Est-il vraiment raisonnable de parler avec les morts ? Après des années d’injonction psychologique à «faire son deuil», des vivants se rebellent contre la mort clinique et froide, s’arrogeant un droit à la tristesse et, pourquoi pas, celui d’entretenir des relations avec les disparus. Philosophe à l’université de Liège, Vinciane Despret a récolté dans son livre Au bonheur des morts, ces multiples récits montrant la façon dont les défunts peuvent entrer dans la vie de ceux qui restent. Comment maintenir un lien avec le cher disparu ? Porter ses chaussettes ou lui fêter chaque année son anniversaire en cuisinant son plat préféré. Ce qui a fasciné Vinciane Despret, c’est la teneur de ces discours, «si raisonnables et si équivoques» à la fois, fabriquant de véritables énigmes, des épreuves à résoudre. Voici sans doute pourquoi le thème est devenu séries pour les écrans, de Six Feet Under à Ghost Whisperer, de Walking Dead Medium ouCold Case. Quand la mort se réhumanise ?
Longtemps cachés, les morts reviennent-ils parmi les vivants ?
Ce retour d’attention portée à nos morts est dû, c’est une des hypothèses possibles, à notre échec à parvenir à la belle mort. Malgré tous les progrès médicaux, nous n’accédons toujours pas à la mort sereine et paisible. Beaucoup meurent encore à l’hôpital, épuisés de vivre, quand ce n’est pas dans de grandes souffrances. C’est peut-être cet échec que nous compensons par un accompagnement post mortem des défunts. Mais surtout, je crois que les morts n’ont jamais disparu. Ils étaient seulement plus discrets, car l’injonction de rationalité était trop forte. Les sciences humaines ont quand même mené pendant tout le XXe siècle une véritable croisade pour la rationalisation : on ne pouvait pas «avoir l’électricité et les esprits dans la même pièce». Aujourd’hui, les morts ne reviennent pas, ils sont juste plus visibles. La question «où sont les morts ?» est cruciale, on se la pose tous.