par Patrick Pessaux, Professeur des Universités, Praticien Hospitalier. Chef de Service de Chirurgie Viscérale et Digestive, Université de Strasbourg, Nouvel Hôpital Civil. Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Président de l’Association Française de Chirurgie. Président du Collectif d’EcoResponsabilité En Santé (CERES)
publié le 30 décembre 2021
Aujourd’hui, la majeure difficulté est celle des ressources humaines. Sous l’effet conjugué de l’efficience financière et de l’absence d’accompagnement des nouvelles directives du temps de travail, il s’est ainsi accumulé une aggravation significative des risques psychosociaux des professionnels de santé et une précarité des situations sociales, révélateurs des limites du mode de pilotage actuel. L’enjeu vital est de stopper la fuite du personnel et de créer un véritable choc d’attractivité. Les contraintes du métier, le manque de reconnaissance et la perte de considération font partie des raisons de cette désaffection. Mais le manque de perspective de carrière y contribue également.
Il est indispensable de construire des parcours professionnels correspondant aux aspirations de chacun notamment en offrant des passerelles ou des apprentissages en alternance permettant de se hisser vers de nouveaux métiers ou de nouvelles compétences avec éventuellement des délégations de tâches. Une politique sociale volontariste, facteur d’attractivité, visant à mettre en œuvre des droits aux professionnels afin de prendre en compte leurs besoins sociaux doit être largement développée : accès aux crèches, aux logements ou encore à la santé. Enfin, il est nécessaire de continuer à faire évoluer les règles et les pratiques, pour défendre l’égalité femme-homme, promouvoir la diversité et être plus inclusif pour ainsi lutter contre les discriminations, sous toutes ses formes.
Plutôt que la concurrence, travaillons en collaboration
Le financement à l’activité, de nature productiviste, peut avoir comme effet pervers la tentation de promouvoir les activités les plus «rentables», et d’en externaliser la majorité des coûts. Or soyons lucides, l’hôpital de par l’ensemble de ses missions ne pourra jamais concurrencer des structures beaucoup plus agiles, fluides et réactives. Arrêtons cette concurrence entre les différents acteurs, et travaillons plutôt à une collaboration et une complémentarité pour une meilleure répartition des activités. La diversité des acteurs doit être une force pour rénover nos organisations, en brisant les cloisonnements trop étanches. L’évaluation des résultats par des indicateurs pertinents, reconnus des professionnels, des patients, des payeurs et des industriels permettra d’assurer l’articulation entre les différents acteurs (ville-hôpital et public-privé). Travaillons sur l’organisation du parcours de soins, leur évaluation, et l’introduction d’une part de financement à la pertinence, pour créer une véritable chaîne de valeur alliant réussite individuelle et collective.
Plutôt que les injonctions contradictoires intenables, redéfinissons nos missions
L’hôpital doit répondre à une activité non programmée, aux besoins d’une population vieillissante avec des polypathologies risquant une perte d’autonomie. Or dans le même temps, des lits sont fermés pour optimiser le modèle économique et inciter au développement d’une activité à courte durée moyenne de séjour voire ambulatoire. Les CHU doivent être des centres d’excellence et de recours, prenant en charge des pathologies et des procédures complexes et, en même temps, faire de plus en plus d’actes. Ils sont censés développer un maillage territorial de l’offre de soins grâce aux groupements hospitaliers de territoires, mais sans y inclure les établissements privés et très peu d’établissements médico-sociaux. Ayons espoir dans les communautés professionnelles territoriales de santé. Défendons la réflexion collective, le travail d’équipe, la transmission des connaissances, le développement de la recherche, l’évaluation des innovations et de nos pratiques, la possibilité d’un égal accès aux soins, tout ce qui fait l’essence de l’hôpital.
Plutôt que le pessimisme, soyons passionnés et inventifs
La période est propice aux innovations organisationnelles et technologiques avec l’émergence des outils digitaux, de la robotique, de l’intelligence artificielle, des biothérapies…. Le potentiel de la France en termes d’innovation dans le secteur de la santé est immense. Soyons imaginatifs et construisons l’hôpital 2.0, écoresponsable aux vues du défi écologique. L’ensemble des équipes sont épuisées, mais gardons la passion pour nos métiers et la spécificité du mode d’exercice qui reste le principal facteur d’épanouissement. Restons des leaders dans nos comportements et attitudes pour donner envie, et entraîner avec nous nos équipes. L’hôpital n’est pas une organisation comme une autre : s’y ajoutent le sens de l’humain, les relations aux malades et aux familles, le rapport à la maladie et à la mort… Donnons du sens à nos pratiques, en plus du «soin», l’attention au «prendre soin». Soyons force de propositions auprès de nos directions et encourageons le changement. C’est de notre responsabilité de créer les conditions pour pouvoir offrir aux plus jeunes des carrières attractives permettant de garder à l’hôpital les meilleurs.
Plutôt que l’hôpital, pensons santé
Maintenir l’excellence de l’hôpital ne tient qu’à sa prise de conscience des enjeux du monde et de l’existence du levier des innovations, à son esprit critique et son imagination pour trouver des solutions, à sa capacité à travailler en intelligence collective dans l’ensemble du système de santé, et que l’on accepte que la santé ne soit pas un marché comme les autres. Répondre à la crise de l’hôpital uniquement par des solutions intrinsèques hospitalières sans considérer et redéfinir en profondeur l’ensemble du système de santé serait une grave erreur qui ne ferait, au mieux, que repousser les échéances. C’est bien là tout le défi du programme du futur président de la République.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire