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mercredi 26 avril 2017

Psychiatrie : La gêne du corps médical face aux « pairs aidants »

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO |
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Les « pairs aidants », anciens patients stabilisés, sont employés dans le milieu médical ou médico-social en psychiatrie. Ils sont une trentaine en France. Yasmine Gateau

Utiliser son expérience de malade pour soigner, tel est le concept du « pair aidant ». L’idée n’est pas novatrice, l’initiative existe dans une cinquantaine de pays. En France, une trentaine de pairs aidants sont à ce jour employés dans le milieu médical ou médico-social en psychiatrie. Désormais, l’Association francophone des médiateurs de santé pairs (AFMSP) créée par Philippe Maugiron, pair aidant à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, se propose de promouvoir leur emploi et le développement de leur présence dans les unités de soin. Après une année et demie dédiée à intégrer les 30 adhérents et à la création d’un site, l’AFMPS émerge et se rapproche d’autres structures associatives de patients afin de fonder un collectif français sur le rétablissement en santé mentale.


Philippe Maugiron, « rétabli depuis dix ans de troubles addictifs », a participé au projet expérimental de professionnalisation de pairs aidants initié en 2012 dans douze hôpitaux d’Ile-de-France, du Nord-Pas-de-Calais et de la région PACA. Le projet, à l’initiative du Centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé (CCOMS), sous la dénomination de « médiateurs de santé pair » (MSP), a été soutenu par le ministère de la santé. Une formation universitaire initiale a été dispensée dans le cadre du programme du CCOMS à l’université Paris-VIII auprès de 29 MSP.

« Une formation théorique ambitieuse »

Pour Alexandre Lunel, responsable pédagogique du cursus, « la reconnaissance par un diplôme est essentielle pour octroyer un statut professionnel au pair aidant. Nous avons proposé une formation théorique ambitieuse, la plus dense d’Europe. Le cursus d’un an en alternance incluait une semaine de cours chaque mois, et le reste du temps était consacré à la pratique dans les unités de soins ». Pour le psychiatre Jean-Luc Roelandt, porteur du projet, « il est impératif d’assurer un emploi à la sortie de la formation. L’intégration pérenne de MSP est la seule manière de faire évoluer les mentalités sur la maladie mentale ».

Quatorze MSP du programme de formation du CCOMS sont à ce jour intégrés dans les équipes pluridisciplinaires des établissements psychiatriques sélectionnés, pour accompagner les patients. Cristina Mastrangelo travaille ainsi au sein d’un service d’admission de l’Etablissement public de santé mentale de Lille. Elle est rattachée à l’équipe socio-éducative et assure des entretiens informels d’accueil et de suivi pour transmettre les stratégies qu’elle a pu mettre en place lors de son processus de rétablissement.

Elle aide également les usagers à rétablir des liens sociaux sur leur lieu de vie et accéder au logement, à la formation et à l’emploi. Les autres MSP occupent un emploi dans des structures extra-hospitalières.

Le centre Service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah) de l’association Prepsy à Paris a commencé à employer un pair aidant dès 2002. Le Samsah s’engage auprès de cinquante jeunes adultes atteints de troubles psychiatriques. A ce jour, deux pairs aidants travaillent en collaboration avec l’équipe soignante pluridisciplinaire. L’un d’eux, Christophe Lamadon, a suivi une formation. Il intervient auprès des patients pour établir un lien de confiance et éviter que ceux-ci n’interrompent leur suivi, et leur propose une aide pour les démarches administratives ou un soutien scolaire.

Le second n’intervient que peu à Paris et travaille à distance : Patrick Stern est pair aidant numérique. Un poste inédit en France. Il accompagne les patients par téléphone ou messages électroniques depuis un an et demi. L’ancien informaticien assure également une veille Internet des publications ou communications dans le domaine de la santé mentale. La page Facebook qu’il alimente régulièrement sert de base de réflexion à l’ensemble de l’équipe et d’outil de médiation pour ses collègues pour parler des troubles ou des difficultés de la vie quotidienne avec les patients. Il se définit comme « un traducteur pour faciliter la compréhension entre soignants et usagers ».

Guy Gozlan, psychiatre référent de la structure, argumente ce choix : « Le soin dans la structure est basé sur la demande exprimée ou non de l’usager et sa famille. La population auprès de laquelle nous intervenons est jeune, le numérique fait partie intégrante de leur vie, nous devons nous adapter. »

Définir un statut professionnel


Bérénice Staedel, chargée de mission médiateurs de santé pairs pour le CCOMS, assure que « le diplôme universitaire n’est reconnu que comme formation complémentaire en France. Nous devrions aller plus loin pour permettre de définir un statut professionnel ». « Nous sommes actuellement considérés comme des agents administratifs, regrette Cristina Mastrangelo. La fiche de poste de pair aidant n’est pas standardisée, la mienne diffère de celle de ma collègue qui travaille dans l’unité d’à côté. » Un « manque de reconnaissance » dont elle dit encore souffrir. Un projet de licence professionnelle en alternance est donc en cours d’élaboration dans six régions françaises pour créer une vingtaine de postes supplémentaires en 2018.

Quatre nouvelles régions s’investissent dans ce projet : la Nouvelle-Aquitaine, le Grand-Est, l’Auvergne-Rhône-Alpes et les Pays de la Loire. Pour la phase II du programme, les MSP seront employés dans les unités de soins à la demande des services eux-mêmes pour éviter les tensions auxquelles ont pu être confrontés quelques MSP – dont certains ont rechuté.

L’initiative a suscité de nombreuses réticences en France parmi le personnel soignant, les syndicats ou les usagers. Pour Jean Vignes, secrétaire général du syndicat Sud santé sociaux, « l’état dégradé de la psychiatrie actuelle exclut d’envisager d’intégrer des pairs aidants dans les équipes de soin. Démunir les équipes soignantes déjà fragilisées et en souffrance pour financer des postes de pairs aidants détériorerait encore une situation très compliquée ». Le salaire d’embauche d’un MSP est un peu moins élevé (1 330 euros net à temps plein) que celui d’une infirmière débutante.

Transmettre l’expérience, et après?


Le représentant syndical nuance cependant : « Dans une situation apaisée, nous pourrions envisager les choses autrement. Nous serions cependant vigilants à ce que les pairs aidants bénéficient d’une formation adéquate, d’une reconnaissance statutaire qui correspondent à leur fonction, et qu’ils bénéficient d’un environnement suffisamment serein pour qu’il n’y ait pas risque de résurgence des troubles. »

Claude Finkelstein, présidente de la la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie (Fnapsy), adopte une position plus radicale. « La FNAPsy est tout à fait opposée à l’intégration de pairs aidants dans le soin et dans une équipe de soins subordonnée à un médecin psychiatre. Un pair aidant doit se contenter de transmettre aux usagers un message d’espoir basé sur son expérience », insiste-t-elle.

Pour Bérénice Staedel, l’implication dans les équipes de soins de pairs aidants a pourtant de l’avenir : « Nous disposons d’un fichier d’environ 200 médiateurs de santé pairs potentiels qui nous ont sollicités pour remplir cette fonction. »

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