LE MONDE | | Par Gaëlle Picut
Plusieurs décrets et arrêtés qui finalisent la mise en place du controversé compte personnel de prévention de la pénibilité ont été publiés dans le dernier Journal officiel de 2015, après plusieurs mois d’hésitations et de modifications et malgré la forte opposition des syndicats patronaux.
Parmi les dix facteurs de pénibilité, quatre sont entrés en vigueur le 1er janvier 2015 dont des définitions ont été modifiées et la mise en place des six autres facteurs a été reportée au 1er juillet 2016 au lieu du 1er janvier prévu initialement. Sont concernés les postures pénibles, les manutentions manuelles de charges, les agents chimiques, les vibrations mécaniques, les températures extrêmes et le bruit.
Les textes publiés le 31 décembre précisent aussi les mesures de simplification prévues par la loi Rebsamen du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi. Quels changements pour les salariés faut-il attendre ?
Parmi les dix facteurs de pénibilité (dont le travail de nuit, le travail répétitif, le travail en milieu hyperbare et les horaires alternants sont entrés en vigueur), deux voient leur définition et leurs seuils de reconnaissance modifiés : le travail répétitif et le bruit.
Redéfinition du « travail répétitif »
Le travail d’un salarié pourra être reconnu comme « répétitif », à partir de 900 heures par an. La définition et les seuils d’exposition ont été changés à la suite des préconisations d’Hervé Lanouzière, le directeur général de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), dans son rapport paru en septembre 2015. Désormais, « le travail répétitif est caractérisé par la réalisation de travaux impliquant l’exécution de mouvements répétés, sollicitant tout ou partie du membre supérieur, à une fréquence élevée et sous cadence contrainte ».
Le seuil de reconnaissance est atteint si le salarié réalise 15 actions techniques ou plus pour un temps de cycle inférieur ou égal à 30 secondes, ou s’il réalise 30 actions techniques ou plus par minute dans les autres cas (temps de cycle supérieur à 30 secondes, temps de cycle variable ou absence de temps de cycle). Le nouveau texte apporte essentiellement des précisions qui diminuent les difficultés d’interprétation pour les entreprises et simplifient l’estimation du niveau de travail répétitif auquel un salarié est exposé.
Toujours plus de bruit
Le salarié pourra faire reconnaître le « bruit » comme facteur de pénibilité à partir de 81 décibels, contre 80 décibels dans le texte précédent. Soit le niveau moyen du fond sonore de la cantine d’entreprise du Monde, mais rapporté à une période de référence de huit heures.
Comment les agents chimiques dangereux sont reconnus ?
Par ailleurs, deux arrêtés définissent la liste des agents chimiques dangereux concernés, ainsi que la méthode permettant d’évaluer la pénibilité liée à leur exposition. Ils établissent ainsi la durée d’exposition ou la valeur limite d’exposition (VLEP) à un agent chimique à partir desquelles le salarié est considéré comme exposé à la pénibilité. Ils indiquent également la grille d’évaluation (complexe) que l’employeur doit utiliser pour évaluer les autres situations.
Celle-ci prend en compte le type de pénétration de l’agent chimique dangereux (voie respiratoire ou cutanée), le procédé d’utilisation ou de fabrication, les mesures de protection collective ou individuelle mises en place, etc.
La fiche individuelle de prévention est supprimée
Enfin, les mesures de simplification réclamées par les syndicats patronaux et prévues par la loi Rebsamen du 17 août 2015 ont été précisées dans le Journal officiel du 31 décembre 2015. Elles signent le terme de la fiche individuelle de prévention des expositions aux risques. A la place, l’employeur est seulement tenu de déclarer les expositions de ses salariés à la pénibilité de façon dématérialisée via la DADS ou la DSN (qui va remplacer à terme la DADS). Un changement qui « ne va pas dans le bon sens », critiquait la secrétaire nationale de la CFDT, Jocelyne Cabanal, en août 2015 : « la fiche individuelle d’exposition devait constituer un outil de traçabilité et de prévention. Avec ce nouveau système, nous craignons d’être davantage dans une logique de réparation ».
Pour les salariés qui ne bénéficient pas du compte pénibilité (à savoir les travailleurs détachés, les fonctionnaires, les salariés de droit privé de la fonction publique ou les salariés relevant de régimes spéciaux), une fiche de suivi individuel est instaurée.
Un référentiel de branche pour les TPE/PME
Pour évaluer l’exposition aux facteurs de pénibilité, l’employeur n’a pas de mesures individuelles à effectuer s’il dispose de référentiels des branches. Il lui « suffira » de reprendre ces référentiels en standard pour établir la déclaration de ses salariés. Cette modification a notamment été effectuée pour répondre à l’inquiétude des TPE/PME.
Toutefois la mise en place des référentiels risque de prendre du temps et le délai de six mois supplémentaires accordés par le gouvernement ne sera sans doute pas suffisant…. Dans la mesure où ces dispositions viennent d’entrer en vigueur au 1er janvier 2016.
Les employeurs peuvent aussi désormais, en l’absence d’accord de branche étendu sur le sujet, se baser sur les référentiels professionnels établis par les branches définissant les postes, métiers ou situations de travail exposés. Ce référentiel de branche ne peut être établi que par une organisation professionnelle représentative dans la branche concernée, dans la limite de son champ d’activité. Le référentiel doit être réévalué au minimum tous les cinq ans.
Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, a souligné, lors d’une rencontre organisée par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis), le 5 janvier, que c’est désormais aux branches de s’emparer de cette négociation sur les référentiels.
Réactions syndicales
Le Medef et la CGPME ont tout de suite réagi à la publication de ces décrets. « Malgré les simplifications apportées par la loi Rebsamen, pour lesquelles le Medef s’est beaucoup battu, le compte personnel de prévention de la pénibilité, en raison de sa complexité persistante et immédiate de mise en œuvre et de son coût à moyen terme, pèsera lourdement sur la compétitivité des entreprises », a réagi le mouvement présidé par Pierre Gattaz.
De son côté, la CGPME « condamne sans réserve ce texte anti-emploi qui termine bien mal l’année 2015 ». Elle estime que « le compte personnel de prévention de la pénibilité viendra compliquer davantage encore la vie des entrepreneurs. Il coûtera cher et pénalisera les entreprises françaises. Les travailleurs détachés et les entreprises étrangères en France ne seront pas, eux, concernés par ce texte (…). À vouloir faire de la France un eldorado social, on finira par en faire un désert économique », conclut-elle.
En revanche, pour la CDFT, qui estimait que « la mise en place du compte pénibilité n’a été que trop retardée », « la parution des décrets « pénibilité » au Journal officiel est enfin la reconnaissance des mauvaises conditions de travail et de leurs effets sur la santé. Les salariés concernés vont pouvoir bénéficier soit d’heures de formation, d’un temps partiel ou d’un départ anticipé à la retraite, leur permettant ainsi de sortir des compensations habituelles – primes – qui n’ont aucun effet sur un maintien en emploi en bonne santé ».
Comment utiliser les points pénibilité
Chaque salarié exposé à au moins un facteur de risque au-delà du seuil fixé, peut acquérir et cumuler des points (plafonnés à 100) qui alimenteront son compte pénibilité. Une exposition à un facteur permet d’acquérir un point par trimestre (et deux points en cas de plusieurs facteurs d’exposition). Ce sont les caisses de retraite, gestionnaires du compte pénibilité, qui informeront chaque salarié, une fois par an, du nombre de points acquis dans l’année.
Le salarié peut les utiliser de trois façons différentes : se former en vue d’accéder à un emploi non exposé ou moins exposé à des facteurs de pénibilité, réduire sa durée du travail ou partir plus tôt à la retraite. A noter que les 20 premiers points obtenus sur le compte sont réservés au financement d’une formation professionnelle.
Pour conclure, la précision de ces derniers décrets et arrêtés visent à sécuriser le dispositif et à limiter au maximum les contestations des salariés et les futurs contentieux mais les spécialistes en droit social sont loin d’être aussi optimistes.
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