par ZEP Zone d'expression prioritaire publié le décembre 2021
En publiant ces témoignages, Libération poursuit son aventure éditoriale avec la Zone d’expression prioritaire, média participatif qui donne à entendre la parole des jeunes dans toute leur diversité et sur tous les sujets qui les concernent. Ces récits, à découvrir aussi sur La-zep.fr, dressent un panorama inédit et bien vivant des jeunesses de France.
«On vous recontactera…»
Louis, 28 ans, en recherche d’emploi, Paris
«J’ai 28 ans, je vis à Paris depuis quelques années et je recherche un emploi. Je suis atteint d’un trouble de l’attention avec hyperactivité (TDAH), ce qui me ralentit sérieusement dans ma vie professionnelle. Ce trouble neurologique, qui se manifeste chez les enfants, persiste à l’âge adulte et se traduit par des problèmes d’attention, d’hyperactivité et d’impulsivité. Dans mon cas, j’ai toujours eu du mal à porter une attention soutenue à quelque chose. Sauf quand elle me passionne.
«Cela donne l’impression aux non-avertis que je n’en fais qu’à ma tête. J’ai appris plus tard que cela s’appelait l’hyperfocus. L’information n’est pas traitée de la même manière par le cerveau d’une personne TDAH que par celui des autres. A l’école, je rêvais souvent et je me perdais dans mes pensées. Je suis toujours en mouvement : je peux être assis sur une chaise, calmement, et remuer les jambes. Je possède aussi toute une collection de tics nerveux : me tordre les doigts ou me toucher les sourcils souvent. Peu de gens sont formés à diagnostiquer et gérer le TDAH. Moi, par exemple, j’ai été diagnostiqué à 24 ans, à l’université. Si on avait découvert mon trouble quand j’étais enfant, j’aurais pu avoir une scolarité adaptée et mieux gérer mon trouble au quotidien. Depuis que le diagnostic est tombé, j’ai l’impression de voir le bout du tunnel.
«J’ai été suivi par plusieurs structures d’accompagnement à l’embauche : une mission locale, Pôle Emploi, Cap Emploi, la Maison départementale des personnes handicapées. Se retrouver là, c’est comme être coincé en mer au milieu d’une tempête. Une chance pour moi : j’ai réussi à trouver mon cap. Après un bilan de compétences, certaines pistes ont émergé et on m’a proposé de postuler dans des bibliothèques. Là, je me suis heurté à la méconnaissance des employeurs. La première fois, l’entretien était très court : deux minutes. Quand j’ai parlé de mon trouble, j’ai senti que j’avais jeté un froid. Ils m’ont dit : “On vous recontactera.” Et ne l’ont jamais fait.
«La deuxième fois, ça semblait mieux parti… Ils ont finalement préféré quelqu’un d’autre, je n’ai jamais su pourquoi. Cette situation s’est répétée plusieurs fois par la suite. Je ne sais toujours pas s’il faut que je parle de mon handicap à la signature du contrat ou d’emblée pendant l’entretien d’embauche. Mais je reste déterminé à travailler. J’ai conscience de ma différence, sans perdre espoir qu’un jour un employeur me donnera ma chance.»
«T’es épileptique, on n’accepte pas les personnes malades»
Lilia, 25 ans, en recherche d’emploi, Paris
«Je voudrais changer ma vie car je ne fais rien en ce moment. Mes trois ans de chômage ont été difficiles. Je voudrais savoir ce que deviendrait ma vie si je trouvais un travail mais rien n’y fait. Une fois, je suis entrée dans une entreprise pour savoir s’ils embauchaient. J’ai attendu longtemps à l’accueil pour obtenir une réponse. Le patron m’a accueillie dans son bureau et m’a proposé de m’asseoir. Il avait un comportement assez froid. J’ai parlé avec lui pendant dix minutes puis il m’a fait sortir de son bureau, sans gêne. Même pas de “au revoir”.
«J’étais assez mal dans ma tête. J’ai préféré ne pas trop monter sur mes grands chevaux, alors j’ai attendu la réponse. Il m’a proposé de revenir. Là, il m’a dit franc-jeu ce que je ne voulais pas entendre : “T’es épileptique, on n’accepte pas les personnes malades.” Alors que mon handicap est plutôt discret en ce moment ! Trois mois sans crises. L’épilepsie est une maladie fréquente, avec plusieurs catégories. Moi, c’est les convulsions, mais ce n’est pas souvent. Quand je suis sortie, j’ai éclaté en sanglots : il avait l’air du Président, à me regarder de haut en bas comme si j’étais un insecte.
«Ce n’était pas la première fois. J’ai aussi postulé dans une animalerie. Le patron m’a conseillé de ne pas travailler dans ce genre de métier. Mais il m’a encouragée, il m’a vraiment soulagée par ses propos. Alors, dans mon cœur, je ne me suis pas découragée. Je voudrais découvrir ma vie dans le travail. Si possible dans ce que je veux faire : travailler avec les animaux ! N’importe quel boulot tant que c’est avec eux.»
«Dyslexique, je me demande si je dois en parler»
Fatma, 24 ans, volontaire en service civique (ex-salariée), Plessis-Robinson
«Après m’être battue contre ma dyslexie jusqu’à décrocher mon master, je me demande aujourd’hui si je dois parler de mon trouble à mon employeur. J’ai une importante dyslexie-dysorthographie, un trouble de l’apprentissage de la lecture et de l’orthographe. Durant ma scolarité, j’ai pu compter sur le soutien des équipes pédagogiques et de mes proches. Mes professeurs avaient l’interdiction de me pénaliser, connaissant mes troubles. J’avais un tiers-temps qui me permettait de mettre en pratique les techniques travaillées avec mon orthophoniste et de me concentrer sur le fond. L’école était un endroit où je me sentais en confiance.
«J’ai décidé très tôt que je voulais faire de longues études. Je savais que je devais travailler plus que les autres pour y arriver. Je travaillais très tard et me levais à 6 heures du matin au moins trois fois par semaine pour continuer à réviser avant les cours. J’ai beaucoup progressé et réussi à entrer à l’université. Pour autant, être dyslexique m’oblige à avoir une grande rigueur. Chaque jour, je dois travailler ma lecture au risque que mes difficultés s’aggravent au bout d’une semaine. Et je m’interdis de me coucher tard, sinon j’oublie l’orthographe de certains mots.
«Aujourd’hui, je suis diplômée d’un master 2 en économie de l’environnement, mais je me retrouve face à une nouvelle question : dois-je parler de mes difficultés à un employeur ? Ecrire un mail avec des fautes peut être un motif de non-embauche. A chaque fois que je le fais, j’ai peur à l’idée qu’on puisse émettre un jugement sur des fautes qui m’ont échappé après ma dixième relecture. Avant de candidater à mon premier poste, comme à chaque fois, j’ai demandé à mes proches de vérifier si le mail, mon CV et ma lettre de motivation ne comportaient pas de fautes. L’entretien d’embauche s’est ensuite très bien passé. J’ai répondu sans difficulté aux exigences du poste. Mais, pour mettre toutes les chances de mon côté, j’ai choisi de ne pas dire que j’étais dyslexique.
«J’ai eu la bonne surprise d’être embauchée, mais cela a vite laissé place au stress de cacher ma dyslexie. Le temps aménagé et l’accompagnement dont je bénéficiais pendant mes études ont disparu une fois que je suis arrivée dans le monde professionnel. Et je me sens seule.
«Je travaille au service responsabilité sociétale des entreprises (RSE) d’une grande boîte et ça me plaît. L‘écriture n’est pas une partie importante de mon travail, mais elle peut quand même l’affecter. Je suis notamment en contact avec beaucoup de responsables de différents services de l’entreprise, le plus souvent par mail. Lors des réunions, j’ai pris l’habitude d’écrire sur un carnet pour pouvoir cacher ce que j’écris avec ma main. Je ne peux pas le faire avec un ordinateur, alors que la prise de notes serait plus efficace. Ma plus grande peur : qu’on me demande de lire à voix haute lors d’une réunion. Et de me retrouver dans la même situation de stress qu’à l’école quand mes professeurs pouvaient me dire : “Ça ne va pas du tout, arrête !”
«Cette situation est pesante au quotidien. Elle me donne le sentiment que, malgré mes progrès et mes réussites scolaires, je dois encore et toujours me battre. Je dirais même que la situation est encore plus difficile que lors de mes études car rien n’est mis en place pour m’aider dans l’entreprise. Je voudrais pouvoir écrire dans ma signature de mail “il est possible qu’il reste des fautes dues à ma dyslexie et je m’en excuse”, et faire appel à la bienveillance de mes interlocuteurs.»
«Comme beaucoup, je me suis retrouvée coincée»
Kelig, 23 ans, en recherche d’emploi, Rennes
«A la fin de ma troisième année de licence, j’ai dû me réorienter. Quitter la psycho pour tenter ma chance dans une licence professionnelle spécialisée dans l’accompagnement des personnes autistes. Bingo : profs compréhensifs, contenu des cours que je connaissais déjà sur le bout des doigts et un stage très intéressant. A la fin de cette année, j’ai décroché mon diplôme et un CDD d’un an.
«Je faisais officiellement partie de l’équipe des “bons handicapés”, qui bossent, sont utiles à la société. Mieux même, qui ont réussi à faire de leur handicap une force. Le tableau tout rose s’est petit à petit dégradé : épuisement dû à mon temps de transport, soucis avec des collègues validistes, début d’endométriose causant des douleurs énormes, changement de direction à deux reprises ! Tout ça a déclenché des crises, des replis sur moi-même où j’étais incapable de parler et de comprendre ce qu’on me disait ou encore des moments d’explosion avec beaucoup de cris.
«Et qui dit crise dit médecine du travail qui a posé son verdict : “Incapacité temporaire tant que l’autisme n’est pas soigné.” Souci : l’autisme ne se soigne pas. Si je devais attendre qu’il disparaisse pour reprendre mon poste, j’attendrais encore à ma mort. Mais le Covid a pris le relais, j’ai été confinée, puis en télétravail, et mon contrat s’est terminé.
«J’étais alors convaincue que ce n’était qu’une petite erreur, que j’étais tombée dans une mauvaise structure, et je me suis donc attelée joyeusement à ma recherche d’emploi. Mais je me suis retrouvée en décembre 2020 dans une drôle de panade : aucun retour des employeurs et un diagnostic de spondylarthrite ankylosante qui, à terme, m’empêchera de travailler dans un domaine demandant de rester beaucoup debout. Or, dans le métier d’éducateur spécialisé, on est souvent debout. Sans compter lorsqu’on doit se pencher, porter les enfants, parfois même faire du sport.
«J’étais donc dans une impasse. Si je demandais l’allocation aux adultes handicapés, je devrais vivre avec 900 euros par mois… Mais uniquement jusqu’à ce que mon compagnon trouve un emploi, car une fois cela fait on me l’aurait supprimée. Je pouvais également poursuivre ma recherche d’emploi, ce que je fais toujours ! Tout en sachant que ça ne déboucherait pas sur un emploi accessible pour mes handicaps.
«Comme beaucoup de personnes handis, je me suis retrouvée coincée, et je le reste ! Entre une aide très basse, et dépendante des revenus de mon conjoint ou des métiers pour lesquels je suis qualifiée mais qui ne me sont pas accessibles. En gros : la peste ou le choléra.
«J’envisage donc à nouveau une réorientation. Devant cette roulette russe, les personnes handicapées doivent trouver des solutions. Pour meubler ma recherche d’emploi, j’ai recommencé à lire et à écrire, à suivre sur les réseaux des gens qui lisent, écrivent et même parfois bossent dans le milieu du livre. Tout ça m’a rappelé à quel point j’aimais ce milieu et à quel point ça serait chouette d’y travailler. Mais bon, reprendre les études, vraiment ?
«J’ai fait des recherches pour me persuader que c’était un plan foireux et, surprise ! Une licence pro d’un an, ouverte pour les gens en réorientation pro et dans ma ville ! Miracle aussi, les concours pour bosser en bibliothèque sont adaptés aux gens en situation de handicap !
«Un rêve qui devient réalité et une histoire qui se termine bien ? Pas vraiment. Je n’ai aucune information sur les démarches : que faire, quand, comment ? Pôle Emploi, la fac, même la mission locale, sont aux abonnés absents et je me retrouve à regarder mon petit projet en me disant que bon, quand même, il a de la gueule ce projet. Mais je ne sais pas quoi faire avec.»
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