LE MONDE | | Par Collectif
Dans un texte publié par Le Monde, 146 médecins et chercheurs dans le domaine des sciences de la vie (dont une trentaine d’académiciens et de professeurs au Collège de France, et plusieurs présidents de sociétés savantes) mettent en cause l’action de la Fondation Jérôme-Lejeune, en particulier les procédures judiciaires lancées contre des autorisations de recherche sur l’embryon. Ils demandent aux pouvoirs publics de « reconsidérer » la reconnaissance d’utilité publique attribuée à cette fondation lors de sa création en 1996. La Fondation Jérôme-Lejeune est connue pour son action au service des trisomiques et pour ses positions défavorables à toute intervention sur le vivant.
TRIBUNE. La Fondation Jérôme-Lejeune, reconnue d’utilité publique depuis 1996, agit pour les personnes atteintes de déficiences intellectuelles d’origine génétique. Se déclarant au service des malades et de leurs familles, elle poursuit trois objectifs : « chercher, soigner, défendre ». Elle dispose de moyens importants, finance des recherches expérimentales et cliniques et a créé un centre de consultations médicales prenant en charge de nombreux patients, notamment ceux porteurs de trisomie 21.
Depuis quelques années, cependant, la Fondation Jérôme-Lejeune cherche à bloquer les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires en multipliant les procédures pour faire annuler, par voie judiciaire, les autorisations de recherche que l’Agence de la biomédecine délivre en accord avec la législation française, alors même que ces recherches présentent un intérêt scientifique et médical indéniable pour la société. On peut se demander en quoi ce type d’action contribue à l’engagement pris par cette fondation de contribuer à « la restauration et au bien-être de la personne touchée dans son intelligence ».
En outre, ses interventions ne concernent pas seulement les domaines médicaux ou scientifiques, mais s’inscrivent aussi, de plus en plus souvent, dans les champs sociaux et politiques, qu’il s’agisse du planning familial, du débat législatif espagnol sur l’avortement, de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme sur la filiation des enfants nés d’une GPA [gestation pour autrui], de la fin de vie, de la primaire organisée par Les Républicains en novembre 2016, du Téléthon, etc. Enfin, elle n’hésite pas à poursuivre en justice des responsables associatifs ou des chercheurs qui ne partagent pas ses convictions.
« Déclarations caricaturales »
Reconnaissant à la Fondation Jérôme-Lejeune et à ses membres la liberté d’avoir les opinions qu’ils souhaitent et de pouvoir les exprimer publiquement, mais constatant que les déclarations de cette Fondation et de son président sont souvent caricaturales, comme par exemple quand ils évoquent « ces nouvelles formes de sacrifices humains que constituent les expériences sur l’embryon », quand ils affirment que « la disparition française de 10 millions d’enfants depuis plus de quarante ans est l’objet d’une célébration permanente et fait notre fierté nationale », ou encore en indiquant que la simple absence d’un député lors du débat concernant les recherches sur l’embryon en assistance médicale à la procréation « abîme la vie » – alors que le Conseil constitutionnel a lui-même estimé que ces recherches « prévoient de soumettre à essais cliniques des techniques en cours de développement et destinées à améliorer l’efficacité des méthodes de procréation médicalement assistée ou à prévenir ou soigner des pathologies chez l’embryon » et sont « menées au bénéfice de l’embryon lui-même » donc peuvent promouvoir leur vie ;
Regrettant que les prises de position de cette fondation dénaturent et dégradent le débat éthique qu’il convient de mener sur les évolutions des sciences de la vie et de la santé ;
Constatant que les actions menées par cette fondation sont peu compatibles avec les échanges qui ont lieu habituellement entre scientifiques et médecins – et qui contribuent à la découverte de nouvelles connaissances et de nouveaux traitements ;
Condamnant les actions entreprises par cette fondation qui cherchent à empêcher de mener à bien des recherches scientifiques réalisées dans le cadre des lois en vigueur ;
Nous, médecins et chercheurs des sciences de la vie et de la santé :
- demandons aux pouvoirs publics de reconsidérer la reconnaissance « d’utilité publique » attribuée à la Fondation Jérôme-Lejeune ;
- appelons les responsables des institutions scientifiques et universitaires publiques à s’interroger sur les collaborations qu’ils peuvent développer avec la Fondation Jérôme-Lejeune ;
- invitons les médecins et chercheurs à bien s’informer des déclarations et de la signification des actions de la Fondation Jérôme-Lejeune dans le champ éthique, sociétal et politique avant d’engager quelque activité que ce soit en lien avec elle ;
- attirons l’attention des donateurs sur le fait qu’une partie de leurs dons contribue à financer des actions sans rapport avec la compréhension et le traitement des déficiences intellectuelles d’origine génétique.
Ce collectif rassemble des médecins et/ou chercheurs des sciences de la vie ou de la santé. Les premiers signataires de cette tribune sont : Yves Agid, Etienne Baulieu, Yehezkel BenAri, Florence Brugnon, Georges David, John De Vos, Anne Fagot-Largeault, Patricia Fauque, Alain Fischer, René Frydman, Alain Gougeon, François Gros, Pierre Jouannet, Nicole Le Douarin, Cécile Martinat, Israël Nisand, Marc Pechanski, Alain Prochiantz, Jean Paul Renard, Nathalie Rives, Virginie Rouiller-Fabre, Alain Tedgui et Jean Didier Vincent. Retrouvez la liste complète des signataires sur Lemonde.fr
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