Par Cécile Ducourtieux Publié le 30 décembre 2021
La jeune femme, sourde de naissance, a remporté « Strictly come dancing », un programme phare de la BBC opposant des couples formés d’un danseur professionnel et d’un amateur. Elle espère que son succès va faire progresser la représentation de la diversité à la télévision.
Rien de tel qu’une belle histoire pour distraire les Britanniques de la vague Omicron. Des millions d’entre eux ont vibré (et probablement un peu pleuré) grâce à la dix-neuvième saison du concours de danse « Strictly Come Dancing » et à son final en apothéose, le 18 décembre, qui a couronné Rose Ayling-Ellis. Cette jeune femme de 27 ans, sourde de naissance, leur a servi une leçon de ténacité et d’espoir. Son succès populaire montre aussi à quel point le handicap est désormais accepté et même valorisé outre-Manche, du moins dans les médias.
« Strictly Come Dancing » est un des programmes phares de la BBC. Diffusé le samedi soir, il oppose des couples formés d’un professionnel et d’un amateur enchaînant tango, cha-cha-cha ou salsa sur une piste de danse étincelante. Stars du petit écran et même politiques se sont affrontés dans ce programme familial pour gagner le trophée – une boule à facettes montée sur pied. Parmi les moments mémorables, le final magnétique de Caroline Flack, la présentatrice de la série de téléréalité « Love Island » en 2014 (elle a tristement mis fin à ses jours en 2020) ou l’interprétation du tube coréen Gangnam Style par l’ex-député travailliste Ed Ball en 2016.
Ed Ball avait une sacrée présence sur le dance floor et il a tenu jusqu’à la dixième semaine de la quatorzième saison, mais il dansait objectivement beaucoup moins bien que Rose Ayling-Ellis, qui s’est distinguée par sa grâce et son incroyable expressivité. Elevée par une mère refusant que son handicap ne la prive de ses rêves, cette radieuse jeune femme s’est formée au théâtre grâce à un passage par la compagnie londonienne Deafinitely Theatre (mêlant langage des signes et langage parlé), a enchaîné les expériences sur les planches et au cinéma, et a même été recrutée en 2020 pour jouer le personnage de Frankie Lewis dans la série populaire EastEnders.
Rose Ayling-Ellis a su si bien surmonter son handicap qu’il était impossible de deviner qu’elle n’entendait presque rien à la musique – elle est la première participante sourde à « Strictly Come Dancing ». Son partenaire, le danseur professionnel Giovanni Pernice, s’est initié à la langue des signes et a dû adapter les entraînements pour l’aider à mémoriser la chorégraphie. « Je me repère grâce au rythme et en comptant, a-t-elle expliqué à la BBC. J’ai une prothèse auditive (…). Je peux capter le rythme, percevoir les vibrations et entendre quelqu’un chanter mais je ne distingue pas les paroles. »
Des répétitions très exigeantes pour un résultat bluffant : Rose Ayling-Ellis et Giovanni Pernice obtiennent leur première note maximale de 40 à la sixième semaine du concours avec un tango « Reine des neiges » magistral. En semaine 8, le couple danse pendant 15 secondes, musique coupée, pour mieux faire comprendre l’univers silencieux dans lequel évolue Rose. « C’est la plus belle chose que j’ai jamais vue sur ce show », s’extasie Anton Du Beke, un des juges de « Strictly Come Dancing ». Les hommages affluent, de la première ministre d’Ecosse Nicola Sturgeon à la star de la pop Ed Sheraan. Mais au lieu de masquer son handicap, Rose Ayling-Ellis le revendique et n’oublie jamais de rappeler l’existence des autres sourdes et sourds, le peu de cas dont ils font souvent l’objet, les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien en l’absence de traduction systématique en langue des signes.
« La langue des signes est si belle »
Elle veut être un modèle pour les autres, leur donner confiance. « Je rappelle juste que la meilleure manière de se renseigner sur les sourds, c’est d’aller vers eux. S’il vous plaît, mettez les projecteurs sur eux, vous aurez une chance incroyable d’apprendre », déclare-t-elle sur Twitter. Dans un long entretien au Guardian, le lendemain de la finale, elle parle même de « la joie d’être sourde » : « Je ne veux pas être normale, c’est ennuyeux ». Elle explique se sentir plus en sécurité en compagnie d’autres sourds, « c’est quelque chose de spécial (…) c’est un endroit où je comprends tout. Dans le monde de ceux qui entendent, je dois constamment essayer de lire sur les lèvres des gens. La langue des signes est si belle, la parler vous donne une identité très forte, il faut en être fiers. »
Depuis que la jeune femme a gagné la finale, l’intérêt pour la langue des signes a explosé au Royaume-Uni, à en croire leGuardian. Rose Ayling-Ellis s’en félicite et espère que son succès va faire progresser la représentation de la diversité à la télévision. « Vous voyez tant de races et de sexualités différentes, c’est super, mais qu’en est-il des personnes handicapées ? Je n’en vois pas beaucoup. Cela change mais très lentement », regrette-t-elle.
La BBC s’est engagée dès 2019 à être plus inclusive pour les handicapés, en recrutant notamment une présentatrice météo, née sans avant-bras droit, Lucy Martin. La pandémie a-t-elle accéléré la prise de conscience ? Début 2021, l’Office national des statistiques a publié une étude choquante, montrant que 60 % des personnes décédées du coronavirus en 2020 au Royaume-Uni étaient handicapées (alors qu’elles ne représentent que 17,2 % de la population britannique). Toutes les conférences de presse de Boris Johnson consacrées à la crise sanitaire sont désormais traduites simultanément en langue des signes (idem pour celles de Nicola Sturgeon).
Les Jeux paralympiques, cet été, ont bénéficié d’une couverture médiatique inédite. Les articles ayant pour sujet l’autisme ou la trisomie 21 se multiplient. La BBC vient de diffuser un long documentaire consacré à Paddy et Christine McGuiness, un couple d’acteurs et présentateurs TV, et à leurs trois enfants autistes. Au début de l’année, elle a même recruté un présentateur trisomique, George Webster, pour sa chaîne pour enfants CBeebies. « Il y a beaucoup de préjugés autour de la trisomie dans les médias. Il faut que cela cesse », a déclaré le jeune homme, 20 ans, dans une récente interview au site Disability Horizon.
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