.
Depuis le 23 mai, d’étranges dessins, rappelant des images de propagande des années 1940, ornent les arrêts de bus en Suède. Les mêmes ont été publiés dans les journaux ou sur les réseaux sociaux. On y voit le couvercle d’une boîte, tenue par un bâtonnet, sur le point de se refermer sur sa proie. En dessous, un « like », comme on en retrouve sur Instagram. Un autre montre la tête d’un chat sur l’écran d’un téléphone portable, dont l’ombre forme une silhouette monstrueuse. Le message : « Bli inte lurad » – « Ne te fais pas avoir ».
Sur Internet, les trois mots forment l’adresse d’un site, qui propose – en suédois, en anglais et en arabe – des astuces faciles pour identifier la désinformation. Comment reconnaître un « fake », par exemple. Il est recommandé de toujours vérifier qui sont les auteurs d’un texte ou d’un message et de se demander pourquoi il a été envoyé. Un petit lexique détaille la différence entre désinformation, mésinformation et mal-information. Des termes tels que « village Potemkine » (façade) ou « sock puppet » (faux comptes de médias sociaux) y sont expliqués.
Derrière cette campagne se trouve l’Agence pour la défense psychologique : une institution qui vient de renaître de ses cendres en Suède, après avoir été enterrée dans les années 2000. A l’époque, le pays scandinave s’était laissé convaincre que la chute du mur de Berlin et l’implosion de l’URSS avaient définitivement éloigné la guerre du continent européen. L’armée avait été démantelée, le service militaire supprimé et la défense totale – développée pour faire face à la guerre totale – abandonnée.
« Ne pas succomber à la propagande ennemie »
L’annexion de la Crimée par la Russie, en 2014, a remis les pendules à l’heure. L’Europe redécouvre alors l’efficacité de la déstabilisation : « Au Donbass, la Russie a mené une guerre cachée, où la désinformation et la propagande ont été utilisées pour nier la guerre, avant d’admettre qu’elle avait bien lieu », explique Magnus Hjort, chef du développement des capacités auprès de la toute nouvelle agence. En Suède, la défense totale revient au goût du jour et, avec elle, la défense psychologique.
A l’origine, elle a été conçue « pour permettre à la population de faire face mentalement à la guerre, de résister éventuellement à l’occupation et de ne pas succomber à la propagande ennemie », résume Magnus Hjort. Mais le monde a évolué et, ces dernières années, il est devenu évident que, même en temps de paix, la guerre de l’information sévissait et que « les dictatures et régimes autoritaires utilisaient la désinformation comme instrument pour atteindre des objectifs politiques, stratégiques et militaires », précise M. Hjort.
Officiellement inaugurée le 10 mai à Kalmar, au sud-est de la Suède, l’Agence de défense psychologique suédoise a commencé à travailler le 1er janvier et compte déjà une quarantaine d’employés. D’autres devraient être recrutés dans les prochains mois, car la mission est vaste. « Nous protégeons la société ouverte et démocratique et la libre formation d’opinion en identifiant, analysant et répondant aux influences inappropriées et autres informations trompeuses dirigées contre la Suède ou les intérêts suédois », clame le site Web de l’institution.
Plus précisément, l’agence a quatre fonctions. Tout d’abord, elle doit faire en sorte que la société entière prenne conscience des tentatives d’influence dont elle est l’objet, de la part d’acteurs étrangers, étatique ou non. Deuxièmement, elle a une mission opérationnelle, consistant à détecter les campagnes de désinformation menées contre la Suède. L’agence dispose également d’un budget pour financer des projets de recherche. Enfin, elle est chargée de soutenir les médias, en organisant des formations ou en leur offrant une aide s’ils se retrouvent au cœur d’une campagne de déstabilisation.
Préserver la liberté d’expression
Magnus Hjort prend bien soin de préciser qu’en aucun cas, l’agence n’intervient dans le contenu rédactionnel ou éditorial, pas plus qu’elle ne s’intéresse à la mésinformation qui circule en Suède : « Cela doit être géré dans le cadre d’un débat ouvert entre les partis politiques, ou par les agences gouvernementales responsables, comme celle de la santé publique pour ce qui concerne la pandémie, par exemple. » Le sujet est extrêmement sensible : il en va de la liberté d’expression.
Durant ses cinq mois d’existence, l’Agence de défense psychologique a déjà eu de quoi faire. En début d’année, une campagne, lancée sur les réseaux sociaux et qui s’est ensuite matérialisée dans la rue, a attiré son attention : les services sociaux suédois étaient accusés de « kidnapper » des enfants de familles musulmanes pour les convertir. L’agence a rapidement identifié des sites islamistes à l’étranger, soupçonnés de nourrir les rumeurs et de propager de fausses informations. S’il est difficile d’établir le but de cette campagne, « elle peut avoir été utilisée pour promouvoir certaines organisations islamistes à l’étranger ou faire avancer des opinions pro-islamistes en Suède », estime M. Hjort.
Autre phénomène, apparu sur les réseaux sociaux fin mai : le « Swedengate » – ou comment un message posté sur Instagram a mis le feu aux poudres, en clamant que les Suédois ne nourrissaient pas les amis de leurs enfants quand ils viennent jouer chez eux. Depuis, les affirmations les plus folles circulent sur la Toile, y compris de fausses informations destinées à présenter le royaume comme un nid de racistes. Dans cette affaire, l’agence n’a constaté aucune influence étrangère. Toutefois, « cela ne veut pas dire qu’une puissance étrangère ne va pas s’en saisir, pour l’exploiter et accroître la polarisation au sein de la société suédoise », met en garde M. Hjort.
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