par Marlène Thomas publié le 15 mars 2022
Au premier coup d’œil, on pourrait croire à un cours classique : neuf jeunes de 15 à 18 ans assis autour d’une table, le vidéoprojecteur braqué sur un tableau blanc, des dessins accrochés aux murs. Mais dans la classe projets du lycée Chateaubriand de Rennes, pas de prise de notes, pas d’enseignante mais une intervenante, pas de travail à la maison mais du tutorat, pas de contrôle ni de programme. Le vocabulaire scolaire est gommé, les obstacles abattus. Intégrée au sein de l’annexe pédagogique soins-études rattachée à la clinique Fondation santé des étudiants de France (FSEF) Rennes-Beaulieu, cette classe accueille chaque après-midi, pendant quatorze semaines, des jeunes déscolarisés et souffrant de phobie scolaire. Le matin est dédié au suivi psychologique : une obligation. Loin d’un simple stress, «la phobie scolaire est l’expression symptomatique d’une souffrance morale aux origines diverses», rappelle Vivien Morlec, psychiatre à la clinique.
Ce mardi-là, la première intervention invite à un «voyage social» le long du RER B. «Sur le premier post-it, vous notez quels groupes sociaux existent selon vous. Il n’y a pas de réponse fausse. Et sur le second, dans quels lieux ils se rencontrent», lance Ghislaine Penaud, professeure de sciences économiques et sociales (SES). Les bouts de papier affichés au mur égrènent «les riches, les pauvres», «les prolétaires, vieux, jeunes». Retraçant les disparités économiques, l’intervenante projette ensuite la bande-annonce du documentaire Nous d’Alice Diop. Les yeux surlignés de noir, Sam réagit : «On remarque un contraste. On voit des personnes en milieu rural, ensuite des classes sociales plus élevées à la messe.» L’ambiance est studieuse. «Ils arrivent à revenir, car c’est différent des cours. L’idée est de les faire réfléchir, leur redonner envie d’apprendre», glisse Ghislaine Penaud. La veille, le groupe était en visite dans une galerie d’art.
Dispositif «pionnier»
Ce dispositif permet à ces jeunes de remettre un pied dans la scolarité, de retrouver confiance. Une forme de sas. Si d’autres dispositifs d’accompagnement existent, Véronique Pares, coordinatrice de la classe projets et enseignante de français, assure que celui-ci a été «pionnier» en 2006 et reste aujourd’hui «unique». Ajustée à plusieurs reprises, la classe accueille désormais des élèves venant de l’extérieur de la clinique, sur recommandation médicale. Des entretiens permettent ensuite à l’équipe, exclusivement éducative, de «s’assurer que le jeune est suffisamment stabilisé»,explique Pierrette Mercier, directrice des études et proviseure-adjointe. Elle insiste : «ils arrivent souvent là après un long parcours du combattant», d’où l’importance d’un encadrement resserré de chaque élève par un professeur référent.
Si l’accent est mis sur le retour en cours, Pierrette Mercier appuie : «Les victoires sont aussi sociales.» Yeux rieurs sous ses longs cheveux bruns, Anna confie : «Avant de venir ici, j’ai fait une crise d’angoisse, mais c’est la meilleure chose qui me soit arrivée dans la vie pour reprendre une vie sociale. On est super soudés.» Cette jeune fille de 17 ans souffre de phobie scolaire depuis deux ans et demi. Dépressive, elle se souvient : «Je vivais la nuit, dormais la journée, je me levais que pour aller aux toilettes.» Elle trouve dans cette classe «une motivation pour se lever le matin. C’est inconcevable de venir dans un endroit pour apprendre et avoir du plaisir. Pour moi, ça a toujours rimé avec l’enfer».
Pratique de l’oral
Le suivi se découpe en deux phases. Une première de six semaines articulée autour de la pratique de l’oral et une seconde d’exploration et de méthodologie s’appuyant davantage sur l’écrit «permettant de travailler des prérequis et une réflexion sur leur orientation», précise Véronique Pares. En fin de cursus, le groupe participe aussi à un séjour à l’étranger dans un lieu connu le jour du départ. Une perspective encore lointaine pour ce groupe, qui n’entame que sa troisième semaine.
Après une courte pause, les élèves reprennent place pour la deuxième session du jour. «J’ai choisi de vous faire intervenir sur un sujet un peu bizarre : “Où suis-je ? Là”», introduit Sophie Lam, habituellement enseignante de philosophie. Les mines sont interrogatives. «Vous notez tout ce que ça vous évoque. Il n’y a pas de consignes, seulement faire des associations d’idées.» Pull blanc sur le dos, Titouan, 18 ans, tente : «Est-ce que je suis là si on ne me voit pas ?» Griffonnant au tableau, Sophie Lam rebondit : «On pourrait être là sans y être.» Les idées fusent. «Qu’est-ce qui nous empêche d’être là ?» relance l’intervenante. Anna souffle : «Quand je fais mes malaises d’angoisse.» Eliott évoque lui «le somnambulisme».
«Ça ne fait pas du tout école»
Ce jeune homme de 16 ans n’a «jamais aimé aller à l’école», où on l’a«toujours jugé». «Cette classe m’aide, car ça ne fait pas du tout école, les profs sont plus naturels», lâche Eliott, déscolarisé depuis un an. Tout l’enjeu est là pour les intervenants : apprivoiser une nouvelle pédagogie, se mettre à la hauteur de l’élève. «On leur montre comment on fonctionne pour trouver des thèmes de recherche»,illustre Ghislaine Penard. Sophie Lam concède, elle, «une transition un peu brutale quand on doit modifier la façon dont on fait classe, tout en apprenant sur le tas à faire le lien avec le médical».
L’équipe se doit aussi d’anticiper l’après. L’enjeu ? Au bout des quatorze semaines, les jeunes pourront rejoindre les cours classiques, rythmés par un programme et dispensés dans l’enceinte de la clinique. La majorité de ces jeunes sont hospitalisés au sein même de l’établissement pour diverses pathologies. Pour les élèves souffrant de phobie scolaire, cette scolarisation doit servir de tremplin afin qu’ils finissent par rejoindre leur lycée d’origine. Pour l’heure, entre ces après-midi plus individualisés et le retour en cours, «il y a un trop grand gap», reconnaît la coordinatrice. Pour faciliter cette transition, des créneaux en classe sont notamment proposés aux élèves suivis. «Un élève peut participer à un cours de langue vivante où il est à l’aise», cite en exemple la directrice. Les résultats restent probants. De 2014 à 2021, 45 % des jeunes ont obtenu leur bac dans les trois ans et 35 % ont poursuivi leur scolarité dans l’annexe. Titouan envisage, lui, de sauter cette étape. «La phobie scolaire a commencé d’un coup, en première. Avant, j’adorais l’école. Je voulais performer voire surperformer, j’ai explosé», retrace-t-il. Submergé par l’angoisse, il est déscolarisé depuis novembre. S’il ne se sentait plus à sa place dans son lycée, ces dernières semaines lui ont fait prendre conscience qu’il «pouvait avoir une scolarité normale et retrouver cette confiance perdue».
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