par Marion Durand et photos Camille McOuat publié le 15 mars 2022
«Alexandre aimait l’aïoli», «Marianne vivait dans une tente et avait un chat», «Jean-Pierre était sculpteur sur bois» : sur des pancartes, les prénoms de quelques-unes des 623 personnes sans domicile fixe mortes dans la rue en France en 2021. Ce mardi, environ 200 personnes participent à une marche silencieuse à Paris, organisée par le collectif les Morts de la rue, qui réalise chaque année un recensement de ces décès. Un décompte «loin d’être exhaustif»,selon Bérangère Grisoni, présidente du collectif, selon qui plus de trois quarts des décès échappent aux calculs. «Il est temps de s’inquiéter de cette hécatombe silencieuse qui se passe dans nos rues», alerte-t-elle lors de la marche, qui allait de la place Stalingrad jusqu’aux Buttes-Chaumont, en présence de quelques élus dont le maire du XIXe arrondissement.
Parmi les participants, Francis est venu rendre hommage aux 561 hommes et 62 femmes qui ont trouvé la mort l’année passée. Sa moustache blanche jaunie par le tabac, le sexagénaire ne retient pas un long soupir. «J’ai des copains qui sont sur la liste. Les gens qui meurent dans la rue, c’est une abjection, lâche-t-il. Et tous les gens qui sont à la rue ont vu des personnes mourir.» Comme une grande majorité des personnes présentes pour la marche, Francis est engagé dans le monde associatif. Avec des meilleurs soins et un meilleur accompagnement, il en est sûr, «ces morts auraient pu être évitées». «Moi aussi, j’ai vécu des moments difficiles», dit-il à demi-mot. A la rue ? «Oui, à la marge», répond-il avant de s’éloigner.
Alors que la marche débute, Michel, cigarillo au bec et manteau vert kaki déchiré sur le dos, plie les genoux pour attraper deux gros sacs de courses remplis de vieux papiers. «Je suis venu par respect envers les morts», précise l’homme aux cheveux grisonnants, visiblement âgé d’une soixantaine d’années. Il ne veut pas dire où il habite, «ça fait des problèmes», dit-il. Avec sa petite retraite d’ancien travailleur dans le bâtiment, il n’a en tout cas pas de quoi payer un loyer : «Un appartement ? Je voudrais, bien ! On a le droit de rêver !» Pour se loger, Michel fait avec les moyens du bord, «Je me démerde. Parfois, il y a des endroits où je reste un mois ou deux, explique le retraité. Et puis après ils te mettent dehors.» Pour lui, si autant de gens meurent dans la rue, «c’est le stress, le désespoir et la solitude. C’est parfois des gens très sales, c’est la maladie. La rue, c’est comme ça.»
Arrivé aux Buttes-Chaumont, le cortège s’éparpille sur le trottoir qui longe le parc. Sur les grilles qui entourent le jardin, les manifestants accrochent des roses autour des affiches qui recensent les noms des 623 personnes décédées. Ervé, 49 ans, le regard bleu et deux boucles aux oreilles, est membre honoraire du conseil d’administration du collectif. Il est aussi lui-même sans domicile fixe, «depuis 26 ans dont 22 ans sur Paris», précise-t-il en faisant glisser sa barbe entre ses doigts. Vingt-deux, c’est aussi le nombre de ses amis qui sont morts dans la rue. «Dormir dans la rue et y mourir, ce n’est pas normal. Je pourrais faire partie de ces gens» ajoute-t-il, appelant à la mise en place d’une «vraie politique de lutte contre le sans-abrisme, surtout pour les femmes». En ce moment Ervé habite dans un endroit prêté par un ami, à la Défense. En juin prochain, il fêtera ses 50 ans. «Je déjoue les statistiques» dit-il, avec un mince sourire. En 2021, selon le collectif, l’âge moyen des personnes mortes dans la rue était de 48,5 ans.
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