Les réseaux sociaux regorgent de photos et commentaires sur les joies de la maternité. Une overdose de bons sentiments qui a aussi ses détracteurs.
Et que je t’instagramise des photos suintantes de bonheur maternel avec le mignon bibou et la maman au top de sa forme. Et que je te tweete des trucs du genre : «Ce soir mon cœur est plein, tous mes enfants sont sous mon toit» (parce que d’habitude ils dorment dans le poulailler ?), et que j’insiste sur l’allaitement, c’est trop super, etc. Il semblerait qu’une déferlante de joies maternelles venue des Etats-Unis (les pères sont assez absents du mouvement) ait attaqué le Web sous le fanion «Happy mama». Dans leurs hashtags (#Happymama, #happybaby, #happyfamily ou #fashionmum), «happy» est le maître-mot de cet élan qui s’inscrit dans l’actuelle tendance «bonheur» plus ou moins nunuche, appliquée à la maternité.
Morveux. La «maman» (on ne dit JAMAIS mère) est donc forcément heureuse, totalement centrée sur le rejeton et la vie de famille, tout en étant (cf. les comptes de Jess Dempsey ou de Sarah Stage sur Instagram, photos ci-contre) bien sapée, mince, sportive, avec un travail extra et sans doute en étant un super coup. Des photos de famille idéalisées, des lignes impeccables après l’accouchement, le gosse habillé en marque de luxe, comme maman… Voilà qui en agace certain(e)s, dont les magazines féminins, qui s’indignent de l’image que ces femmes parfaites exhibent (renvoyant les autres au rayon «cheveu gras et temps de rien faire»). Et des Tumblr ou des sites, comme Womenirl (pour «in real life», dans la vraie vie), montrant force photos de gâteaux ratés, de salons dévastés par des jouets, d’enfants au nez morveux, etc., dont on peut dire qu’elles reflètent aussi une idée de la vie quotidienne…
Il y a quelques années, l’idée de la maternitude était plutôt côté mère indigne. Enfin, pseudo indignes, qui faisaient tout un foin de juste vivre leur vie normalement (faire autre chose que d’être pouponocentrée) avec l’avantage de n’être ni portemanteau de marques ni porteur d’une idéologie commerciale. Là, on oscille entre photos catastrophes et «version sublimée de la réalité : les happy mama se comprennent entre elles, se rassurent dans un univers de consommation dédié aux bébés», explique la psychanalyste Claudia Fliess, auteure de Toutes les mères sont folles (1) .
«Elles se rassemblent pour partager leur euphorie, en s’exposant sans doute avec l’idée de savoir quelle est celle qui réussit le mieux. C’est un peu suspect, je trouve. Comme si être mère aujourd’hui était un exploit.» Et comme si, dans cette surexposition «de photos, de blogs, d’exposition de soi, il y avait le fait que les bébés, valeur refuge, sont bankable. La happy mama a fait de son enfant une vitrine, celui-ci mettant la mère en valeur avant tout».
En France, on n’est pas en manque de blogs et de sites vantant les joies de la maternitude avec les progrès de leurs «boutchous» et autres «loulous». On trouve même un Tumblr assez drôle et cruel (et français), Motheridliketokill, qui épingle les clichés urinaires avec le commentaire ultra fier de la mère, «deuxième pipi au pot»,ou les surnoms dévastateurs («ma foufounette d’amour»). Il y est moins question d’enfant vitrine ou narcissisant, plutôt de maternité un peu neuneu, mais au fond assez touchante.
«turbulette». Cela dit, l’idée de l’enfant vitrine, (mis à part dans les marques de luxe) commence déjà à faire son chemin. Ainsi, dans le centre de Paris, la boutique Womb, (acronyme de World of my baby, et mot anglais désignant le ventre maternel, c’est dire) propose des produits et services, tout ce qu’il faut pour le portage ou l’allaitement, de jolis meubles design : «Les nouveaux parents ont envie de prendre soin de leurs enfants tout en ne s’oubliant pas. Ils prennent soin d’eux, de leur bien-être et de leur image, explique Marie Canvel, qui s’occupe du marketing de la boutique. Notre signature est parents first.» Parents first ? Oui, des parents heureux d’acheter, pas uniquement obligés de le faire parce que c’est nécessaire : «Le doudou est joli, la turbulette a les bons motifs, la famille est heureuse dans un cadre esthétique qui lui correspond.»Un vrai monde de carte postale… tant que l’enfant est petit et mignon, portable et crétinisable à merci. C’est fou comme il y a peu de «mamans» affichant leur très grand bonheur avec un(e) ado.
(1) Editions Joseph Vebret (2013), 224 pp.
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