Atteinte comme beaucoup par le syndrome de l’éco-anxiété, Laure Noualhat, ex-journaliste à «Libération», témoigne dans un essai revigorant qu’il est encore possible de combattre les désastres annoncés sans tomber dans la dépression.
Jour 23 : prunier reine-claude de Carennac, Jardres, France, le 8 avril 2020, de la série prise par Claude Pauquet durant son confinement. Photo Claude Pauquet. Agence VU
Longtemps, elle a cru se battre contre des moulins à vent, rageant contre la désinvolture de ces femmes et de ces hommes qui consomment à corps perdu sans se soucier de l’avenir de la planète. Elle s’est toujours refusée à composer, fourrant son nez dans les poubelles nucléaires américaines et russes, partageant la peur de la montée des eaux sur l’île de Tuvalu, arpentant les forêts scarifiées de la République démocratique du Congo, racontant la fonte de l’Arctique et la détresse des ours blancs, enquêtant sur les coulées de boue rouge en Hongrie, cheminant dans la zone irradiée de Tchernobyl sans songer aux conséquences possibles sur son organisme, infligeant à son corps toutes sortes d’expériences bizarres.
Elle a failli y laisser sa santé physique et mentale, sombrant dans des abîmes de désespoir et de solitude jusqu’au jour où elle s’est relevée, apaisée. Elle, l’écolo pure et dure, ne finirait pas dépressive. Ce long parcours, jalonné de mille chausse-trappes, coups de cœur et coups de gueule (on se souvient du personnage hilarant de Bridget Kyoto qu’elle avait créé pour des vidéos postées sur YouTube, tournées avec son complice Eric La Blanche), la journaliste Laure Noualhat le raconte à la première personne du singulier dans un livre, Comment rester écolo sans finir dépressif, qui entremêle avec une formidable aisance l’intime et l’universel. Un livre qu’elle porte en elle depuis de nombreuses années, nous pouvons en témoigner puisqu’elle a longtemps travaillé à Libération.
Vagues de découragement
«Tomber en écologie, c’est engager le deuil du XXe siècle, celui du "Just do it !" ou du "Yes, we can !" De la surconsommation, des Black Friday et autre Cyber Monday… Tout cela est bel et bien terminé. Ce siècle de grande accélération a vu exploser tous les compteurs, qu’il s’agisse de la population mondiale, de la consommation énergétique, de l’amoncellement des déchets, du pillage des minerais, des terres rares, du sable, etc. Oui, l’écologie, c’est ça : l’accélération dans le royaume des adieux», écrit-elle. Les cérémonies des adieux sont à durées variables, on le sait, certaines n’en finissent jamais et c’est alors que pointe ce syndrome de l’éco-anxiété qui menace nombre de spécialistes vivant dans la peur permanente de l’apocalypse climatique. «L’écoflippé a ceci de particulier qu’il peut avoir plusieurs moments de sidération, certains plus marquants que d’autres. Un choc, un stimulus est nécessaire pour diffuser l’information jusqu’au cerveau. Une fois éveillé, l’être ne peut plus se rendormir.» Chez Laure Noualhat, l’écodépression est vite devenue la normalité, transformant l’obsession du désordre climatique en état d’esprit permanent. «Je lisais écolo, dormais écolo, vivais écolo», raconte-t-elle. A ce rythme, soit on se laisse couler et on devient fou, soit on se bat et on s’en sort. Tous ceux et toutes celles qu’elle a interrogés, obsédés comme elle par la catastrophe climatique à venir, se sont battus, chacun(e) à leur façon. Claire Nouvian, la présidente d’honneur de l’association Bloom, en guerre contre la (sur) pêche industrielle, a enchaîné les vagues de découragement : «Je préférais mourir que de perdre contre le mal», lui a-t-elle confié. Elle a maintes fois eu envie d’en finir avant que, miracle ou résultat de l’obstination, Bloom obtienne en 2019 que les navires de l’Union européenne ne puissent plus utiliser la pêche électrique. Cyril Dion, avec qui Laure Noualhat a réalisé Après demain, la suite (logique) du documentaire Demain, plébiscité par la planète écolo et même au-delà, est parvenu à surmonter l’angoisse en étant suractif et en murmurant à l’oreille des puissants. C’est lui qui a suggéré à Emmanuel Macron l’idée de la Convention citoyenne, cette assemblée de 150 citoyens tirés au sort pour définir les grandes réformes à mener pour réussir la transition écologique.
Monde en capilotade
Et que dire de Nicolas Hulot, craquant en direct sur France Inter au moment d’annoncer sa démission du ministère de l’Ecologie. «Je n’ai pas dissimulé la tristesse profonde que j’avais à ce moment-là. Je prenais le risque que cela provoque de la résignation… Si vous n’êtes pas habité par ce qui se passe, alors vous n’y êtes pas sensible. La dépression profonde m’a souvent tendu la main, mais j’utilise des antidotes.» Pour beaucoup, ce moment de radio a été une prise de conscience, celle que le péril climatique était assez grand pour qu’un homme comme lui refuse de faire des compromis, quitte à renoncer au pouvoir. «En réalité, la dépression annonce des jours meilleurs, écrit Laure Noualhat, sans imaginer que, quelques mois plus tard, Emmanuel Macron utiliserait la même expression pour qualifier l’après-pandémie. Elle est même salvatrice, à la seule condition d’être vécue comme une étape, d’être accueillie telle qu’elle est, le temps qu’elle durera. […] Tous les praticiens reconnaissent qu’aller fort bien dans un monde qui ne tourne pas rond signe la vraie maladie, tandis que souffrir de ce qui se passe est très bon signe ! "L’éco-anxiété est un signe d’intelligence et de très bonne santé psychique : ces personnes ne sont pas dans le déni, au contraire, elles ont le courage de regarder les choses en face", précise l’écopsychologue montpelliéraine Charline Schmerber.» Fort bien, mais une fois que l’on a touché le fond, comment remonter à la surface et retrouver le goût de vivre dans un monde en capilotade ? «Ce qui marche, c’est d’assembler écologie intérieure et écologie extérieure, comme nous y invite le philosophe alpiniste Arne Naess avec son concept d’écologie profonde, écrit la journaliste. Le terme désigne une branche de la philosophie écologique, apparue dans les années 70, qui considère l’humanité comme partie intégrante de l’écosystème, en coévolution avec les dix millions d’autres espèces (connues à ce jour) et non comme une entité à part et supérieure. […] En fait Naess invite à une "révolution copernicienne" en replaçant la nature au cœur de nos pensées et de nos valeurs. Ce qu’il appelle profond, c’est la part de ressenti de notre appartenance à un grand tout.»
Exploitation outrancière
Plus facile à entreprendre à plusieurs que seul(e) car, comme le dit l’auteure, «la peine, c’est comme la joie, ça se partage». Il faut malgré tout se sentir vraiment seul pour avoir envie d’adhérer à ces groupes thématiques émergeant sur Facebook sous les doux noms de Effondrement et résilience, Collapsologie heureuse, Effondrement et petit-cœur-tout-seul et même Adopte un(e) collapso ou Les pochtrons de l’apocalypse, mais il faut croire que ça peut aider. Plus sérieusement, Laure Noualhat raconte comment elle a un jour découvert l’écoféminisme. «Entre femmes de cette trempe, on ne se marche pas dessus, on se fait la courte échelle tout en chérissant l’optimisme. […]. Nous nous revendiquons dignes descendantes des effrontées et des sachantes (ainsi que des pauvres innocentes) qui se faisaient occire sur les bûchers des XVe, XVIe et XVIIe siècles. […] Cette cause dans la cause s’installe tout naturellement auprès d’une génération de même pas trentenaires, pleines d’énergie et du besoin d’affirmer sans complexe le rôle capital des femmes dans la réparation du monde.»
Mais ce qui a achevé de sortir la journaliste de l’écodépression c’est son départ de Paris et la découverte d’une vieille maison avec un immense jardin dans l’Yonne, à Joigny. Une sorte de révélation qui l’a ancrée dans la terre à tous les sens du terme. «Peu à peu, je comprends qu’on peut tenter de changer le monde, mais qu’on peut aussi vivre en acceptant de ne pas y parvenir.» Pour tenter de chasser ses idées noires, Pascal Dessaint, lui, a un secret : il marche dans la nature. «Marcher pour des idées, pour ne pas céder face à des intentions détestables, une mondialisation mortifère, une oppression toujours plus forte, une violence globale et suicidaire, une guerre nouvelle que l’humain mène désormais contre lui-même. Marcher, parce que c’est la manière la plus simple et sans doute la plus noble de dire NON !» écrit-il dans Vers la beauté toujours. Certains passages sont écrits dans un style un peu trop enfantin et familier à notre goût mais cet auteur de polars, écolo et révolté, a une connaissance telle de la nature et de ses habitants - notamment des oiseaux, qu’il peut nommer par centaines - que ses descriptions nous emmènent direct là où les bruits de la ville s’estompent.
Le Covid-19 va-t-il pousser les Etats à mettre un coup d’arrêt à l’exploitation outrancière de la nature ? «Pour l’écolo radicale que je suis, le coronavirus est mon ami. Comme toutes les crises qui l’ont précédé. Comme la canicule de 2003, qui avait déjà dévoilé le dénuement de l’hôpital face à des crises de grande ampleur […]. Comme la crise financière de 2008 et son opportunité, déjà, de réflexion-bifurcation […]», écrit Laure Noualhat. Ce virus a mis le monde face à son impréparation. […] Pour ceux qui, comme moi, se sont battus contre une indifférence abyssale, le surgissement de l’urgence écologique dans le débat public actuel fait l’effet d’une bulle d’oxygène.» De l’air contre les idées noires.
Laure Noualhat Comment rester écolo sans finir dépressif Editions Tana, 256 pp.
Pascal Dessaint Vers la beauté, toujours ! Editions Salamandre, 144 pp.
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