ENQUÊTE
A l’hôpital Necker, à Paris, médecins et généticiens tentent de poser un diagnostic sur des milliers de maladies inconnues. Et doivent faire face à des familles désemparées.
Dans le parking de «l’hôpital de la dernière chance», les plaques d’immatriculation parlent d’elles-mêmes. Beaucoup de voitures viennent de loin. Les familles se sont levées très tôt pour se rendre au service des maladies rares de l’hôpital Necker, à Paris. Certaines ont attendu plus d’un an pour ce rendez-vous. Toutes ont emmené avec elles le dossier médical de leurs enfants. Tous souffrent de maladies sur lesquelles la médecine n’est pas parvenue à poser un diagnostic, et qui engagent parfois leur pronostic vital. Des parents ont dans les bras des dossiers épais comme trois bottins. Ici, à l’Institut Imagine, centre génétique de l’hôpital Necker, ils espèrent faire séquencer le génome de leur enfant : 20 000 gènes à étudier, pour comprendre enfin ce qu’il se passe. Dans ce lieu unique en France, généticiens, chercheurs et universitaires se penchent tous sur les cas inexpliqués de la médecine.
Parmi les familles dans la salle d’attente, ce couple tiré à quatre épingles, arrivé la veille d’Alsace, avec leur fils, polyhandicapé de 15 ans. Samuel ne peut pas marcher ni parler. Quinze ans après l’apparition des symptômes, les parents n’ont toujours pas de nom à mettre sur la maladie dont souffre leur fils. Dès ses premiers mois, ils réalisent une batterie de tests : IRM cérébrales, radios, bilans sanguins… tout semble normal. Après une dernière IRM à l’âge de 2 ans, les médecins se tournent vers la famille : «Revenez dans dix ans, pour l’instant, nous n’avons pas de réponse.»
«Balbutiements.» Ces patients font partie de la «masse grise» de la médecine. Des dizaines de milliers de cas isolés, qui souffrent de maladies encore inconnues, ceux que même le ministère de la Santé n’est pas en mesure de dénombrer précisément. Des familles cherchent encore des réponses, même après la mort de leur enfant. Etrangement, tous les parents interrogés ont la même phrase à la bouche, sans doute à force de l’entendre dans celle de leurs médecins. Ils la répètent en boucle, comme s’ils avaient fini par l’apprendre par cœur : «Vous savez, en médecine, on est très fort dans tout ce qui est mécanique. Mais pour le reste… on en est aux balbutiements.» Pour Nicole, maman de Florian, les choses sont claires : «Au bout de quatorze ans de recherches, on se rend compte que les médecins n’ont pas la science infuse. Vous pouvez croiser des Docteur House tout le temps, mais c’est pas pour autant qu’on trouvera une réponse.» Son fils, adolescent, est mort il y a deux ans d’une maladie du sang inconnue. Elle espère toujours obtenir des réponses. «Son sang est encore en train d’être comparé à d’autres cas similaires. J’aimerais savoir pourquoi, comment, d’où ça vient.»
Arnold Munnich, professeur généticien à l’hôpital Necker pour les enfants, est plus pragmatique : «Plus on avance, plus on réalise notre ignorance. Nous connaissons environ 9 000 maladies génétiques. Il y a 20 000 gènes dans notre génome, qui peuvent tous potentiellement présenter des anomalies. Faites le calcul.»Entre-temps, ces enfants subissent des centaines de tests par an, coûteux et douloureux. Une maman, excédée, finit par lancer au téléphone : «Tout va bien, sauf que c’est un enfant, ce n’est pas un hamster !» D’autres sont mis sous des traitements très lourds qui s’avèrent inutiles. Christel Nourissier, secrétaire générale d’Eurordis, une ONG européenne pour les maladies rares, a vu le scénario se répéter des centaines de fois : «Sans diagnostic, on fait des erreurs épouvantables. Les traitements, c’est au petit bonheur la chance.»
«Un bon cancer». Pour les parents, la désillusion face aux limites de la médecine est souvent brutale. Céline se souvient de ce spécialiste qui lui a lancé d’un air désolé, un jour de énième consultation inutile : «Vous savez, parfois, il vaut mieux un bon cancer qu’une maladie inconnue.» Son fils est mort quelques mois plus tard. Tout a commencé la veille de ses 4 ans, quand Noah est pris d’une forte fièvre. «Une simple gastro», pensent les parents. La fièvre ne tombant pas, ils se rendent à l’hôpital de Nice. Une radio des poumons désastreuse plus tard, Noah est mis sous antibiotiques. Une batterie de tests est réalisée, à la recherche d’un germe connu. Tous reviennent négatifs. Son état se dégrade, devant des spécialistes incrédules. Il mourra deux ans plus tard après trois AVC (accidents vasculaires cérébraux), sans qu’aucun diagnostic n’ait pu être posé. «Les médecins me fuyaient à la fin, raconte la jeune femme. Le problème, quand on n’a pas de diagnostic, c’est que les médecins ne savent pas quoi vous dire, alors ils vous évitent le plus possible. Je devais leur courir après dans les couloirs.»
Alors, comme 80% des maladies rares sont d’origine génétique, les moyens déployés à Necker pour observer le génome entier des patients font renaître l’espoir de réponses chez les parents. Dans la salle de consultation d’Arnold Munnich, un père raconte : «Ce sont des amis qui ont vu un reportage à la télé. Ils nous ont appelés et nous ont dit que vous pouviez peut-être faire quelque chose pour Sammy.» Ce fameux reportage, le médecin le connaît. «Des conneries. Vraiment.» Diffusé sur France 2 à l’automne, on y voit une fillette californienne en chaise roulante automatisée, vivant dans un état presque végétatif. Après un test génétique réalisé par une machine hyperperformante, la petite est diagnostiquée et traitée. Elle fait désormais de la danse, s’exprime longuement sur le sentiment «d’enfermement» qu’elle ressentait, petite, en proie à sa maladie. «Nos demandes de rendez-vous ont explosé depuis cette diffusion , s’exaspère le professeur. Mais dans la vraie vie, ça ne se passe absolument pas comme ça.»
En réalité, malgré les efforts consentis par l’Institut Imagine et l’hôpital Necker, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale et l’université, ainsi que les budgets colossaux du centre (40 millions d’euros par an et 850 médecins, chercheurs et scientifiques sur place), 70% des enfants qui sortent de consultation en génétique repartent, là encore, sans diagnostic. Soit 21 000 enfants par an. «On pourrait faire beaucoup mieux si l’hôpital avait les moyens de rechercher les causes connues des maladies. Si la puissance publique avait le courage de s’engager dans la réforme des hôpitaux, alors on pourrait inverser les proportions et trouver la cause des maladies dans 60 à 70% des cas.»
«Droits». A l’échelle nationale, il s’agit de 30 000 nouveaux cas par an. Un chiffre d’autant plus préoccupant que tous les enfants malades n’ont pas la chance d’atterrir à Necker : le centre parisien n’accueille qu’une petite partie des enfants non diagnostiqués. «On a la chance d’être ici dans le bateau amiral de la pédiatrie française, mais on n’a absolument pas une vocation nationale. On n’a pas le budget ! rappelle Arnold Munnich. Mais bon, évidemment, on reçoit quand même des gens de partout. Les mieux informés, ceux qui ont pris leur billet de TGV derrière le dos de leur généraliste pour pas le vexer.»
Car à l’heure actuelle, les parents d’un enfant malade d’une pathologie inconnue doivent cumuler les connaissances d’un professionnel de la santé, une maîtrise de droit administratif, des aptitudes de travailleur social et parfois les compétences d’un avocat pour faire avancer son dossier. Ne serait-ce que pour les aides sociales : comme le rappelle la professeure Sylvie Odent, spécialiste en génétique au CHU de Rennes, «quand on n’a pas de nom, cela s’avère beaucoup plus difficile de faire valoir ses droits, même dans la prise en charge à 100%. C’est parfois tout le paradoxe : il y a des personnes qui ont des maladies pas très graves reconnues qui ont moins de difficultés à faire valoir leur dossier que des maladies très handicapantes mais d’origine inconnue».
D’autant que rencontrer les «pontes» de la médecine a un coût : Nicole, la maman de Florian, décédé en 2012 à l’âge de 14 ans, se souvient d’une année où son enfant s’est retrouvé hospitalisé sept mois dans l’hôpital parisien. Pour elle qui habite le Finistère, dur d’assumer les coûts liés à cet emménagement temporaire dans la capitale, malgré l’aide de deux associations. «Je mangeais une conserve et un fruit», raconte cette mère. Son mari ne venait sur Paris qu’une fois par mois, faute de moyens pour payer les billets de trains. Et au coût financier se rajoute la fatigue des allers-retours incessants entre sa Bretagne et Paris. «On se réveillait à 4 heures du matin pour être à l’heure à Necker. A chaque fois, quand on arrivait sur le périph, j’avais un nœud au ventre. L’angoisse pour Florian, l’angoisse de ne pas savoir où j’allais dormir le soir…»
Face à cette errance interminable, beaucoup finissent par rêver des Etats-Unis, eldorado de la médecine de pointe dans l’imaginaire collectif. Mais à la vue des coûts des consultations sur place, la plupart des parents ont vite laissé tomber l’idée. Alors, ils se redirigent vers Necker, où le séquençage du génome coûte quelques milliers d’euros, mais n’est pas remboursé par la Sécurité sociale. Le professeur Munnich refuse que les parents des patients payent de leur poche : «Je ne veux pas d’une médecine à deux vitesses», explique-t-il. Alors ensemble, les familles et le médecin cherchent des solutions. Dons d’entreprises, associations… «On ne laisse personne seul dans la recherche de financement», assure le généticien. «Hier, il y avait un père qui travaillait à Franprix. Il avait besoin d’un financement de 4 000 euros pour les tests de sa petite, on a fait une demande au comité d’entreprise», poursuit-il.La famille aura une réponse dans quelques semaines. En revanche, les décisions des pouvoirs publics, pour un meilleur diagnostic et un meilleur accompagnement des familles se font toujours attendre. Le plan «maladies rares» lancé en 2011 par l’Etat n’a pas encore débouché sur des mesures concrètes.
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