Par Nathaniel Herzberg Publié le 26 mai 2021
Des vaccins moins efficaces, des variants plus insaisissables, des sujets plus fragiles ? Les contaminations sporadiques observées chez des personnes censées être immunisées semblent être une conjonction des trois.
L’article est passé presque inaperçu. Publié le 16 mai dans la revue Clinical Infectious Diseases, il analyse un des premiers clusters enregistrés en France dans une population largement vaccinée. Dans cet Ehpad du Jura, un patient de 92 ans se plaint, le 8 mars, de douleurs abdominales et de diarrhées. Il présente également de la fièvre. L’homme a déjà reçu ses deux doses de Pfizer-BioNTech, comme 80 % des 31 résidents de l’établissement. Mais un test PCR est réalisé. Le résultat est positif. Un séquençage révèle vite qu’il s’agit du variant B.1.351, originaire d’Afrique du Sud.
Dans la foulée, tout l’Ehpad se soumet aux tests. Treize des vingt-six résidents vaccinés s’avèrent également infectés. Deux restent asymptomatiques, neuf développent de légers symptômes, les deux derniers, atteints de formes graves, meurent dans les jours suivants. Les cinq pensionnaires non vaccinés, eux, sont tous infectés. Quatre présentent des symptômes divers, qui conduisent deux d’entre eux à l’hôpital, dont un ne survivra pas.
Depuis deux mois et l’intense campagne de vaccination dans les Ehpad, de tels événements apparaissent de façon sporadique en France. Quatre établissements de Bretagne touchés après la série de premières doses, début février ; 15 résidents et 8 membres du personnel d’un Ehpad des Landes en mars ; 11 habitants d’une maison de retraite, dans le Bas-Rhin, début avril ; le même mois, 26 des 77 pensionnaires d’un Ehpad de l’agglomération toulousaine ; et encore 36 résidents d’une maison de retraite de Prayssac (Lot). La liste n’est évidemment pas exhaustive. Sauf dans le cluster breton, la très grande majorité des résidents de ces différents établissements avaient achevé leur vaccination. Mais, dans tous ces cas, ces flambées n’ont pas eu les mêmes conséquences que lors des précédentes vagues. Les personnes vaccinées se sont révélées mieux protégées contre l’infection, et surtout contre le développement de formes graves.
Il n’empêche, l’apparition de clusters dans des populations vaccinées provoque des interrogations. Certains veulent y voir des promesses non tenues de l’industrie pharmaceutique, d’autres, plus exigeants, tentent d’y voir clair et de démêler les causes éventuelles de ces « échecs vaccinaux ».
Les succès de la vaccination
Tous s’accordent sur un point : la vaccination présente des succès incontestables et massifs. Dans tous les pays où elle a été largement déployée, les infections, les hospitalisations et les décès ont chuté. Depuis le 10 mai, l’Angleterre a connu plusieurs jours sans aucun mort. Ailleurs, en Europe, on n’en est pas là, mais la conjonction de mesures de protection diverses et de campagnes vaccinales d’ampleur a fait largement reculer la pandémie. Israël, champion de l’immunisation, a retrouvé une vie normale – du moins sur le front du virus.
Aux Etats-Unis, le pays chante sa santé retrouvée. Tous les jours, le cardiologue Eric Topol, de l’Institut de recherche Scripps, voix très écoutée dans le pays, vante le « succès impressionnant » de la campagne d’immunisation. Pour preuve, les chiffres publiés début mai par les centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) : parmi les 75 millions d’Américains qui avaient achevé leur vaccination au 15 avril, 5 800 ont par la suite présenté un test PCR positif, 396 ont été hospitalisés et 74 sont morts. Soit un taux d’infection de 0,0077 %. Le concert de louanges a été à peine terni par la découverte, mi-mai, d’un cluster au sein de l’emblématique équipe de base-ball des Yankees de New York. Le club a annoncé que sept membres du staff et un joueur, tous vaccinés avec le produit de Johnson & Johnson (J & J), avaient été déclarés positifs. En dehors d’un entraîneur, légèrement souffrant, tous sont restés asymptomatiques.
Comment interpréter ces chiffres, qui paraissent meilleurs que les 95 % d’efficacité affichés par Pfizer et Moderna lors de leurs essais de phase 3 ? D’abord, en rappelant qu’on ne parle pas de la même chose. L’efficacité compare des personnes vaccinées à d’autres non vaccinées, pour conclure que le vaccin offre 95 % de chances en moins de développer la maladie. Or, même sans vaccin, le risque de tomber malade sur la période de quatre mois étudiée pendant l’essai restait limité. Dans le groupe placebo de l’essai Pfizer, 162 personnes sur 21 700 présentaient des symptômes. Parmi les vaccinés, 8 cas étaient relevés, soit 0,039 % de l’échantillon. Un chiffre déjà très faible, donc. Mais encore cinq fois supérieur aux observations du CDC dans la vraie vie. Stephen Kissler, immunologiste à l’école de santé publique de Harvard, a livré à Slate son explication : d’une part, la circulation du virus a beaucoup baissé ; d’autre part, les personnes vaccinées, s’estimant protégées, prêtent peu d’attention aux symptômes bénins (maux de tête, légère fièvre, rhume…).
Le variant sud-africain résiste le mieux à la vaccination
Reste pourtant à comprendre comment interviennent ces percées virales (breakthrough cases en anglais). La première explication tient à l’état du système immunitaire. « Les personnes immunodéprimées, du fait d’une pathologie particulière (greffe du rein, maladies auto-immunes, cancer du sang) ou de leur âge avancé, courent plus de risques de faire un échec vaccinal », avance Jean-Daniel Lelièvre, chef du service d’immunologie clinique et de maladies infectieuses à l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil. Un article publié jeudi 21 mai dans la revue Kidney International a ainsi relevé 55 cas d’infection postvaccinale chez des transplantés rénaux en France. Dans son bulletin du 17 mai, l’Agence de biomédecine indiquait, de son côté, que 231 dialysés avaient développé un Covid en dépit d’une première injection, et 154 autres malgré leur vaccination complète. La cohorte CovPopart, pilotée par l’Inserm, entreprend actuellement de suivre de tels patients immunodéprimés pour mieux comprendre les mécanismes de ces échecs vaccinaux.
La seconde explication est de nature virologique, avec pour responsables les variants. L’équipe de l’immunologiste Adi Stern, de l’université de Tel-Aviv, a suivi 149 Israéliens ayant contracté la maladie malgré l’injection de deux doses de Pfizer. Parmi eux, 5,4 % avaient été contaminés par le B.1.351, qui pourtant ne représentait que 0,7 % des infections observées dans le pays, selon les résultats de l’étude, encore en preprint. « Le niveau de protection global reste formidablement élevé, et le taux de personnes vaccinées qui développent des formes graves particulièrement faible, décrypte la chercheuse. Mais nos résultats montrent bien que le variant sud-africain contourne, au moins partiellement, la protection vaccinale. »
Des informations confirmées de l’autre côté du Moyen-Orient, au Qatar, où les variants B.1.351 et B.1.1.7 représentaient, entre le 23 février et le 18 mars, respectivement 50 % et 43 % des contaminations. Une correspondance, publiée dans le New England Journal of Medicine par une équipe du Weill Cornell Hospital de Doha, indique que l’efficacité du vaccin à ARN de Pfizer est de 89,5 % contre l’infection par le variant britannique et de 75 % contre le variant sud-africain. Rappelons que, face à la souche d’origine, le chiffre était de 95 %.
La meilleure efficacité des formules à ARN messager
Au palmarès de l’échappement, le variant sud-africain paraît donc, pour l’heure, le plus préoccupant. Toutes les études réalisées jusqu’ici en laboratoire convergent : c’est lui qui réduit le plus le pouvoir des anticorps. Viennent ensuite le variant brésilien P1 et le nouveau venu indien, B.1.617.2. Selon la dernière étude conduite par Public Health England, entre le 5 avril et le 16 mai, le vaccin Pfizer-BioNTech serait efficace à 88 % contre les formes symptomatiques du variant indien deux semaines après la deuxième dose, comparé à 93 % d’efficacité observée contre le variant anglais. Dans les mêmes conditions, le produit d’AstraZeneca affiche une baisse de 66 % à 60 %.
Ces résultats rappellent une troisième dimension de l’échec vaccinal : le vaccin lui-même. Toutes les plates-formes ne produisent pas le même niveau d’efficacité. Aux 95 %, mesurés sur la souche d’origine, des formules à ARN messager, répondent les 70 % à 80 % des produits à vecteurs adénoviraux (AstraZeneca et J & J). Ou encore les 50 % annoncés des deux vaccins à virus inactivés des laboratoires chinois Sinovac et Sinopharm.
Variants et vaccins forment dès lors un cocktail complexe. Lors des essais de phase 3, le candidat à vecteur adénoviral de J & J a ainsi vu son efficacité passer de 72 % à 57 % face au variant B.1.351. Celui de Novavax, à protéine recombinante, a chuté, passant de 90 % à 49 % face au mutant sud-africain. Quant à la formule d’AstraZeneca, elle s’est écroulée à 22 % d’efficacité, comme le rappelle un article publié par une équipe sud-africaine, jeudi 20 mai, dans le New England Journal of Medicine. Rendus publics il y a plusieurs mois, ces résultats ont conduit le gouvernement de Pretoria à suspendre, le 7 février, son programme de déploiement du vaccin suédo-britannique.
Cette même association entre vaccins et variants semble également à l’origine de la remontée de la courbe des infections enregistrée aux Seychelles. L’archipel de l’océan Indien et ses 100 000 habitants faisaient jusqu’ici figure de modèle, avec le taux de vaccination le plus important du monde et d’un nombre de cas extrêmement bas. Pourtant, le pays a vu début mai une soudaine poussée de tests PCR positifs. Surtout, 37 % des 2 486 nouveaux infectés au cours de la semaine du 10 mai avaient été vaccinés en bonne et due forme. Mais avaient-ils reçu le bon produit ? Dans le pays, 57 % des immunisations ont été réalisées avec Sinopharm, 43 % avec CoviShield, la version made in India d’AstraZeneca. Sont-ils efficaces face au variant sud-africain, lourdement présent sur l’île ? Quel est le profil de ces personnes et comment évolue leur maladie ? « Pour le moment, nous ne disposons pas de ces informations », indique Sylvie Briand, directrice du département de préparation mondiale aux risques infectieux, à l’OMS. Tout en se disant « attentive » à la situation aux Seychelles, elle rappelle que « l’objectif prioritaire de santé publique n’est pas de supprimer les infections mais de faire chuter la mortalité et les formes sévères de la maladie ». Or la progression de ces deux indicateurs semble pour le moment limitée aux Seychelles. « Il faut aussi s’assurer que l’augmentation des contaminations n’est pas liée à un relâchement des précautions prises après la vaccination », ajoute-t-elle.
Pour l’OMS, pas question donc de changer de doctrine. Jeudi 20 mai, l’agence onusienne a redit que, pour elle, tous les vaccins homologués par ses soins étaient efficaces « contre tous les variants ». Notamment, les produits d’AstraZeneca et de Sinopharm, essentiels dans les pays en voie de développement. Une annonce faite le jour même de la publication de l’article de l’équipe sud-africaine rappelant les 22 % d’efficacité du vaccin suédo-britannique. Incohérence ? « En réalité, tout le monde a raison. Les vaccins protègent contre tous les variants, mais, pour chaque vaccin, le niveau de cette protection va varier avec les variants et avec la situation immunitaire des personnes, résume Jean-Michel Pawlotsky, chef du service de virologie à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil. Il n’y a pas du noir et du blanc, mais de nombreux niveaux de gris. » Côté gris foncé, il avertit : « Dans les mois qui viennent, à mesure que les cas baissent, les variants moins sensibles aux vaccins vont s’imposer, notamment le sud-africain. »Puis il bascule vers la clarté : « Tant que les vaccins restent efficaces contre les formes graves, ce n’est pas un problème. Et, pour l’heure, cette efficacité est exceptionnelle. » A l’hôpital Henri-Mondor, on guette l’arrivée en soins intensifs d’une personne immunocompétente, vaccinée puis frappée par un Covid-19 sévère. Pour le moment, aucune n’a été enregistrée.
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