M. ASCH Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital Robert-Debré, Paris
L’anorexie mentale est un trouble psychiatrique grave pour lequel il existe peu de stratégies thérapeutiques validées en dehors des thérapies familiales chez l’adolescent (1-3). Récemment, la publication de recommandations de bonne pratique clinique pour la prise en charge de l’anorexie mentale d’abord par le NICE 2004(4), puis par la Haute Autorité de santé (HAS) en 2010(5), a permis de donner une ligne directrice aux praticiens.
La prise en charge de l’anorexie mentale doit rassembler une guidance diététique, un suivi médical et un suivi psychologique. Les buts de cette prise en charge sont de restaurer un poids de bonne santé physique, de traiter les complications physiques, de donner une éducation nutritionnelle au patient, de modifier ses pensées et attitudes dysfonctionnelles face à l’alimentation, de traiter les troubles psychiatriques associés, de mobiliser la famille et enfin de prévenir la rechute(4,5).
Les interventions psychothérapeutiques pour les enfants et adolescents
Quelles formes de psychothérapie préconiser dans l’anorexie mentale ? Dans les recommandations de bonne conduite clinique, il est préconisé d’informer le patient et son entourage des facteurs étiopathogéniques du maintien de son trouble, de la clinique, des risques physiques encourus et de l’évolution de la maladie. Le patient mineur doit lui-même bénéficier d’une information adaptée à son développement psycho-affectif. Parmi les différentes psychothérapies (de soutien, analytiques, systémiques, familiales, cognitives et comportementales), seule la thérapie familiale a montré sa supériorité et est donc recommandée à un niveau B par la HAS chez les sujets dont le trouble a débuté avant 19 ans et dure depuis moins de 3 ans(1,2,3,5). Les approches motivationnelles auraient également un intérêt en début de prise en charge(6).
Comment améliorer la prise en charge psychothérapeutique ? Et comment l’adapter aux jeunes patients anorexiques ? Comme nous l’avons dit, il n’existe pas de psychothérapie de référence dans la prise en charge de l’anorexie à début précoce en dehors des thérapies familiales. Cependant, les thérapies cognitivo-comportementales prennent à ce jour de plus en plus de place dans la prise en charge de l’anorexie mentale. Il est donc nécessaire pour les praticiens prenant en charge les patients les plus jeunes de pouvoir adapter et valider ces nouveaux outils disponibles pour adultes ou grands adolescents à des patients plus jeunes ayant entre 8 et 15 ans.
La psychoéducation
Il s’agit d’expliquer et d’informer les patients du fonctionnement global de leur trouble via des exercices simples et ludiques, afin de les aider à prendre conscience de leur statut de « malade », leur expliquer qu’ils sont atteints d’une maladie connue et qui peut se traiter. Il s’agit également de les aider à distinguer leurs propres pensées de leurs pensées « malades », leur faire comprendre que l’anorexie n’est pas un choix de vie mais bien une maladie et ainsi espérer améliorer à terme l’alliance thérapeutique et la motivation au changement.
Dans cet esprit, un module psychoéducatif a été élaboré par nos soins. Ce module est destiné aux enfants et adolescents anorexiques de 8 à 15 ans. Il a été élaboré à partir de différents ouvrages(7-9). Il comprend 10 séances individuelles hebdomadaires, d’une durée 30 à 45 minutes chacune. Elles prennent en compte le développement psychique et psycho-affectif de nos jeunes patients. L’évaluation de l’intérêt de ce programme est en cours dans le service de pédopsychiatrie de l’hôpital Robert-Debré, afin de mettre en évidence son intérêt sur la motivation au changement et l’alliance thérapeutique du patient.
Interventions basées sur les thérapies de pleine conscience (mindfulness)
Les thérapies de pleine conscience appartiennent à la 3e génération des thérapies cognitivo-comportementales axées principalement sur l’acceptation du symptôme par les patients. C’est l’américain Jon Kabat-Zinn qui, dans les années 1970, a mis en place cette technique issue du savoir bouddhiste : il s’agit d’avoir conscience de son corps et de ses émotions pensées sans jugement de valeur. Il existe aujourd’hui des programmes de mindfulness adaptés aux enfants anxieux ou présentant un trouble déficitaire de l’attention avec/sans hyperactivité (TDAH)(10-15). Pour les troubles du comportement alimentaire, ces programmes concernent principalement la boulimie et l’obésité. L’efficacité de cette technique n’est absolument pas prouvée dans l’anorexie mentale, mais serait peut-être prometteuse.
La thérapie comportementale dialectique (DBT), issue du mindfulness, est un traitement validé de la personnalité borderline et donc plus indiquée dans les cas de boulimie ou d’anorexie type binge eating. Dans l’anorexie mentale, le symptôme cible serait l’insatisfaction corporelle, comme préconisé dans le programme issu du mindfulness « Body Image Therapy BAT10 », ainsi que les ruminations anxieuses (16,17). Une évaluation de l’impact d’un module de 10 séances de type mindfulness, ciblant les ruminations anxieuses et l’insatisfaction corporelle au sein d’une population de patientes anorexiques à début précoce est actuellement en cours à l’hôpital Robert-Debré.
Prise en charge de l’anorexie.
Les prises en charges cognitives dans l’anorexie mentale
Les recherches récentes en neuro psychologie ont permis d’identifier certains mécanismes mis en cause dans l’anorexie mentale, chacun de ces mécanismes devenant lui-même une cible thérapeutique potentielle :
• chez les anorexiques est décrit un profil cognitif particulier, qui serait un facteur de maintien possible de la maladie (18-21) ;
• cibler ces facteurs de maintien est une étape essentielle dans la prise en charge ;
• les « cognitions chaudes » sont les pensées basées sur les sentiments, l’intuition, les émotions et la motivation(22). Il existe chez les patientes anorexiques des difficultés dans la reconnaissance, la compréhension, l’expression et la tolérance des émotions ;
• les « cognitions froides »correspondent à la pensée logique et rationnelle. Il existe chez les patientes anorexiques un profil cognitif particulier associant une flexibilité mentale défaillante, des troubles visuo-spatiaux et de mémoire visuelle, un défaut de cohérence centrale avec des performances globales comparables, voire légèrement supérieures à celles de la population générale(23).
La remédiation cognitive (CRT)
Cette technique cible les cognitions dites « froides » et s’appuie sur la réorganisation de réseaux neuronaux et la neuroplasticité cérébrale. On sait depuis les années 2000 que le cerveau adulte reste plastique et est capable de changement. Ainsi, une étude réalisée auprès de chauffeurs de taxi londoniens a montré une augmentation de volume de leur hippocampe (siège de la mémoire) démontrant la plasticité du cerveau adulte(24). La remédiation cognitive est une intervention visant à améliorer les déficits neuropsychologiques sous tendant une maladie. Elle cible les processus et non le contenu de la pensée. Cette technique a montré son efficacité en neurologie, puis en psychiatrie dans la schizophrénie. L’équipe de Pr Tchanturia au Maudsley Hospital à Londres l’a adaptée à la prise en charge de l’anorexie mentale chez l’adulte avec des résultats prometteurs(25). L’équipe du Pr Lask à Londres travaille à son adaptation chez les adolescents(26). Notre équipe à Robert Debré travaille à son adaptation auprès de patientes anorexiques à début précoce.
Cognitive remediation and emotional skills training (CREST)
Il s’agit d’un programme élaboré par le Pr Tchanturia pour l’instant destiné aux adultes anorexiques, qui vise à travailler sur les cognitions dites « chaudes ». Le module comprend à ce jour 10 sessions : les 2 premières séances sont des séances de remédiation cognitive et les 8 suivantes sont axées sur les émotions et leur reconnaissance, en particulier pour aider les patients à nommer les émotions et identifier les différents états émotionnels du patients. Le matériel et les taches sont utilisés pour faciliter la réflexion sur les stratégies actuelles et nouvelles pour manager, tolérer et exprimer ses propres émotions.
Il s’agit d’une technique prometteuse dont l’efficacité chez l’adulte est en cours d’évaluation. Il n’y a aucune application chez les patients les plus jeunes à ce jour.
La thérapie multifamiliale
Les troubles du comportement alimentaire (TCA) sont le terrain privilégié des thérapies familiales qui restent au cœur de la conceptualisation et du traitement de l’anorexie mentale, bien que les théories de causalité familiale n’aient pas été confirmées. La thérapie multifamiliale a déjà été utilisée avec succès dans la prise en charge de la schizophrénie ou des troubles bipolaires. Elle consiste à regrouper plusieurs familles autour d’une même pathologie et combine plusieurs approches : thérapie de groupe, thérapie familiale, psychoéducation.
Les premières applications des thérapies multifamiliales appliquées aux adolescents présentant un TCA sont récentes, puisqu’elles datent du début des années 2000 à Londres(31) et en Allemagne(32). Entre 2001 et 2011 dans le service de pédopsychiatrie à l’hôpital Robert Debré, 5 à 7 familles ont été inclues dans un programme de thérapie multifamiliale pendant 9 mois. En 2004, le programme a été ouvert aux fratries, puis en 2006 un groupe de patients présentant une anorexie à début précoce a été constitué (33-35). Les premières observations étaient encourageantes puisqu’il a été relevé une diminution du taux de rechute et de rehospitalisation, une bonne acceptabilité et une meilleure stabilisation pondérale chez les patients ayant bénéficié de cette prise en charge.
La neuromodulation
Les études récentes en imagerie fonctionnelle ont confirmé l’implication de zones cérébrales telles que le cortex préfrontal dorso-latéral, l’insula, le lobe pariétal, le cortex cingulaire antérieur dans l’anorexie mentale de l’adulte. Ces zones sont impliquées dans les processus émotionnel, de récompense et de perception corporelle. La neuromodulation est une technique thérapeutique issue de ces découvertes récentes en neuro-imagerie.
À ce jour, la neuromodulation est utilisée uniquement chez l’adulte, au stade de la recherche et seulement pour les anorexies mentales sévères résistantes en complément des autres traitements. Seules 3 études en rTMS ont été menées dans l’anorexie mentale chez l’adulte, des études randomisées sont en cours chez l’adulte au Royaume-Uni et en France. Il s’agit de stimulations au niveau du cortex préfrontal dorsolatéral qui montreraient une diminution de la dysmorphophobie et de l’anxiété(36).
Conclusion
Différentes études sont en cours en population adulte afin de valider l’intérêt de plusieurs de ces techniques novatrices dans la prise en charge de l’anorexie mentale. Il existe encore très peu de littérature concernant la description neuropsychologique et en imagerie dans l’anorexie mentale à début précoce, il nous faudra donc tout d’abord appliquer ces nouvelles technologies à une meilleure compréhension de l’anorexie mentale à début précoce, afin de pouvoir ultérieurement adapter et valider également ces techniques auprès des patients anorexiques les plus jeunes.
Références
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