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lundi 14 mars 2022

8 mars Face à la charge mentale et aux tâches domestiques, le «cri primal» des mères américaines

par Maïté Darnault  publié le 8 mars 2022 

Aux Etats-Unis, des femmes se sont réunies afin de crier leur colère, leur épuisement et leur frustration, et de rendre visible «une souffrance intériorisée» après deux ans de pandémie.

Charge mentale épuisante, inégalités dans la répartition des tâches domestiques et parentales : le 8 mars, journée internation des droits des femmes, est aussi l’occasion de rappeler que dans les foyers, les mères restent majoritairement les premières de corvée. Le reflux de l’épidémie de Covid succède à un début d’année particulièrement sportif pour les parents d’enfants scolarisés, compte tenu de la versatilité des protocoles d’accueil et de ce fantasme encore vivace sur la possibilité de télétravailler dans le même espace que ses chérubins désœuvrés. De quoi donner envie de hurler ? Aux Etats-Unis, des mères ont trouvé un moyen de faire retentir leur «colère», leur «fatigue», leur «frustration», explique à Libération Sarah Harmon, mère de deux filles et psychothérapeute. Elle a lancé un phénomène qui se propage par le bouche à oreille dans le monde anglo-saxon : les séances de primal scream («cri primal»).

Habitante de Boston (Massachusetts), Sarah Harmon a réuni au soir du 24 janvier une vingtaine de femmes après le coucher de leurs petits. Dans le froid glacial, sur un terrain de sport désert, elles se sont placées en cercle, bien emmitouflées et espacées de 2 mètres. Après une grande inspiration, au signal donné par la psychothérapeute (avec deux bâtons surmontés de licornes clignotantes – autant que ce soit fun), elles ont poussé à l’unisson un premier cri, suivi d’une dizaine d’autres. Puis le silence, et des rires. «D’abord, on a crié car on était tellement à bout et ensuite, on a pu en rigoler, comme si la colère devenait acceptable. Et c’est cette joie à la fin qui est sans doute le plus appréciable dans ces sessions», explique Sarah Harmon, pour qui ce défoulement collectif a permis de rendre «audible et visible une souffrance intériorisée», pendant «non pas des jours mais des semaines entières».

«Le phénomène #MeToo a ouvert une brèche»

Cette séance du 24 janvier, largement médiatisée aux Etats-Unis, est la deuxième du genre. La première, organisée en mars 2021, était passée inaperçue. «Les femmes et les mères crient en quelque sorte depuis longtemps. On dit qu’avant elles le faisaient derrière leur porte, dans leur placard, c’est significatif qu’elles le fassent aujourd’hui ensemble, dans l’espace public, pour créer des liens et échanger sur ce qu’elles ont vécu», se félicite Sarah Harmon. Pour la sociologue Emmanuelle Santelli, qui mène depuis le début de la pandémie de Covid-19 des travaux sur les couples et le confinement, ce mouvement est «révélateur d’un triple phénomène». «L’épuisement auquel les femmes sont parvenues après des décennies durant lesquelles elles ont tenté de tout concilier (vie professionnelle, familiale, personnelle) : les mères continuent d’être beaucoup plus investies dans l’ensemble des charges domestiques et parentales, sans compter le temps et l’énergie qu’implique également la charge mentale», note la directrice de recherche au CNRS rattachée au centre Max-Weber à Lyon.

Elle ajoute que «le phénomène #MeToo a ouvert une brèche, en révélant à l’ensemble des femmes que le moment était venu de dénoncer et de remettre en cause l’inégalité des rapports sociaux de sexe». Emmanuelle Santelli estime enfin que la crise sanitaire et les confinements «ont mécaniquement donné une plus grande place au quotidien domestique, qui d’habitude n’occupe qu’une part congrue, en particulier dans les milieux plus privilégiés». Et cette «pression domestique» a pu, selon elle, «provoquer une blessure, des frustrations, de la déception face au constat qu’elles ne pouvaient plus travailler, c’est une part de leur identité qui s’est trouvée amputée».

Nouvelle conversation autour de la colère

Le 27 janvier, une nouvelle session de cris maternels a eu lieu à Boston avec Sarah Harmon, et des regroupements similaires égrènent dans tout le pays, en Louisiane, en Alaska, en Virginie, dans le New Jersey, le Wisconsin… Mais aussi en Ecosse et en Australie, à en croire les messages et les photos qu’a reçus Sarah Harmon via les réseaux sociaux, accompagnés des hashtags #MomScream ou #MomPrimalScream. La psychothérapeute réfléchit à l’organisation d’un cri collectif de plus grande ampleur, afin de poursuivre«cette nouvelle conversation autour de la colère» et «susciter un changement, une avancée». L’initiative atteindra-t-elle alors la France, où le ras-le-bol maternel est aussi vif que chez les Américaines ? En tout cas, Sarah Harmon a créé un guide à l’usage des femmes qui souhaitent organiser une séance près de chez elles.

Aux Etats-Unis, une prochaine séance de primal scream aura lieu dimanche à 9h30 à Verona, dans le New Jersey, à l’initiative de Jessica Kline, mère de trois enfants qui tient un blog sur la parentalité. C’est le deuxième «cri» qu’elle organise en quelques semaines, pour que les participantes puissent aussi «partager, s’étreindre, pleurer, se sentir connectées». Et de préciser sur son compte Instagram : «Dimanche, ce sera aussi le changement d’heure d’été, vos enfants vont vous réveiller une heure plus tôt», ce qui «donne naturellement envie de hurler.»


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