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lundi 25 mai 2015

Reconnaître le burn-out, un travail de longue haleine

AMANDINE CAILHOL 

«Tous les Français connaissent quelqu’un qui a déjà craqué, s’ils n’ont pas eux-mêmes déjà basculé.» Benoît Hamon, député PS des Yvelines, en est convaincu : le burn-out gagne du terrain. Pour contrer cette «casse» qui touche les salariés de tous secteurs d’activité, l’ex-ministre plaide pour que l’«effondrement professionnel», en version française, soit reconnu comme une maladie professionnelle (lire ci-contre). En France, ils seraient plus de 3,2 millions de salariés «en situation de travail excessif et compulsif», selon Jean-Claude Delgènes, directeur du cabinet Technologia, spécialiste des risques professionnels. Soit 12% de la population active au bord du burn-out. Chaque année, pourtant, seule une poignée réussit à faire reconnaître le caractère professionnel de ce mal s’attaquant à la fois aux ressources physiques et psychiques. Et pour cause, le burn-out n’a aucune définition officielle et n’apparaît pas dans les tableaux des maladies professionnelles utilisés par les médecins de la Caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) pour reconnaître automatiquement la cause professionnelle d’une pathologie. Seule solution pour les victimes : passer par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), habilités à instruire les dossiers au cas par cas. Sauf que pour être traités, ces derniers doivent répondre à des critères drastiques - apporter la preuve du lien «essentiel et direct» entre la maladie et le travail et justifier d’une incapacité permanente partielle de plus de 25%. Un taux très élevé laissant peu de chances aux requérants. En 2013, ils ne sont que 239 à avoir obtenu une prise en charge par la branche accident du travail et maladies professionnelles (ATMP) de la sécurité sociale. Les autres, obligés de s’en remettre à la branche maladie, moins avantageuse, «sont sortis par la petite porte», estime Jean-Claude Delgènes.
Vague«Il faut désétrangler ce système d’évaluation», martèle Marie-Françoise Bechtel, députée MRC. L’élue de l’Aisne se bat depuis plusieurs mois pour une modification législative du code du travail en faveur de la reconnaissance du burn-out en maladie professionnelle. Et veut, comme Benoît Hamon, que le sujet soit abordé lors des débats sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi du ministre du Travail, François Rebsamen, à partir de ce mardi à l’Assemblée. Mais les marges de manœuvre des députés sont limitées. Premier obstacle, l’article 40 de la Constitution, qui leur interdit de créer ou d’aggraver une charge publique et réduit, de fait, les scénarios. Autre difficulté, il n’existe à ce jour pas d’accord entre spécialistes sur ce qu’est le burn-out. Difficile de reconnaître quelque chose dont on ne saisit pas pleinement les aspects. Enfin, si les syndicats font un bon accueil à la démarche, le patronat, lui, freine des quatre fers.
Pour l’heure, Rebsamen n’a pas fermé la porte. Il devrait même soutenir un amendement visant à «inscri[re] dans la loi la possibilité de prendre en compte les pathologies psychiques imputables à une activité professionnelle». Mais ce dernier, plutôt vague et minimaliste, renvoie la question à un texte réglementaire. Le ministère du Travail préfère donc mettre l’accent sur la prévention, tout en soulignant que les difficultés de définition du burn-out rendent le dossier complexe… Un argument déjà servi au sujet du compte pénibilité, et dont certains craignent qu’il ne vienne nourrir un nouvel abandon. Car la reconnaissance du burn-out en maladie professionnelle n’est pas une idée neuve. Fin 2014, une trentaine de députés, Bechtel en tête, avaient déjà mis la question sur la table en publiant une tribune sur cette «question majeure»touchant aussi bien d’anciennes sociétés publiques (France Télécom, la Poste…), que le secteur bancaire ou la grande distribution, «deux secteurs grands pourvoyeurs de burn-out». Quelques jours plus tôt, un collectif de médecins du travail pointait une «augmentation constante des cas d’effondrement soudain depersonnes arrivées au bout de leurs ressources et de leur capacité de résistance». A l’initiative du mouvement, Bernard Morat, médecin du travail, a vu le nombre de victimes exploser dans son cabinet. Mais le diagnostic ne suit pas. «Pourtant, même si les spécialistes ne sont pas tous d’accord, les symptômes commencent à être concordants», note le praticien. Soit la fatigue, les maux de dos et tensions musculaires, le sommeil troublé, le repli, la perte de confiance ou le sentiment de vide…
Pression. Plus compliqué encore, le lien entre la maladie et les conditions de travail ne fait pas consensus. Pourtant, Jean-Claude Delgènes n’en démord pas : «L’épuisement professionnel n’est pas lié à la vulnérabilité des personnes, il vient des modes de travail.»La faute, selon lui, à l’exigence de rentabilité, la pression sur la productivité et la numérisation de la société. Mais aussi à la montée en puissance de la précarité et du contrôle, ou encore au débordement du temps de travail sur le temps personnel. Autant d’éléments qui peuvent conduire jusqu’au suicide, comme ce«directeur d’une grande société de télécoms qui s’est donné la mort quand son entreprise lui a demandé de rentrer au bureau alors que, complètement rincé, il était parti en vacances avec sa famille. Il n’avait plus aucune ressource physique et émotionnelle», se souvient Delgènes. Autre facteur, «le changement permanent d’organisation» au travail. «Il chasse l’expérience et le professionnalisme et crée de l’épuisement et du désarroi», note Danièle Linhart, sociologue au CNRS. Tout comme «la mise en concurrence de manière systématique des salariés».
En juillet 2014, une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) a fait un premier pas vers la reconnaissance de ces causes professionnelles, en mettant en lumière, pêle-mêle, le poids des contraintes, du rythme de travail, des changements organisationnels et des situations exigeantes sur le plan émotionnel, ou encore la réduction des marges de manœuvre des salariés. Preuve que l’idée fait son chemin.
Mais la France est encore loin d’une reconnaissance automatique, sur le modèle du Danemark, qui a inscrit, depuis 2005, le trouble de stress post-traumatique sur sa liste de maladies professionnelles. Dans un premier temps, Hamon propose, lui, de réduire les seuils d’incapacité qui permettent aux salariés de faire valoir le caractère «professionnel» de sa maladie. Un retard français «bien dommageable», pour le syndicat CFE-CGC, pour qui cette reconnaissance permettrait à la branche maladie de la Sécu d’économiser 4,5 milliards d’euros. Elle ferait surtout porter la charge financière aux employeurs, responsables des conditions de travail de leurs salariés et principaux financeurs de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (ATMP). Un scénario d’autant plus logique que la branche ATMP est«florissante», selon la députée MRC Bechtel. En 2013, elle affichait un solde positif de 600 millions d’euros. Là où la branche maladie plongeait de 6,8 milliards. Reste à convaincre le patronat, peu enclin, ces dernières semaines,à jouer le jeu du dialogue social.

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