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mardi 7 juin 2022

« Nous, parents d’anorexiques, refusons la concurrence pour l’accès aux structures de soins »

Publié le 7 juin 2022

TRIBUNE

Alors que les troubles du comportement alimentaire touchent de plus en plus de jeunes, un collectif de parents d’adolescents suivis à Paris interpelle, dans une tribune au « Monde », les pouvoirs publics sur le dramatique manque de places dans les structures spécialisées

Sept. C’est le nombre de lits d’hospitalisation réservés aux adolescents atteints d’anorexie mentale à la Maison de Solenn, maison des adolescents, qui fait partie de l’hôpital public Cochin, à Paris. Sept lits sur vingt au total, treize étant réservés à d’autres troubles psychiatriques dont souffrent les adolescents.

La réputation de la Maison de Solenn, fondée en 2004, n’est plus à faire en matière de prise en charge des troubles du comportement alimentaire (TCA). Elle réunit une équipe exceptionnelle – et c’est peu dire – de médecins, psychologues, diététiciens, infirmiers, aides-soignants, psychomotriciens…

Nous, parents d’anorexiques, mesurons le privilège de voir nos enfants soignés là, mais sommes effarés devant ce numerus clausus – sept lits – qui laisse tant d’autres en détresse. Il existe si peu de structures hospitalières publiques équivalentes sur le territoire national. Ne parlons même pas des outre-mer…

De plus en plus de cas

Sept lits donc dans cet établissement public spécialisé de Paris pour mener la bataille contre cette maladie effrayante, qui touche de plus en plus de jeunes. Nous disons « de plus en plus », car les chiffres sont impossibles à préciser, tant les cas explosent depuis 2020 sans que les pouvoirs publics ne soient en mesure de les comptabiliser, et donc d’y apporter une réponse.

Selon la Fédération française Anorexie Boulimie, les troubles des conduites alimentaires concernent près d’un million de personnes en France. Dans un article paru le 28 avril 2021Le Monde indiquait : « Depuis le début de la pandémie de Covid-19, les cas de boulimie, d’hyperphagie et d’anorexie ont explosé en France, en particulier chez les jeunes adultes (…). Dans tous les services spécialisés accueillant ce public, on rapporte un même ordre de grandeur inquiétant : une augmentation d’environ 30 % de la demande par rapport aux autres années. La ligne téléphonique Anorexie Boulimie Info Ecoute a, elle aussi, vu ses appels s’accroître de 30 % en 2020. »

Derrière ces chiffres, combien de jeunes filles et de jeunes garçons en souffrance, combien de familles démunies, ravagées d’inquiétude ? Elles ont bien raison : le taux de mortalité d’un jeune souffrant d’anorexie mentale est beaucoup plus élevé que celui des personnes du même âge et les tentatives de suicide sont plus nombreuses…

« Nous qui voyons notre enfant dépérir, se décharner, emmuré dans sa maladie, en attendant qu’une place se libère, on nous dit d’attendre »

Sept lits… Nous ne voulons pas parler à la place des médecins, même si nous ne doutons pas des choix cornéliens auxquels ils sont confrontés pour déterminer qui de, Esther, Pauline ou Sarah – les prénoms ont été modifiés – , toutes aux alentours de 30 kg, sera la prochaine à intégrer la structure dès qu’un lit se libère.

En revanche, nous pouvons dire ce que signifie ce maximum de sept lits pour nous, parents d’ados malades. Nous qui voyons notre enfant dépérir, se décharner, emmuré dans sa maladie, en attendant qu’une place se libère. On nous dit d’attendre, de surveiller notre enfant (donc d’arrêter, pour certains, de travailler) d’appeler les pompiers en cas de malaise… Notre enfant qui, au bout de trois jours sans boire ni manger, aura droit à une place aux urgences, juste le temps de le ou la sauver in extremis, car les urgences aussi sont débordées, avant de ressortir et attendre de nouveau. Telle est la réalité. Et il ne faut pas croire qu’en attendant une place dans une structure dotée de spécialistes comme la Maison de Solenn, les hôpitaux traditionnels puissent prendre le relais. Ils ne le peuvent pas. Or, chaque jour qui passe sans une prise en charge sérieuse « nourrit » la maladie, qui s’attaque au cerveau de notre enfant, à toutes ses fonctions vitales, et rend le processus de guérison encore plus long.

Dégager des moyens

Sept lits, c’est la mise en concurrence entre malades, entre familles. Qui aura la chance de trouver une place et de la garder ? C’est peut-être cela le plus injuste, le plus éprouvant : première, deuxième, troisième hospitalisation… Nos enfants reprennent du poids, rechutent, reprennent du poids, rechutent encore, jusqu’à la guérison ou, au moins, un « mieux-être ». Si le traitement ne marche pas, car nos ados ont parfois du mal à saisir les outils qui leur sont proposés, il faut laisser la place à ceux qui sont sur liste d’attente et se retrouver au point zéro, dehors.

Cette concurrence pour l’accès aux structures de soins est insupportable, qui nous fait culpabiliser lorsque notre enfant « a une place » à la Maison de Solenn, qu’il y est choyé, entre les mains des meilleurs spécialistes et, à l’inverse, ronger notre frein au-dehors lorsque toutes les places sont prises. Et pourtant, nous, familles, sommes unies. Nous nous parlons, nous refusons de voir l’autre comme une menace. Tous ces ados sont aussi les nôtres, leurs histoires de vie sont nos histoires.

Sept lits à la Maison de Solenn, sans plan B, car les structures identiques sont saturées, ce n’est juste pas acceptable. La santé mentale de la jeunesse française devient à peine un sujet de préoccupation. Le moment est venu d’en faire un diagnostic officiel, et de dégager les moyens de sa prise en charge. Ces troubles du comportement alimentaire sont des maladies potentiellement mortelles mais aussi guérissables. Le nouveau gouvernement se grandirait en prenant la mesure de la situation. Nous faisons confiance au service public. Nous aimons nos enfants, plus que tout. Mais seuls, nous ne tiendrons plus très longtemps.

Premiers signataires, Chrystèle et Frédéric Favre, Elsa Jacquemin, Thierry Keller, Anne et Patrick Lord, Lydia Osty, parents d’adolescents suivis à la Maison de Solenn, maison des adolescents de l’hôpital Cochin, à Paris.


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