par Katia Dansoko Touré publié le 16 mars 2022
«Une véritable mine d’informations concrètes et rassurantes pour vivre pleinement la fabuleuse aventure de votre grossesse.» C’est en ces termes pleins d’autosatisfaction que le Collège national des gynécologues et obstétriciens français vante son propre ouvrage, paru en 2003 et devenu un classique : le Grand Livre de ma grossesseen est aujourd’hui à sa neuvième réédition. La littérature autour de la procréation et de la parentalité abonde depuis des décennies. Mais on assiste aussi à l’arrivée de plus en plus massive, en librairies, de parutions qui vont à contre-courant du discours selon lequel la maternité ne serait que bénédiction.
Des journalistes, parmi lesquelles Renée Greusard ou Stéphanie Thomas, des militantes féministes, comme Judith Aquien, ou encore des universitaires, comme la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, interrogent les multiples injonctions liées à la grossesse et à la maternité – ne pas trop en dire, souffrir en silence ou encore ne pas se plaindre parce qu’on a fait le choix d’être mère. Directrice éditoriale du secteur santé et bien-être aux éditions Solar, Marion Guillemet confirme que les maisons d’édition sont de plus en plus friandes de ces nouveaux discours. «Le travail de l’éditeur consiste à relayer ce qu’il se passe dans la société, analyse-t-elle. Ces livres répondent à une demande et à un besoin du public, suite à la libération de la parole amorcée par MeToo, d’où leur succès en librairie.» Marie-Anne Jost, directrice éditoriale des éditions First, abonde : «Les éditeurs écoutent les podcasts, voient ce qui se passe sur les réseaux sociaux et ont à cœur de participer à la libération de la parole qui s’opère sur ces thèmes.»
«Ne pas être complètement naïve»
Pour se préparer, Noémie, 34 ans, enceinte de six mois, a ainsi fait l’impasse sur les livres dits «incontournables» sur la grossesse et a préféré des ouvrages comme celui de Renée Greusard, Choisir d’être mère (JC Lattès). «J’avais envie de récits écrits par des femmes qui me ressemblent, qui osent le franc-parler et font l’impasse sur les poncifs ou clichés selon lesquels la grossesse est une période formidable. Partager ses déboires est une démarche assez saine et cette parole permet de ne pas être complètement naïve. Cela dit, je n’ai pas le sentiment de ne pas avoir été préparée, car j’ai beaucoup d’amis qui ont des enfants», raconte cette documentariste parisienne.
Dans son livre paru en février, Renée Greusard raconte son quotidien de mère et interroge des spécialistes de la petite enfance afin de mettre en lumière le manque d’informations auquel elle dit avoir été confrontée. Elle évoque notamment sa méconnaissance de la «nuit de java», cette deuxième nuit où «le petit bébé mignon se transforme en monstre hurlant». Elle met aussi l’accent sur «les phobies d’impulsion», ces pensées fugaces où la mère, à bout, se voit poignarder son enfant. Sur un ton plus léger, la journaliste se penche aussi sur l’impossibilité de prendre son temps aux toilettes ou sur l’ennui des visites au parc pour enfants. «J’ai choisi d’être mère, mais je n’ai pas tellement consenti à l’être dans le sens où ce choix n’était pas éclairé. Je n’avais aucun moyen de savoir ce qui m’attendait réellement», explique-t-elle à Libération.
Des programmes audiovisuels – du podcast à l’émission télé en passant par la radio – remettent aussi en cause les discours normatifs sur la maternité. La productrice et journaliste Stéphanie Thomas avait donné la parole à des femmes qui regrettaient d’être mères dans l’émission les Pieds sur Terre, sur France Culture, et compilés ces témoignages dans le livre Mal de mères (JC Lattès, 2021). Sur les réseaux sociaux, des influenceuses ou célébrités témoignent de leur fausse couche ou de leur infertilité. En octobre 2020, la mannequin américaine Chrissy Teigen avait partagé des photos d’elle sur un lit d’hôpital, encore sous le choc de la mort de son bébé le jour même de sa venue au monde. Daniela Martins, ancienne candidate de Secret Story suivie par plus de 300 000 personnes sur Instagram, raconte pour sa part dans Etre mère, c’est que du bonheur… ou pas, publié aux éditions Solar en février, comment elle a composé avec son corps de femme enceinte ou avec le fait qu’on lui touche le ventre sans son consentement.
Premiers mois sous silence
A la faveur du mouvement #MonPostPartum lancé sur les réseaux sociaux début 2021, la sociologue Illana Weizman faisait sauter le couvercle vissé sur le tabou de cette période allant de la fin de grossesse à l’arrivée des premières règles post-accouchement, avec Ceci est notre post-partum (Marabout, 2021). Peu après, l’autrice féministe Judith Aquien se saisissait, dans Trois mois sous silence : le tabou de la condition des femmes en début de grossesse (Payot), des semaines au cours desquelles les médecins recommandent de ne pas annoncer sa grossesse à cause des risques de fausse couche. Judith Aquien dénonce ce qu’elle nomme «le miracle et l’enfer». Elle questionne : «Dans quelle société correctement pensée laisse-t-on, sans le moindre dispositif, notamment au travail, 50% de sa population vomir trois à quatre mois d’affilée sans main tendue ?» Pour 85% des femmes, les trois premiers mois de grossesse sont difficiles à supporter, pointe encore Judith Aquien dans son livre. «Pendant cette période, il y a une absence totale de prise en compte, par la société ou les médecins, des symptômes vécus. C’est que le ventre n’est pas rond. On n’incarne pas la femme enceinte pleine de félicité. Alors on se cache et on fait profil bas», complète-t-elle auprès de Libération.
Claire (1), 33 ans, peut en témoigner. Professeure d’histoire-géographie dans le secondaire, elle vit en couple à La Courneuve (Seine-Saint-Denis). En novembre, elle a accouché d’un petit garçon. «Ces trois premiers mois ont été la période la plus difficile de ma grossesse mais je ne pouvais pas en parler. J’étais très diminuée physiquement. Je me sentais seule vis-à-vis de ce changement à venir. C’était bouleversant à tous les niveaux, raconte-t-elle. J’étais essoufflée, j’avais du mal à me déplacer, des douleurs… J’avais l’impression de vivre une dégénérescence physique accélérée. Au bout d’un moment, je me suis résignée.»
Nombreuses sont celles aussi qui se referment face au manque d’écoute du corps médical. Judith Aquien démontre d’ailleurs, études à l’appui, qu’en règle générale, les médecins prennent moins en considération la douleur des femmes que celle des hommes. «Quand, au début de ma grossesse, je faisais part de mes douleurs au dos, on me répondait que c’était normal et que ça allait passer. En attendant, j’accouche dans deux mois, et j’ai toujours horriblement mal», confirme Nancy (1), 22 ans. Employée commerciale et enceinte de sept mois, elle dit se sentir parfois délaissée par le corps médical. «C’est comme si on nous lançait que ce n’est pas la peine de dire ce que l’on ressent parce que, dans tous les cas, ça passera quand ça passera», se désole la jeune Parisienne.
«Aujourd’hui, il y a bien une levée du silence et de la pudeur autour de la grossesse», analyse Amélie Patrux, 37 ans, doula depuis cinq ans – une profession qui consiste à accompagner la future mère pendant sa grossesse et son accouchement, notamment sur le plan émotionnel. «Sur les réseaux sociaux, on trouve des publications sur la périnatalité où l’on alterne entre les mères parfaites et celles qui partagent les difficultés de leur quotidien. Les femmes sont perdues entre ces deux extrêmes», estime cette membre de l’Association des doulas de France.
«Le confort du corps médical passe avant celui de la future mère»
Pour autant, Renée Greusard, confrontée à la critique selon laquelle son livre chercherait à dégoûter ou effrayer, rappelle qu’on ne peut standardiser des vécus individuels. «J’ai bien conscience, comme je l’écris dans le livre, que les expériences de la maternité et de la parentalité sont inédites et différentes pour chacun d’entre nous», insiste-t-elle auprès de Libération. Ambre, musicienne francilienne de 32 ans et enceinte de cinq mois, dit ne pas faire partie des femmes qui, en permanence, sont prises de nausées. «J’ai peut-être de la chance… Après, je ne pense pas que constipation, fatigue ou sauts d’humeur soient des sujets si tabous que ça. Si on n’en parle pas, peut-être est-ce parce que c’est de l’ordre de l’intime», propose la future mère.
Pour elle, vouloir tout dire sur la grossesse attesterait de l’individualisme de notre société. «Quand on est constamment centré sur soi-même, comment faire de la place à celui qui s’installe dans notre corps ? Je suis contre le fait de placer la femme enceinte ou la mère dans une position victimaire. Alors, tous ces livres, je me demande sincèrement s’ils sont utiles.» Un avis que partage Anna (1), chercheuse en sciences humaines de 39 ans et mère de deux enfants de 9 et 11 ans : «Ces lectures dénonciatrices de choses naturelles ne peuvent que prêter à confusion ou angoisser les futures mères.»
Céline (1), journaliste de 36 ans, mère de deux enfants de 3 ans et 4 mois, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), estime au contraire que ces ouvrages sont plus que bienvenus. La jeune femme ajoute aux thèmes qu’ils abordent la surmédicalisation de la grossesse. «A quelques exceptions près, le confort du corps médical passe avant celui de la future mère, dit-elle. J’ai beaucoup lu sur l’accouchement naturel. Sans cela, on m’aurait imposé une césarienne. Cela revient à te voler ton accouchement !»
Selon l’ancien généraliste et écrivain Martin Winckler, ce phénomène s’est accentué pour le bien du fœtus mais au détriment de la mère : «Les professionnels de santé sont formés dans la peur et font passer leurs angoisses avant les choix de la future mère. D’où le nombre incalculable de gestes médicaux qui leur sont imposés au cours de l’accouchement.» Pour Amélie Patrux, «on pense aussi que les femmes ne peuvent pas gérer la douleur de l’accouchement donc on multiplie les interventions médicales – de la péridurale à l’usage d’instruments d’extraction en passant par le déclenchement – même quand il y a peu de risques».
Dans son livre, Renée Greusard évoque aussi l’explosion de son couple après l’arrivée du bébé. Selon Ambre, «on ne parle pas assez du choc que peut-être l’arrivée d’un enfant pour les hommes. Cela les bouleverse aussi». «L’injonction à être un parent parfait représente une charge et une responsabilité présentes chez beaucoup de papas», abonde Anna. Dans la préface du livre de Judith Aquien, Trois mois sous silence, Camille Froidevaux-Metterie écrit d’ailleurs qu’en cas de fausse couche, «le futur père est totalement oublié». Au tour des hommes de prendre la plume ?
(1) Les prénoms ont été changés.
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