« Pour une fois, on n’a pas regardé ma maladie, déjà omniprésente, on a vu bien au-delà. » C’est ainsi que, d’une voix chuchotée, Isabelle Lauberthe, terrassée par le locked-in syndrome (paralysie totale) il y a six ans, parle de cette expérience, celle d’avoir raconté son adolescence. Cette femme de 40 ans a participé au projet de Mathieu Simonet. L’idée de cet écrivain et avocat : proposer à 1 000 patients des 37 hôpitaux de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) d’écrire, sur des carnets, un texte à propos de leur adolescence. « Une expérience bouleversante qui a fait resurgir de nombreux souvenirs agréables, la période où j’étais valide, et d’autres moins », nous raconte avec émotion Isabelle Lauberthe, tétraplégique, qui a écrit grâce à un clavier virtuel.
S’il voulait initialement monter ce projet dans un hôpital psychiatrique – où son père a séjourné l’année de sa naissance –, Mathieu Simonet, dont les livres sont publiés au Seuil, s’est finalement tourné vers l’AP-HP. A l’issue de nombreuses réunions, le feu vert a été donné. Un référent a été désigné pour chacun des 37 établissements. Piloté par Aude Marlier-Sutter, responsable du pôle « culture et bien être », le projet fera l’objet d’une journée de présentation jeudi 11 décembre. Au total, 200 salariés de l’AP-HP y ont participé.
L’écriture comme médicament
Déçu d’avoir été recalé pour une résidence à la Villa Médicis, Mathieu Simonet a obtenu cette résidence d’écrivain à l’AP-HP financée par le conseil régional d’Ile-de-France. Clairefontaine a fourni les carnets. Au final, sur 832 commandés, 488 ont finalement été distribués à des patients. Près de 200 ont été remplis. Certains l’ont perdu, d’autres l’ont gardé. L’un d’eux avait été confié à Gabriel, 20 ans, qui l’avait placé au-dessus de son lit, mais il y est resté, vide. Le garçon est décédé.
Puis ces textes ont été utilisés lors de rencontres, concerts littéraires, performances, etc., dans des hôpitaux et autres lieux. Des collégiens, visiteurs de la Nuit blanche, ont aussi participé. L’idée est de faire vivre les carnets, d’en faire une « autobiographie collective », fil rouge de Mathieu Simonet. « Mon plaisir est d’être un chef d’orchestre de l’écriture et de l’intime. » « Sa grande force est de tirer le meilleur des gens, il sait les mettre en confiance, sans aucun jugement, il a une grande énergie », dit Anne-Sarah Kertudo, son amie d’enfance, auteure d’Est-ce qu’on entend la mer à Paris ? (L’Harmattan, 2010). « J’aime faire des ponts entre l’art et la vie de tous les jours à l’hôpital », dit-il. « C’est important, surtout pour des patients qui restent longtemps : des enfants, des personnes polyhandicapées, des personnes âgées… Ces projets sont une manière de casser la barrière qui peut exister entre soignés et soignants », renchérit Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP.
Pourtant, convaincre les hôpitaux de l’AP-HP n’a pas été facile. Mathieu Simonet a dû franchir des obstacles, ce qui a demandé du temps. Pour faire comprendre son projet, il a d’abord raconté son univers. Lors de sa rencontre en 2004 avec celui qui est devenu son mari il y a un an, ce dernier lui demande de trier ses boîtes remplies de carnets. Mathieu, qui se dit très bordélique, « n’arrive pas à jeter ». Il décide alors de relire tous ses journaux intimes (environ une centaine) puis de s’en séparer.
L’idée première : « suicider » symboliquement les carnets, comme il le raconte dans Les Carnets blancs (Seuil, 2010). Le premier est jeté avec une pierre dans le canal Saint-Martin. Puis un autre devient une sculpture, un autre encore une robe de mariée… « Ce dispositif permettait de m’interroger sur ce qui est important, ce qui ne l’est pas », confie-t-il.
Puis il évoque la mort de sa mère, décédée d’un cancer en 2009 dans une ancienne maternité devenue centre de soins palliatifs. Il l’a racontée dans le livre La Maternité (Seuil, 2012). « L’écriture est pour moi comme un médicament », confie cet homme de 42 ans qui se dit « dans un phénomène d’addiction, quand ça va pas – ce qui est rare –, l’écriture me sauve ». Il a d’ailleurs toujours écrit. Et pense avoir « un muscle du bonheur » lié à l’écriture, sourit-il.
Mathieu Simonet manie les mots aussi dans son métier d’avocat, il préside la commission juridique de la Société des gens de lettres et il est membre de la commission du court-métrage du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Pour lui, tout est lié. « Je suis à la fois dans la maîtrise en tant qu’avocat, et dans l’abandon en tant qu’écrivain, les deux me structurent. »
Sceptique au départ à propos de ce projet, Hamida Bechkour, ergothérapeute en psychiatrie adulte (hôpital de jour) à la Pitié-Salpêtrière, l’a finalement accepté. Elle l’a même porté. Cinq patients de son service ont accepté d’écrire. « Nous les avons accompagnés tout au long du processus. Il a fallu dépasser les réticences, les peurs de se dévoiler, car écrire, c’est s’exposer », raconte-t-elle.
Cela fait-il du bien aux patients ? Pour le mesurer, un questionnaire a été conçu avec la psychiatre et psychanalyste Isabelle Blondiaux, auteure d’un mémoire sur les pratiques thérapeutiques de la lecture et de l’écriture en 2009. Sur la centaine de réponses collectées, 84 % des patients estiment qu’écrire sur leur adolescence leur a donné du plaisir. « Ce ne sont pas ces données quantitatives qui sont les plus importantes, mais les appréciations subjectives des participants », affirme la docteure Blondiaux.
Renforcer le lien avec le soignant
« Lorsque j’ai entendu, lors d’une rencontre, Mathieu Simonet lire mes propres récits à haute voix, je me suis senti acteur, spectateur et témoin », confie ainsi Guy Lebrédonchel, atteint d’une sclérose latérale amyotrophique. C’était une première pour cet homme, auteur depuis d’une autobiographie. « Le fait de mettre des mots sur des émotions, de vivre un moment partagé avec le soignant, renforce le lien à l’autre. En cela, c’est thérapeutique », souligne le docteur Blondiaux.
Au bout du compte, « cette expérience leur a redonné confiance, envie de reprendre de nouveaux projets, de renouer des liens », explique Hamida Bechkour. « Pour nos patients, pour la plupart très dépendants, il ne s’agit plus de guérir mais de soigner, d’apporter du temps, de la relation », indique pour sa part la docteure Amina Lahlou, chef de service en gériatrie à l’hôpital Charles-Foix, à Ivry-sur-Seine.
Les ateliers d’écriture se développent depuis plusieurs années, notamment en addictologie, comme dans le service d’Eric Hispard (Fernand-Vidal, à Paris), qui a participé au projet. L’apport de l’écriture dans le soin est de plus en plus étudié, notamment au Canada et aux Etats-Unis. Mais Mathieu Simonet souhaite aller plus loin dans son évaluation scientifique.
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