LE MONDE ECONOMIE | Par Lamine Gharbi
La santé est l’un des rares secteurs à échapper encore à la mondialisation et aux directives sur la libre concurrence de Bruxelles. Les gouvernements gardent jalousement la mainmise sur ce dernier rempart de l’Etat-providence qu’est leur système d’assurance-maladie. Doit-on s’en réjouir ? Peu importe, dira-t-on, si ce qui compte est l’efficacité en termes de santé et de finances publiques.
Avec la prétention qui caractérise parfois les Français, on continue d’entendre que nous sommes les mieux soignés au monde. Est-ce bien vrai ? Et surtout, le sommes-nous au meilleur coût ? A l’heure où l’on s’apprête à célébrer les 70 ans d’une Sécurité sociale « droguée » à la dette, et où la direction de l’Assistance publique doit affronter le mécontentement du personnel hospitalier sur la question des 35 heures, il serait pertinent de se poser la question. Pour y répondre, il est intéressant de franchir les frontières et de se pencher sur trois de nos voisins proches.
La Grande-Bretagne tout d’abord, classée 14e (sur 36 pays) du très sérieux Euro Health Consumer Index 2014 (http://www.healthpowerhouse.com/files/EHCI_2014). Les médias y décrivent à longueur d’articles l’enfer de la gratuité des soins au pays d’Albion : un National Health System (NHS) en déficit constant, une pénurie chronique de médecins et de lits, un chaos sanitaire causé par l’engorgement des urgences, des conditions d’hospitalisation parfois abominables, un nombre d’accidents hospitaliers graves en augmentation, etc.
Résultat : une congestion inimaginable, des mois de délais pour être opéré, des médicaments non accessibles du fait de leur prix et donc non remboursés. Une médecine à deux vitesses s’est mise en place : une étude montre que ceux qui ont pu se payer une assurance privée meurent moins du cancer que les autres…
La gratuité, une fausse bonne idée
La Grande-Bretagne offre un bon exemple de l’inefficacité à la fois sanitaire et budgétaire de la chaîne infernale : gratuité = explosion de la demande = rationnement des soins. Au point que les Britanniques réfléchissent à remettre en place un paiement d’avance de certains soins par les patients, à accorder une autonomie aux hôpitaux publics et à les mettre davantage en concurrence avec le privé, pour améliorer la qualité, quitte à confier la gestion de certains – comme cela a déjà été fait – au privé.
Leçon no 1 : la gratuité est une fausse bonne idée, elle fait baisser la qualité globale des soins.
L’Allemagne ensuite. Alors que notre assurance-maladie enchaîne les déficits depuis 1988, les caisses régionales d’assurance-maladie outre-Rhin ont dégagé 30 milliards d’excédents en 2013.
Convergence des tarifs public-privé achevée en 2009, choix d’un remboursement intégral mais sur un panier de soins restreint, responsabilisation des patients par des franchises plafonnées, choix entre l’assurance-maladie publique ou une assurance privée, principe de rigueur et d’équilibre budgétaire strict à l’hôpital sous peine de réorganisation drastique (après trois exercices déficitaires, un hôpital doit fusionner avec un autre).
Résultat : 2 000 hôpitaux en Allemagne pour 80 millions d’habitants, contre 2 800 pour 65 millions en France. Et un ratio de personnel hospitalier par lit de 1,7, contre 3,1 en France. Est-on moins bien soigné en Allemagne, 9e au classement européen, quand la France, avec un système de soins financé par l’endettement, est seulement 11e ?
Leçon no 2 : il est possible d’avoir un système de soins à la fois performant et bien géré.
Couverture sociale solide et dynamique de marché
Des Pays-Bas enfin, il y aurait beaucoup à apprendre sur la façon de concilier une couverture sociale solide avec une dynamique de marché. La réforme mise en place en 2006, après dix ans de réflexion, a révolutionné le système de santé. L’Etat garantit des soins médicaux de qualité, mais ce sont les assureurs privés qui sont tenus de fournir l’assurance-maladie de base obligatoire pour tous. Bon marché (environ 100 €/mois), elle protège contre les gros accidents de la vie, le reste étant laissé à des complémentaires en concurrence au profit de l’assuré (il peut changer d’assurance tous les ans !) et de la qualité des soins (choix absolu par le patient de son médecin, de son établissement), avec une compensation pour les plus modestes.
Résultat : les Pays-Bas dépensent désormais moins de 10 % de leur produit intérieur brut (PIB) pour la santé, et se classent premiers sur 36 pays européens pour la cinquième année consécutive.
Leçon n° 3 : l’Etat peut tout à fait déléguer le service public de la santé au privé tout en augmentant la qualité des soins, et ce au meilleur coût pour la collectivité.
Et en France ? Tous ou presque s’accordent à dire que notre système de santé est à bout de souffle, mais force est de déplorer que l’idéologie continue de prendre le pas sur une salutaire lucidité.
Le système français est-il gravé dans le marbre au point d’en être devenu irréformable ? Non, mais cela impliquerait de « dépolitiser » le débat. Or le projet de loi santé, censé « moderniser » notre système sanitaire, ignore encore et toujours la question de l’efficience médico-économique. Jusqu’à quand cela sera-t-il possible sans que personne ne dénonce non pas un paradoxe mais une trahison française ?
Lamine Gharbi est président de la Fédération de l’hospitalisation privée
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